« Alleeeeeeez… »Dahlia serra les dents, fronça les sourcils et fixa si intensément le pot en terre cuite qu'elle cru que ses yeux allaient exploser. Elle tendit les mains devant elle, doigts écarquillés, attendant sans doute qu'elles déversent un quelconque flux magique sur le pot rempli de terreau. Elle y avait semé un bulbe de jacinthe et tenta désespérément et vainement à le faire pousser. Jadis, elle n'aurait eu qu'à pointer un doigt dans sa direction et la fleur se serait merveilleusement épanouie, mais dans ce monde cela semblait bien compromis. Elle l'avait pressenti dès son arrivée, un gouffre en elle, comme si on l'avait amputée d'un quelconque organe. Elle avait déjà essayé de réactiver ses pouvoirs, sans grand succès, mais avait mis ça sur le compte du manque de concentration. Elle s'était sentie idiote le soir où, dans sa baignoire, elle avait tenté de se fondre dans la masse d'eau, comme elle faisait si bien auparavant. Maintenant qu'elle était bien concentrée et que cette stupide jacinthe refusait de pousser, elle était à 100% certaine qu'elle avait perdu son don.
Dahlia se saisit du pot, sur le point de le lancer sous le coup de la colère et de la frustration. Elle se sentait vide désormais. Elle était née pour donner vie à la nature et n'arrivait ici à ne rien faire. Même pas à créer une petite germe, une pousse de rien du tout. Quant au fait de voler, elle avait déjà fait une grosse croix dessus, ses pieds ne décollant même pas une seconde du sol. Elle avait misé beaucoup sur cette jacinthe récalcitrante qui semblait la narguer, au fond de son trou. Elle était réduite à néant, incapable et inutile, dans ce monde, dans ce corps qui lui déplaisait. Sa légèreté lui manquait, sa magie aussi. Elle fut sous le point de lancer le pot à l'autre bout de la pièce pour crier son désespoir mais se contint. Après tout, il y avait un bulbe à l'intérieur, une forme de vie qu'elle chérissait et, pouvoir ou pas, elle ne pouvait pas la laisser dépérir. Que du contraire, il fallait qu'elle fasse de son mieux pour combler l'absence de pouvoirs par des actes. Elle se leva de son canapé et posa le pot sur le rebord de la fenêtre.
« Je t'arroserai tantôt, je sors prendre l'air… »Oui, Dahlia parlait à un bulbe enterré. Non, elle ne se sentait même pas stupide sur ce coup-là. Elle trouvait ça même plutôt normal et il ne serait guère étonnant que la jacinthe ne se retrouve baptisée par ses soins. Elle réfléchissait déjà au nom idéal pour cette fleur en devenir en enfilant son écharpe et en franchissant le seuil de la porte de son dortoir.
La vague à l'âme, elle errait dans la rue sans but précis. Il fallait absolument qu'elle se trouve une activité pour occuper ses journées et combler le trou noir en elle. En effet, elle se voyait mal ne rien faire, rester dans sa chambre sans sortir ou vagabonder mollement dans les rues de Fantasia Hill. Il y avait bien l'écriture, un vague projet de blog sur lequel elle rédigerait une histoire, mais à part si elle se faisait remarquer par un éditeur et que le succès était immédiat, cela n'allait pas remplir sa bourse. Elle n'avait même pas encore trouvé un sujet sur lequel poser ses mots, attendant d'être plus expérimentée dans ce monde avant de se permettre d'en parler.
Plongée dans ses pensées la recherche de l'inspiration providentielle sans doute- elle n'analysa pas vraiment les quartiers dans lesquels elle marchait et s'arrêta tout à fait par hasard à la Westwood Center Way. Pour une rue qui s'appelait Westwood, elle n'était guère vraiment boisée. Ce n'était guère surprenant : les lieux verts manquaient amèrement à la région. Peut-être était-ce parce que la rue avait un lien avec la nature, mais en tout cas Dahlia se retrouva soudainement motivée. Motivée à quoi faire ? Elle n'en savait rien du tout. Elle avait juste un regain d'énergie inexpliqué.
Elle arpenta la rue en souriant, avant de tomber sur une enseigne interpellante.
A genie in a lamp. Le nom était amusant et quelque peu ambigu. Le bâtiment ne se démarquait pas des autres bâtisses aux alentours, des antiquaires ou des vendeurs de vieilleries pour la plupart, et Dahlia se demandait bien ce qu'on pouvait y vendre . Des lampes à huile, selon la logique de l'enseigne, mais qui pouvait bâtir un commerce sur un ustensile aussi austère ? La curiosité de Dahlia était piquée à vif et, sans trop savoir dans quel but, elle pénétra dans le magasin.
L'ambiance semblait tout aussi vieillie que les lampes à huile. C'était étroit, confiné, et la lumière extérieure faisait apparaitre des arabesques de poussière dans l'air. La salle était plongée dans l'obscurité, un comble pour un magasin de lampes ! Celles-ci étaient d'ailleurs exposées dans tous les coins. Il y en avait de toutes les sortes et Dahlia ne savait où poser son regard. Quoiqu'il en était, il n'y avait aucun signe de présence humaine ici.
« Ouhou ? »Sa voix était un peu hésitante et son volume relativement faible, ce qui compromettait la bonne réception du message. Mais elle avait l'impression d'être dans un lieu sacré, qu'elle aurait violé et, paradoxalement, avait peur de faire du bruit. Elle toussota et, plus ferme, réitéra son onomatopée.
« Ouhou ? »Pas de réponse dans l'immédiat. Peut-être n'y avait-il personne ? Mais pourtant le magasin était ouvert... Lasse d'attendre, plantée là en plein milieu de la pièce, Dahlia porta son attention sur une lampe, la souleva et l'inspecta de part et d'autre. Elle était très belle et la jeune fille fut piquée par l'envie de l'acheter, pour décorer sa chambre. Comble de malheur, elle n'avait guère d'argent sur elle et ne pouvait se permettre d'acheter pareilles futilités.
© Chieuze