Cette journée-là, la douce brise faisait danser la prairie. Elle mouvait en un air de valse alors qu'aucune musique ne jouait pour l'accompagner. Les sons présents n'avaient rien d'une mélodie, mais les rires des deux adolescents rafraîchissaient l'endroit trop calme. « Ulisse, attends-moi! » Le garçon se retourna et regarda Perséphone avec une espiègle malice. « Mademoiselle ne peut tenir la cadence? » Elle s'esclaffa à cette moquerie dont elle était la cible. Il supprima la distance qu'il avait acquit entre lui et son amie pour mieux la confronter. « Vous devriez d'ores et déjà savoir que j'aime profiter du beau temps lors de nos randonnées. Cela ne vous plaît-il pas? » Rien ne pouvait déplaire à Ulisse, mais elle aimait s'en assurer, seulement l'entendre dire qu'il était heureux. « Vous savez ce que je préfère? La course! » Et, sur ces mots, il déguerpit, laissant derrière lui une Perséphone dépitée. « Ulisse! » Le doux son d'un rire innocent s'échappa de son gosier et elle se mit à la poursuite du garçon. L'herbe montait si haut qu'elle venait chatouiller les genoux des deux amis tandis qu'ils parcouraient la prairie en courant. C'était encore l'une de ses journées calmes, celles que Perséphone aimait tant. Rien ne pouvait les gâcher... enfin, presque. La jeune femme s'arrêta en apercevant Déméter arriver au loin et soupira. Ulisse revint vers elle et suivit son regard pour découvrir ce qui captait son attention. « Ma mère est là. » Elle lança cette phrase avec une lassitude soudaine. Elle pouvait déjà voir les yeux réprobateurs de sa génitrice, soucieuse encore qu'un maux quelconque tombe sur sa fille, la seule qui comptait à ses yeux puisque leur ménage manquait cruellement d'un homme. Malgré les réticences de sa mère, Perséphone savait qu'elles n'étaient pas des Siliciennes ordinaires et qu'un sang divin faisait partie d'elle. Pourtant, elles vivaient bien loin de l'Olympe et la jeune femme devait se plier à l'autorité de sa mère comme toute autre mortelle. « Tu dois vraiment y aller? » Pauvre Ulisse, il allait encore une fois se retrouver abandonné. « Tu sais bien que je n'ai pas le choix. » Déméter redoutait tout ce qui pouvait blesser sa fille et voyait son ami d'un mauvais œil, aussi doux pouvait-il être. Elle allait encore la gronder pour être sortie avec lui et les protestations de Perséphone ne pourront jamais rien y changer. « Allez, viens. » Elle prit la main de son ami et l'entraîna avec elle vers son bourreau.

Les bois d'Enna ont quelque chose que Perséphone a toujours su apprécier. La jeune femme s'y rendait souvent accompagnée des nymphes. Aujourd'hui, elles s'amusent à cueillir des fleurs et la rousse s'y donne à cœur joie. En fredonnant un petit air, elle se joigne aux créatures dans leurs mouvements fluides et s'occupe de choisir les plus belles fleurs. Avec elles, tout se fait en danse. Elles enseignent quelques pas à Perséphone qui s'efforce de les recopier joyeusement en rêvant d'un jour où elle serait dotée de la même grâce et légèreté que ses compagnes. Portée par la douceur du moment, elle quitte peu à peu les nymphes et se retrouve vite seule à valser dans la forêt. La jeune femme se pose sur le sol et son regard tombe sur une fleur souffrant de solitude. Avec la délicatesse que les nymphes lui ont apprise, Perséphone cueille délicatement cette narcisse du bout de ses doigts. « Tu es jolie, tu sais. Pourquoi n'as-tu pas d'amies? » Aucune autre fleur pareille à elle ne se tient dans les environs. Elle caresse ses pétales blanches et la fait distraitement tournoyer entre ses mains. Soudain, la mort en chair et en os s'impose devant elle. Un homme trop grand, trop sombre, trop imposant, que Perséphone craint dès qu'elle pose ses yeux sur lui. Elle échappe un cri de désespoir lorsqu'il l'agrippe, mais personne n'est là pour l'entendre.

Les damnés s'exécutent lâchement et s'empilent lorsque leurs corps ne sont plus que cadavres. Les seuls être assez forts pour survivre ici sont d'immondes créatures, et Perséphone fait tâche de lumière dans ce monde d'obscurité. Elle est condamnée à festoyer six mois à la surface de la Terre et se mourir dans les Enfers l'autre moitié de l'année pour avoir goûté aux fruits des ténèbres. Elle est égarée autour de ses âmes sans espoir, mais aussi égarée auprès du monde qui était autrefois le sien. Hadès l'a souillée et Perséphone, qui vivait des délices simples et innocents du domaine terrestre, est devenue mauvaise. Trop sombre pour le monde d'en haut et trop belle pour celui d'en bas, elle n'a plus sa place nulle part.

Liberté, c'est celle dont Perséphone a toujours rêvé. Elle y goûte enfin dans ce nouvel univers où elle n'est plus qu'une simple humaine. Mais qu'importe quand on a la liberté? Elle peut enfin respirer dans cette ville tranquille et se construit une vie qui lui plaît. Mais, si s'inventer une vie est aussi facile, oublier son passé l'est beaucoup moins. Changée à jamais par la noirceur des ténèbres, Perséphone n'est plus la jeune femme qu'elle était.