« Le bonheur. S'il y avait une chose que je pensais acquise une fois assise aux côtés de Zeus, au sommet de l'Olympe, c'était bien cela. Ce sentiment de perfection et de bien-être qui était censé m'envahir pour l'éternité. L'achèvement, le résultat que je pensais mériter. Je voyais depuis des décennies, des femmes heureuses en mariage, des femmes malheureuses et seules, des femmes de tout âge et de toute région, des femmes protégées par la déesse que j'étais, des femmes pour qui je veillais au bonheur et de qui j'attendais reconnaissance et allégeance. Je pensais faire ce qu'on attendait de moi et être ce qui faisait de moi la protectrice des femmes. Mais faire naître la vie et avoir les enfants divins m'étaient finalement aussi important que tout le reste dans ma quête du bonheur. Et alors, lorsque l'on vous prive de l'un d'eux, la sensation de désespoir est si intense que même les bras d'un époux ne peuvent l'atténuer. « Le bonheur nous est-il interdit ? » Une simple question, à laquelle Aphrodite n'avait pas répondu avec la ferveur que j'aurai souhaité. De nombreux sentiments s'étaient alors mêlés à mon habituelle gaieté. La peur, la fureur, la haine même. Des sentiments qui n'étaient pas dignes d'Héra mais dont je me fichais alors. Si l'éternité paraissait longue, les années séparées d'Hercule sans même pouvoir faire part de notre existence, de mon existence furent les plus longues. Je voyais chaque jour Arès et tant d'autres de mes enfants sans pouvoir chérir le dernier d'entre-eux. Une perpétuelle souffrance mais aussi une certaine reconnaissance envers Alcmène et Amphitryon qui s'occupaient si bien de lui... Mes années les plus solitaires dans l'attente de pouvoir lui parler... Il y avait pourtant une raison pour que cela ne se fasse pas … Je passais alors le plus clair de mon temps du côté d'Argos, appréciant les offrandes faites en mon nom, surveillant d'un œil bienveillant les unions de ces femmes que je protégeais. J'avais cette affection toute particulière pour Argos et venir y observer ce qui s'y passait faisait office d’exutoire. Zeus était toujours le même d'une certaine façon mais j'avais du mal à réagir aussi sereinement que lui. Je m'éloignais. Et pour ce que cela valait, le dieu des dieux n'avait pas l'air plus touché que cela par mon absence notoire sur l'Olympe. Il trouvait mille distractions en mille femmes différentes. Peine de ne pas côtoyer mon fils se liait à une jalousie maladive que je contrôlais au mieux, pour la sérénité de tous. Au moindre mot de ma part sur ces gueuses qu'il prenait plaisir à me mettre sous le nez, Zeus agissait comme s'il n'y avait aucune gravité dans tout cela. Une légèreté et désinvolture qui me donnaient de sombres idées. Et puis je repensais à Hercule et je retournais simplement attendre le bon moment. Lorsque celui-ci vint, je n'étais qu'observatrice de ce moment père-fils où mon brave Hercule comprit la portée de ses origines. Je souriais de le savoir si volontaire à revenir parmi nous, à devenir un héros et redevenir un dieu. Tout se passerait bien pour lui et il nous rejoindrait bientôt. Alors lorsque, après avoir vaincu les titans libéré par Hadès, je pus serrer mon fils dans mes bras j'eus la prétention de croire qu'il nous suivrait. Mais une autre voie s'imposait à lui. Je l'avais vu tomber sous le charme, tomber amoureux de Megara et j'en avais souri. Pour lui, mais aussi pour elle qui n'avait que trop bien connu la tristesse. Hercule choisissait une vie, aussi courte soit-elle, avec Megara plutôt que sans elle. Un choix qui me rendait fière mais aussi triste. Mon fils était un homme, un homme faisant ses choix et je savais qu'en préférant le monde des hommes à celui des dieux, il renonçait un peu à nous. Après cela, j'avais longuement pensé, je m'étais longuement questionnée en regardant Zeus assis sur ce même siège inlassablement : **Est-ce que c'est cela que je mérite ? Un semblant d'indifférence. Où est passé l'amour ?** Questionnement aux réponses illusoires et peu empruntes de réconfort. Je siégeais à l'Olympe, j'étais adulé par les femmes, j'avais plus d'enfants à chérir que beaucoup de femmes, j'étais la femme du dieu des dieux. Nombreux étaient ceux qui m'enviaient et me considéraient comme la femme, la déesse la plus heureuse qu'il puisse exister mais c'était bien là le soucis. Avoir la grandeur et la reconnaissance avait un prix, je l'avais compris depuis Achille. La destinée d'un dieu comme d'un héros n'avait rien de celui d'un homme. Et son bonheur, ne dépendait pas de lui. »

Alors qu'elle s'exprimait face à ces femmes qui ne l'entendaient ni ne la voyait, Héra se sentit soulagée. Aucune oreille attentive pour entendre sa plainte et son récit mais peu importait finalement, elle ne le racontait que pour elle, pour réaliser la véracité et surtout la portée de ses propos. La déesse observa deux jeunes filles déposer de magnifiques tissus de leur conception au pieds de la statue à son image. Argos, elle aimait cette ville et y passait maintenant de longs moments, quand elle n'était pas avec Arès, son fils adoré. Elle sourit en entendant les jeunes filles en appeler à sa bonté. Elle les inonda d'un voile protecteur et d'amour maternel. Toutes ses femmes étaient comme ses filles, elle les voyait naître, grandir, vieillir. Héra écouta les prières et les souhaits de toutes celles présentes dans le temple, elle les entendit … Un flash blanc, aveuglant et étranger. Il n'y avait plus personne à observer. Était-elle seulement encore consciente ?


Elle marchait sans vraiment prêter attention aux alentours. Tout est différent et pourtant pareil. Des similitudes et de grands changements. Désorientée et un peu perdue. C'était étrange. Elle se reconnaissait mais repérait quelques infimes différences. Seule à son réveil, Héra n'avait pas mis longtemps avant de rencontrer ou retrouver une connaissance, un membre de la famille ou peut-être était-ce un ennemi … Elle était préoccupée et cherchait Zeus parmi les visages qu'elle croisait. Quelques jours depuis son réveil s'étaient passé, des semaines peut-être. Elle n'avait plus véritablement la notion du temps. Elle avait cru voir Athéna un jour mais avait reculé, de peur de se tromper. Alors en attendant de retrouver sa vie et ses habitudes, il lui fallait bien prendre un logement, occuper un emploi. Rien ne lui convienait jamais et ce n'était que depuis peu qu'elle s'était enfin établie dans ce qu'elle appelait son petit chez-elle. A son compte, elle s'était installée dans un petit bureau et y avait fondé sa propre entreprise. Ce dont se chargeait la dite entreprise ? De femmes, de mariages, de naissances, de cérémonie heureuses. Organisatrice événementielle. Héra ne voyait rien d'autre pour rester au contact des femmes et sourire devant le bonheur qu'elles affichaient toutes à l'approche de leur mariage. Tenir un blog sur et pour les femmes faisait aussi partie du pari d'une nouvelle vie. Beaucoup de temps s'était écoulé depuis ce flash étrange, elle avait reconnu d'anciens dieux, discuté et renoué avec d'autres ; Héra vivait un peu au jour le jour, ce qui ne l'empêchait pas de découvrir et de s'émerveiller des nouvelles opportunités et possibilités de cette vie-ci.