❝ ici, tout le monde est fou. je suis fou. vous êtes folle.

« Qui êtes-vous ? » me demande-t-elle. Je souris, d’ailleurs, je ne suis plus d’un sourire. « Un sourire. Un chat. Un homme. Je suis à la fois tout et rien. Je suis ce qui aura bon de vous faire plaisir, ma chère. » Sur ces mots, je reprends ma forme féline. Elle me regarde effrayée, les yeux grands ouverts, ronds même. M’étirant avec la grâce féline dont je fais naturellement part, j’observe du coin de l’œil la petite chenille perdue et effrayée.  D’une petite voix tremblante, elle dit : « Vous êtes donc le chat de Cheshire ! Certaines personnes disent que vous êtes fou, que…» Je coupe ses enfantillages sans même prêter attention à ses dires précédents. « Ah, quand j’entends ce que certaines personnes disent et font, ça me donne envie de rire. Le rire est un instrument puissant, tout comme le sourire. Mais le rire montre la joie tandis que le sourire se contente parfois de la cacher. Dans une vie, il nous arrivera de voir plus de faux sourires que de joies sincères. Ça aussi ça me donne envie de rire ; parce que la vie est trop courte pour se cacher derrière des faux-semblants ; qu’elle est trop cruelle pour qu’on n’essaie pas de la contredire en lui montrant quand elle viendra chercher son dut, qu’on a su profiter de ses merveilles jusqu’au bout. Mais bon, dans le « Pays des Merveilles », ont peu supposé que ses dernières sont abondantes, n’est-ce pas ? » Ses yeux s’arrondissent encore, chose que j’aurais pensé jusque-là impossible. Elle ne dit rien, se tait, comme si son silence allait me faire oublier sa présence –cela dit, je n’exclue pas la possibilité ce cet événement, au bout d’un certain temps-. Son silence dure peu et sa petite voix s’élève à nouveau jusqu’à moi. « Vous êtes bien le chat qui a rencontré à plusieurs reprises Alice ? « La » Alice ? » Mon sourire s’étend à nouveau et je pose mes pattes sous mon menton. « Pourquoi donc cela vous intéresse-t-il ? D’autres que moi sont mieux placés pour vous parler d’elle dans ce pays, non ? »

Elle fronce les sourcils tandis que je m'allonge sur ma branche. Sa voix tend à se faire plus déterminée, sans succès hélas : « Parce qu'Alice est notre sauteuse et que si vous êtes le Chat de Cheshire, vous... » Je ris et souris, coupant à nouveau la parole à la petite chenille : « Qui dit que je suis celui que vous croyez ? » Comme pour illustrer mes dires, je viens me placer devant elle et adopte un physique semblable au sien. « Mais... » Dit-elle, incrédule. Je prends à nouveau une forme féline, puis m'efface peu à peu, laissant seulement mon sourire denté visible. « Si vous êtes si certaine de vous que ça, alors dite moi : Qui suis-je ? Qui est « le chat de Cheshire ? » Mon tons à la fois ironique et lugubre à l'air de l'effrayer encore plus qu'elle ne l'est déjà et à vrai dire, je m'en contre fiche éperdument. Pendant un temps elle ne répond pas, se contente de me fixer. Peut-être cherche-t-elle ses mots ? Je suis impatient d'entendre quel portrait va-t-elle dépeindre de moi, bien que l'avis de chacun ainsi que les dires des uns et des autres, soit quelque chose de manifestement subjectif ; m'arrachant à mes philosophiques pensées, la petite chenille prononce enfin ses paroles : « A en supposer par ce que je peux déduire de ce que je vois là, et de ce que je sais, j'ai la forte intuition que vous êtes le chat de Cheshire. Politiquement correcte, à ce jour personne ne parle de vous comme vraiment engagé dans certaines causes, vous faites principalement ce qui est le mieux pour vous. On dit le plus souvent que vous êtes fou, que vous parlez pour dire des choses à tour censés, à tour insensé... ». En plus de mon sourire, je laisse apparaître mes yeux ; ils sont perçant, énigmatiques, ils déroutent la plus part du temps ceux qui s’aventurent à les regarder trop longtemps. Je prends la parole à mon tour, contredire les gens est un de mes passe-temps favori, surtout quand j’ai raison : « A vrais dire, je n'aime pas m'engager dans ce genre de polémiques, c'est trop divergent pour moi, mais si vous voulez mon avis, ce n'est pas parce que je suis diffèrent de vous que je suis fou, c'est une question de point de vue, de mentalité, d'éducation... et quant à mes paroles, un chat-foin à droit de dire ce que bon lui semble tant qu'il ne ment pas, n'est-ce pas ? Mais allez-y, je vous en prie ma chère petite continuez. » Face à elle, j'examine la mine déconfite de la petite chenille ; elle a bien fait de se perdre, au moins je n'ai pas à bouger pour avoir de l'animation. « Certain dires disent aussi que vous avez rencontré la Alice deux fois et qu'à chaque fois vous l'avez aidé... et c'est drôle car tout le monde affirme des choses sur vous, certain sans même vous avoir rencontré, et la plupart de ces choses sont contradictoires... on dit que vous êtes seul que vous avez autant d'alliés que la reine de coeur à d'ennemis, que vous êtes méchant, que vous êtes gentil... vous êtes à la fois inférieur et supérieur. » Je ris, la saluant d'une révérence désignant ma soit-disant supériorité (royale ou non) avant de répondre avec ironie : « Non, vraiment ? Vous croyez ça ? » Elle hoche doucement la tête. Je prends alors pour forme physique celle de la reine et dit d'une voix exagérée comme pour imiter la sienne : « et, suis-je plus inférieur ou supérieur d'après vous ? » La petite chenille se contente de sourire et de dire : « Aucune idée, à vous de me le dire ! Mais en tout cas, une chose est sûre, vous êtes le chat de Cheshire. »

Je souris alors, prenant à ce coup forme féline. Mon sourire fend mon visage tandis que celui de la chenille face à moi se contente d'une moue faible. « Si vous voulez tout savoir, je ne sais moi-même même pas qui je suis, je me souviens juste m'être éveillé ici, comme ça n'avoir jamais connu autre chose que ça et d'avoir bâti ma vie à partir de là. Peut-être ai-je oublié en me cognant ? Peut-être avais-je une famille ? Peut-être, mais maintenant j'ai bâtie mon existence en la réduisant au moment présent ; d'ailleurs, en parlant de moment présent, il est surement temps pour vous de rentrer chez vous ! » Consentant à mes paroles, elle tourne la tête à droite puis à gauche avant de me demander son chemin. Pour toute réponse, je lui désigne deux espaces opposés avant de disparaître. Supposant que je ne suis d'aucune aide là-dessus, elle part dans une autre direction. Je retourne donc à mes occupations, me postant sur une branche et suite à cette conversation plutôt éloquente, je m'endors. Chose rare à vrai dire, bien que je sois un chat, là. La plupart du temps, je me lève aux aurores et me couche à l'aube parce que le monde des rêves est cruel. Il nous laisse entrevoir l’inaccessible magie de ce monde le temps d'une nuit, nous faisant la plupart du temps oublier à notre réveil.

Quand on n’a la chance de s’en souvenir, c’est toujours l’horreur la plus totale ou le bonheur suprême qui s’offre à nous. Et à ce moment-là, on se rend compte qu’on est cruel envers nous-même, parce qu’âpres tous, les rêves viennent de nous pas vrai ? A mon réveil, je crois toujours être en train de rêver. Je suis dans un lieu étrange, sous une forme humaine plutôt suspecte, ma vue est elle aussi est anormal, les couleurs me parviennent avec des teintes plutôt excentriques et le plus saugrenu dans tout ça, c’est que quand je veux prendre forme féline, je n’y arrive pas. C’est purement inexplicable. J’essaie alors de me repérer dans l’espace, qui est d’ailleurs tout aussi curieux que je le suis. Je fais quelques pas, trébuche, me relève, essaie à nouveau de prendre une autre forme, sans succès. En relevant la tête, je tombe nez à nez avec un jeune homme aux cheveux courts et châtains,  aux yeux bleus, et affichant une expression effrayée ; ce dernier me prend tellement par surprise que tombe en arrière. Je suis totalement désorienté. C’est à peine si je me rends compte que le jeune homme au physique, n’est autre que mon reflet dans le miroir. Mon nouveau reflet, celui d’humain dans un nouveau monde, un monde diffèrent du pays des merveilles.