J'avais sursauté quand une main s'était refermée autour de mon poignet alors que je quittais mon lieu de travail. Je ne le connaissais ni d'Eve  ni d'Adam, du moins c'était ce que je pensais alors, mais la façon qu'il avait de me regarder avait éveillé quelque chose en moi et je n'avais même pas eu trop de mal à le croire lorsqu'il m'avait affirmé être mon père. Ca faisait sens, à sa façon de me parler, de me couver du regard. Et je l'avais reconnu, me rappelant de cette voix autoritaire, mais rassurante qu'il employait avec moi depuis ma petite enfance. J'avais trouvé ses retrouvailles étonnamment douces, puis, mon père m'avait questionné sur Cendrillon et j'avais eu l'impression de me prendre une claque monumentale en pleine figure. J'avais pâlit tandis que mon père m'expliquait ce qu'il avait comprit depuis notre arrivée ici : ce nouveau monde, ses souvenirs floutés, ces nouvelles identités. Le passé, mon passé. Cendrillon, mon épouse et notre histoire d'amour, notre rencontre à ce bal donné au château et toutes ses filles se pressant dans la salle de bal. Ces filles maladroites, si maladroites et disgracieuses en comparaison à Cendrillon. Ces filles qui s'efforçaient de me faire impression dans l'espoir de provoquer un coup de foudre... Une rouquine et sa soeur. Anastasia. La soeur de Cendrillon. Sa demi-soeur. Anastasia. Paige. Devant mon air perturbé face à toute cette prise de conscience, mon père avait attrapé ma main, la pressant et me rassurant en m'expliquant que maintenant qu'il m'avait retrouvé, tout ne pouvait que s'arranger, doucement. Sauf que j'avais autre chose en tête. Il fallait que je vois Paige. Mon père me demanda de venir dîner avec lui le soir-même et j'accepta avant de lui fausser compagnie.

Dégainant mon téléphone portable, j'envoya à la jeune femme un texto pour lui demander de me rejoindre sur le champ. Elle me demanda de la rejoindre autour de café et j'accepta, tout en sachant pertinemment que je n'allais pas rester pour siroter un café avec elle. Anastasia. Cette fille n'était autre que mal belle-soeur et elle devait être au courant. Forcément. C'était trop gros, comme coïncidence. Alors que j'étais incapable de comprendre ce qu'il m'arrivait, elle avait dut me reconnaître. Elle m'avait vu, sans Cendrillon et elle avait saisie joyeusement une occasion de blesser sa demi-soeur, m'utilisant comme un jouet pour cela. Une énième fois, j'avais eu ce rôle. J'étais une espèce de trophée pour cette fille, comme je l'avais été le jour de ce bal et comme je l'étais depuis. Et Cendrillon... Il fallait que je la retrouve. Bon sang, j'avais embrassé Paige. J'avais trompé ma femme. Portant une main à mes lèvres je rejoignis rapidement le lieu de rendez-vous. J'entra, le coeur battant, un goût amer plein la bouche. Je la repéra rapidement, attablée avec une tasse de café et la rejoignit d'un pas vif, le visage fermé. Elle m'adressa un sourire qui vint se faire plus petit lorsqu'elle vit à ma tête que quelque chose n'allait définitivement pas. Ne m'asseyant pas, je posa mes mains sur le dossier de la chaise libre en face d'elle et prit la parole d'une voix tranchante. C'est fini, arrête de me mentir, Anastasie. Inutile de m'embarrasser des politesses. Si elle avait bien fait ce que je la soupçonnais d'avoir fait, elle ne méritait pas la moindre marque de politesse de ma part.

Je me sens absolument monstrueux. Si seulement j'avais put retrouver mes proches, mon père, plus tôt, avant de commettre toutes ses erreurs. Si seulement Cendrillon avait été là, tout le temps. Ou était-elle d'ailleurs ? Si elle avait été là, je ne me serais jamais rapproché de Paige. Non, d'Anastasie. C'était Anastasie, tout comme je n'étais pas Enzo. Nous étions seulement comme figés dans une pièce de théâtre absurde. Il fallait que j'arrive à m'en convaincre. Je ne voulais pas m'imaginer capable de tromper la fille que j'aimais. Car oui, je l'aimais. Lorsque je m'étais marié, je pensais tout ce que je disais. Je la voulais et je la veux toujours. Si elle était là, je n'aurais même pas songé un seul instant à voir ailleurs, si je m'étais souvenu avec certitude de mes sentiments pour elle, si tout n'était pas si flou. Par dessus tout, Anastasie me prenait pour un idiot, me demandant de m'expliquer, comme si elle n'était pas déjà en courant. Elle avait vraiment décidé de me pourrir la vie. Je ne voulais pas rester dans ce café, je ne voulais pas admettre que je ressentais pour cette fille des sentiments que je ne devrais avoir qu'à l'égard de Cendrillon, de ma femme et sûrement pas de son odieuse belle-soeur. Je ne pouvais pas imaginer que Paige soit malfaisante, mais Anastasie avait causé de la peine, à l'image de toute la belle-famille de Je voulais partir, retrouver mon épouse et pouvoir effacer tout ce qui s'était passé depuis mon arrivée dans ce monde étrange. A la place, ne cédant pas à cette envie de me montrer lâche, je me laissa tomber sur la chaise en face d'elle et prit mon visage entre mes mains. Arrête de me prendre pour plus bête que je ne le suis répondis-je. J'avais découvert le pot aux roses alors pourquoi s'entêtait-elle à nier ? J'avais mal à la tête, je ne savais plus quoi dire ou quoi penser. Je me mordis la lèvre et respira fort avant de baisser enfin mes mains au bout de quelques instants. Il fallait que je me calme. Je sais que tu as tout prévu. Et c'est monstrueux. C'était pas clair jusqu'à présent, mais maintenant mon père m'a parlé et ça l'est. Maintenant c'est clair, alors tu peux arrêter de me mentir ajoutais-je d'une voix trébuchante, mais non moins froide pour autant. Je passa une main sur ma nuque et fit basculer ma tête en arrière. Je n'arrivais plus à la regarder. Au bout de quelques instants, je me redressa, éreinté par toutes ses révélations. Juste, arrêtes ajoutais-je plus doucement d'une voix presque suppliante.

Elle avait vraiment l'air perplexe, mais j'essayais de ne pas y faire attention. Je préférais croire en une théorie de conspiration contre moi et plus personnellement contre Cendrillon. Sans doute car ça le déléguait de mes responsabilités, me rendant plus victime que coupable. Je préférais penser qu'Anastasie était une bonne actrice aussi manipulatrice que sa mère. C'était plus simple, mais elle ne m'aidait pas en ce sens. En même temps, elle n'allait pas avouer avoir fichu ma vie en l'air. Elle me demanda pourquoi je pensais qu'elle se moquait de moi. Je ne répondis pas, au bord de la crise de nerfs. J'en avais juste tellement assez des questions. J'en étais arrivé à un point ou tout ce que je désirais, c'était des réponses. Je ne voulais pas avoir à justifier de mes actes et pourtant, il le fallait. Et bon sang, ça me paralysait. Je repris la parole en ignorant la question et alors que je refermais la bouche, un déclic sembla se faire dans sa tête, comme si quelqu'un venait brusquement d'allumer la lumière. La même sensation que lorsque mon père avait dissipé mes doutes en me prenant à part. J'acquiesça la tête lorsqu'elle prononça mon prénom. A croire que j'avais perdu la faculté de parler, mais pour ma défense, je ne savais pas quoi dire et tous les mots qui me venaient semblaient rester bloqués dans ma gorge. Elle continua, insistant sur le fait qu'elle ne savait rien de tout ça. Je me mordis la lèvre. Je ne savais pas quoi croire, comment prendre tout ça. Paige, Anastasie. Quelle fille j'avais en face des yeux, qu'est-ce que je pouvais croire, en qui je pouvais avoir confiance. Je n'en savais rien et cela me provoquait un mal de crâne phénoménal. Et comme par hasard, on s'est rapproché tous les deux, au milieu de toute cette cohue ? C'est de la folie cette coïncidence, trop pour que je puisse avaler ça répondis-je d'une voix dans laquelle perçait malgré tout l'incertitude. J'étais totalement perdu.

Si elle était innocente, je pouvais comprendre que se faire accuser ainsi puisse être très désagréable, mais franchement, je sais pas à quoi elle s'attendait d'autre dans une telle situation de ma part. Elle aurait beau me crier qu'elle avait jeté ce qu'elel était aux oubliettes, je savais pertinemment que c'était possible et car je savais ça, il était normal que je doute. Je ne pouvais tout simplement pas avoir d'instinct confiance en une personne qui avait contribué à mettre en péril le bonheur de Cendrillon et mon bonheur futur avec elle. On est qui on est, tu es les deux et tu n'as pas le droit de me reprocher le fait que je puisse penser que t'es pas totalement innocente répondis-je en croisant mes bras sur mon torse. Je ne me sentais pas totalement "Henri", "Enzo" ayant un peu déteint sur moi. Henri n'aurait pas réussi à éprouver quoi que ce soit d'autre du genre à l'égard d'une autre que sa femme. Henri ne se serait jamais retrouvé dans une telle situation. C'est Enzo qui avait tout foutu en l'air. Bon sang, je détestais Enzo. Enzo était stupide, infidèle et indélicat. Je la sentais mal en face de moi (comment il aurait put en être autrement, je faisais pas grande preuve de délicatesse en ce moment), presque sur le point de pleurer. Je secoua la tête, calmé. Peut-être. Enfin j'en sais rien, mais c'est vraiment le bordel, là. J'étais ami avec Javotte en plus. Bon sang, c'était le monde à l'envers. Anastasie n'avait pas tord, c'était peut-être elle, peut-être que nous étions victimes tous les deux. Est-ce qu'il me fallait à tout prix un coupable de toute façon ? J'en savais rien car si je n'en trouvais pas, je sais que je me définirais moi comme tel. Je ne voulais pas de ce poids sur ma conscience.

Et voilà que mainteant, c'était moi qui me faisait engueuler. Je gardais la bouche fermée, même si ça m'exaspérait. J'avais le droit de la classer parmi les méchants car elle ne faisait pas partie des gentils, pas Anastasie, pas dans notre monde. Je n'étais pas chez moi en ce moment, je refusais de considérer cet endroit comme ma maison. Je ne savais pas d'où me venais cette envie de me raccrocher au passé, à ma vraie vie en tant que prince Henri mais c'était là, profondément enraciné à moi. Je ne voulais pas faire de distinction entre Paige et Anastasie car il s'agissait de la même personne. Pourtant, je n'étais pas stupide, simplement dans le déni. La jeune femme devant moi n'avait rien de la chipie de demi-soeur de Cendrillon, pas de mon avis. Paige avait été plus là pour moi que n'importe qui depuis notre arrivée ici. A défaut d'avoir ma femme, mon alliée, je l'avais trouvé elle et je m'y étais naturellement attaché. Je savais que je passais peut-être pour un foutu égoïste, mais est-ce que je n'en avais pas le droit ? J'en sais rien ! Lançais-je avec un haussement d'épaules. Je ne suis pas dans ta tête. Alors oui, nous nous étions considérablement, vraiment considérablement, rapprochés aujourd'hui, mais dans le fond, nous ne nous connaissions que superficiellement vis-à-vis de nos passés respectifs. Je ne savais pas à quoi m'attendre et à défaut de pouvoir le faire, je choisissais de m'attendre au pire. Anastasie semblait avoir repris du poil de la bête et me lança d'aller retrouver Cendrillon plutôt que de m'embêter à lui faire la conversation. Je me calmais doucement et secoua la tête. Je ne peux pas dis-je. Je ne pouvais pas feindre que rien n'avait changé, je ne pouvais pas redevenir l'époux de Cendrillon, aimant, bienveillant, idéal. Car je ne collais plus à ce portrait. Au vu de ma façon de parler, j'avais même plus grand chose d'un prince, mon père ne serait pas super fier. Mais j'avais autres choses à penser. Je me r'installa sur ma chaise, en lui jetant un petit regard d'excuse, histoire de lui signifier que même si j'avais des doutes, je n'aurais pas dut m'énerver à ce point. Je ne peux pas retourner auprès de Cendrillon et faire comme si tout n'avait pas changé, comme si je n'avais pas changé.

Elle comprenait pas. En même temps, je lui donnais pas franchement non plus toutes les cartes à avoir en main pour bien comprendre ce que je voulais dire. Alors, oui, évidemment que je pouvais partir d'ici, taire tout ce que j'avais bien put ressentir pour cette Paige et feindre que rien n'avait changé, que j'étais amoureux de Cendrillon comme au premier jour, lorsque nous avions dansés au bal. Je ne pouvais pas faire ça à mo épouse. Soit, j'avais merdé en me rapprochant de sa demi-soeur, mais je tenais trop à ma femme pour la faire souffrir en lui mentant. Je la respectais trop pour cela. Et je me respectais trop pour ça, moi aussi. Je ne voulais pas vivre toute ma vie avec des regrets et cette culpabilité pesant lourdement sur ma conscience. Non. Je ne voulais pas être un menteur. Je n'avais pas été élevé ainsi. Je ne parle pas de mon statut de prince, c'est dans mon sang et ça le sera toujours répondis-je. A vrai dire, pour tout ce qui ne concernait pas ma vie amoureuse, j'étais très heureux que mon père ai éclairé ma lanterne. Je m'étais retrouvé. J'étais prince de mon royaume et j'avais de la chance. Ma mère m'avait aimé très fort et mon père m'aimait tout autant. Il avait son caractère, mais il ne voulait que mon bonheur et l'avait mainte fois prouvé. J'avais de la chance et j'étais heureux de m'en souvenir. Tout aurait parfait, si ce n'était pas autant le foutoir côté coeur, à vrai dire et ça, je ne pouvais en parler à mon père. Il ne me pensait sans doute pas capable d'avoir l'outrage de m'amouracher d'une autre que mon épouse et je ne lui reprochais. Si je n'étais pas moi, je penserais pareil. Anastasie, ou Paige, je ne savais pas comment l'appeler, ne me regardait plus, visiblement mal à l'aise. Super, au moins nous étions deux. Il va falloir que je la retrouve et que je lui parle de... Et bien de nous. Répondis-je. Il allait falloir que je lui raconte tout ça et bon sang ce que je redoutais ce moment.