Une dernière goutte de sang glissa sur le contour de ses lèvres. La dernière goutte, un corps inanimé entre ses bras et elle venait de gagner un peu de répit supplémentaire. Bientôt un nouveau bloc de glace prendrait forme sous ses doigts, représentant un petit garçon malade qui venait de vivre ses dernières heures. Elle avait tout fait pour rendre sa vie agréable jusqu’à maintenant, pour le rendre heureux, pour qu’il se sente aimé mais à l’instant où son souffle s’était arrêté, son instinct avait repris le dessus. Malgré lui, l’enfant avait été à son service. Elle avait pris soin de lui pour qu’en retour, à la toute fin, il lui serve en échange. Son sang, bien que ce ne soit pas celui qu’elle convoitait le plus, lui permettait de trouver un peu de répit, un peu d’apaisement dans le tumulte de son esprit. Son règne ne prendrait pas fin maintenant. Une fois sa sœur retrouvée et sous son contrôle, elle serait en mesure de déclarer qu’il ne prendrait jamais fin. Elle serait Reine à tout jamais, assurant sa domination et aveuglant les habitants avec un paysage blanc, immaculé et froid, pour l’éternité. L’hiver serait éternel tant qu’elle serait là...

L’éternité. Le rêve d’une vie. Le rêve auquel elle s’était accrochée, avec lequel elle avait essayé de se reconstruire, avec lequel elle voulait avancer. Il n’était plus question de revenir en arrière. Tout cela était terminé. Elle avait voulu être aimé, être chéri, être adoré et au centre des attentions. Elle n’avait pas besoin de centaines de personnes autour d’elle, seulement quelques unes qui fassent vraiment attention à elle. Etait-ce trop demander ? Sans doute, puisqu’elle ne l’avait jamais eu. Elle n’avait jamais lu la moindre trace d’amour dans le regard de son mari, n’avait jamais obtenu le moindre signe de réconfort ou d’affection, peu importe où elle se rendait. Cela la rendait malade. Et le pire, il fallait qu’elle observe sa sœur cadette passer devant elle, la tête haute, offrant ses sourires à qui voulait les recevoir et récoltant tout l’amour et toute l’attention que l’ainée n’aurait jamais. Même son mari l’avait délaissé, cherchant la chaleur, l’amour et le réconfort dans d’autres bras que les siens. Dans d’autres bras que ceux de sa propre femme. Peu à peu, elle avait perdu tous ses rêves et toutes ses illusions. A quoi bon continuer à y croire, personne ne souciait d’elle ou de ce qu’elle avait à offrir. Son cœur s’était doucement refermé parce qu’elle ne voulait plus souffrir, ainsi plus rien ni personne ne pouvait l’atteindre. A présent, c’était elle qui était maître de la situation, elle détenait le pouvoir et jouait selon ses propres règles. L’hiver allait durer éternellement, il allait dominer toutes les saisons parce qu’elle l’avait décidé. Plus aucune famille ne serait à l’abri. Son ombre, menaçante, planait au-dessus d’eux alors qu’elle guettait le bon moment et le bon enfant. Même si elle leur offrait une vie presque heureuse et tout ce dont ils pouvaient avoir besoin, elle les arrachait à leur famille dans le seul but d’être éternel. Il n’y avait plus que cela qui pouvait encore l’intéresser. Elle empêchait sa propre sœur de vivre pleinement par simple jalousie et quand guidée par son orgueil blessé elle avait gelé son cœur. Elle aimait avoir le pouvoir, elle aurait voulu que cela dure, qu’elle puisse retrouver sa sœur et se servir de son sang comme elle le voulait depuis le début. Devenir éternelle et ne plus avoir à se soucier qu’un jour son règne puisse prendre fin. Parce que c’était la plus grande peur de tous les tyrans, qu’un jour arrive où une personne ose se dresser devant eux. Qu’elle ose les défier et qu’elle signe, par la même occasion, l’arrêt de leurs règnes et qu’ils ne leur restent plus rien. Mais que se passait-il lorsque c’était votre sœur cadette qui s’opposait à vous ? Ce n’était pas aussi simple d’en découdre avec une personne de votre famille, une personne avec qui vous partagiez le même sang, qu’avec une personne étrangère. Mais le sort était rompu. Sa sœur était armée de plus de courage qu’elle-même n’en avait jamais eu et l’hiver s’en alla, laissant enfin un peu de répit à la nature alors que le cœur de sa sœur retrouvait sa liberté. Quant à la Reine déchue, elle avait probablement tout perdu dans cette histoire mais y avait gagné le pardon de sa sœur et peut-être un peu de son amour qu’elle ne méritait pas.

Elle avait été prête à faire des efforts, à s’essayer à un nouveau mode de vie plus calme et plus sain, sans aucun doute. Un mode de vie qui n’était pas guidé par la vengeance et l’envie de contrôler. Mais elle savait que rien jusque là n’avait été aussi compliqué que ce qu’elle avait accepté. Pour sa sœur, pour son amour. Mais le sort, cette arrivée dans un nouveau monde totalement inconnu avait ramené à la vie ses anciens démons, ses rêves d’une autre vie. Il lui offrait une nouvelle chance. Une chance de retrouver le pouvoir, d’être au sommet une nouvelle fois et de faire de son rêve, une réalité. Jour après jour, à chaque fois que sa sœur était auprès d’elle, elle luttait. Pour respecter sa parole, elle lui offrait tout l’amour qu’elle possédait, caché quelque part au fond de son cœur gelé. Elle prenait soin d’elle, voulait protéger cet ange qui lui avait pardonné ses actes passés. Elle voulait aimer sa petite sœur comme on ne l’avait jamais aimé elle. Mais malgré cette bienveillance, il était aisé de voir au fond de ses yeux, une lueur briller. Loin d’être rassurante, Elsa se livrait à un combat intérieur pour ne pas lui faire de mal, pour ne pas prendre ce qui lui faisait tant envie, pour ne pas voir la vie quitter progressivement le corps de sa sœur alors qu’elle s’abreuverait de son sang. C’était un véritable combat. Son combat. Alors elle partait à la recherche d’enfants malades, attendant patiemment que la mort les emporte, qu’elle gagne la bataille face à eux, frêles petits bambins. Elle les accompagnait jusqu’à la dernière minute, la dernière seconde avant que leur sang ne rencontre ses lèvres lui apportant un répit bienvenu. Quelques heures, quelques mois gagnés grâce à eux. C’était un rituel, sa propre version de la fontaine de jouvence. Elle n’avait pas pu complètement dire adieu à l’éternité mais elle se refusait à faire du mal à sa sœur, tant qu’elle pouvait s’en empêcher. Elle avait trouvé une autre alternative mais sa volonté restait fragile, prête à se briser à chaque instant passé avec sa sœur. Le monde dans lequel elle se trouvait était différent mais il ne pouvait pas créer de nouvelles personnes. Personne ne le pouvait. Elle restait une femme froide et cruelle, refusant l’éventualité de mourir et à la recherche de n’importe quel moyen pour atteindre son objectif.