Assise à mon bureau, j’attends avec impatience, et ce pour la première fois, la fin de ma journée de travail, je n’entends que le tic-tac incessant de l’horloge accrochée derrière moi. Mes doigts pianotent sur mon bureau tandis que j’observe les dernières personnes assises à une table ou debout dans un rayon, cherchant quel livre ils vont dévorer cette fois. Je suis fatiguée. Je dépose ma main sur mon ventre arrondi par le petit-être qui y grandit, il a fait des siennes cette nuit, m’empêchant de dormir quelques heures. Impossible de prendre congé, je dormirais cette nuit. Ce petit bout, dont je ne connais le sexe, est tout ce qu’il me reste de celui que j’aime. Adam, nommé dans mon village « la Bête ». Je m’en souviens comme si c’était hier.

Gaston était une nouvelle fois venu me parler. Mais pour qui me prend-il ? Je ne suis pas une de ces filles qui feraient tout pour le satisfaire, de plus, comment n’a-t-il pas compris que je ne voulais pas d’un homme tel que lui ? Père est parti, il aimerait présenter son invention dans une ville voisine. Je me demande quand il rentrera. Un bruit se fait entendre et je tourne la tête pour apercevoir Philibert, il a l’air apeuré. Et surtout, il est seul. Il ne tire plus la charrette et mon père n’est pas avec lui. Que s’est-il passé ?! Bien décidée à retrouver celui qui m’a élevée, je prends le temps de calmer Philibert. Il faut que je le monte si je veux retrouver mon père. […] Nous traversons la forêt, c’est la première fois que je m’y rends seule. Je n’aime pas cette ambiance, les arbres se referment sur moi, comme pour m’empêcher de sortir. J’intime à Philibert de se dépêcher et enfin, j’aperçois les murs d’un château que l’on croirait abandonné. Alors il est ici ? Je pousse les portes en bois, produisant un bruit sourd, il faut à tout prix que je le retrouve. J’entre, on dirait bien que le château est abandonné depuis des années. Je regarde tout autour de moi, c’est immense, il y a un escalier magnifique, de grandes fenêtres. Si tout pouvait être rénové et nettoyé, cet endroit serait certainement sublime. Seulement, je n’ai pas le temps. J’ouvre la porte la plus proche, à ma droite, un escalier descend. Ne sachant à quoi m’attendre, et suivant mon instinct, je descends. Il est bien là. « Papa ! » Je m'avance dans le but de le libérer mais je sens une présence derrière moi, gigantesque et sombre. Je me retourne et aperçoit une bête qui me regarde férocement. Je l'implore de nous laisser partir, mon père et moi, en vain. Il refuse, encore et encore. Alors, je tente le tout pour le tout. « Laissez partir mon père, je resterai. » Ma proposition a l'air de l'intéresser puisqu'il l'accepte. Je n'ai même pas pu dire au revoir à mon père que cette bête l'a emmené.

Il m'emmène dans une chambre, tout en m'interdisant l'accès à l'aile qu'il occupe. Ce n'est pas comme si l'envie d'aller le voir risquait de me prendre un jour. Je n'étais ici qu'en échange de la liberté de mon père. J'apprends que cet homme, si je puis le qualifier de cette façon, m'invite à dîner en sa présence, ce que je refuse malgré les réconforts d'une certaine Mrs Samovar, et de son fils. L'apprenant, il m'interdit formellement l'accès à la nourriture. Est-il donc sadique à ce point? Un soir, affamée, je me décide à sortir de ma chambre en quête de nourriture. J'ai rencontré alors ceux qui deviendraient mes amis plus tard. Ils m'ont offert un dîner spectaculaire. Incroyable. Jamais, je n'aurais cru voir cela un jour.

Et alors, je tombe sur ce qui changera tout. Entrant dans la chambre de la Bête, je découvre une rose, sous une cloche. Elle est magnifique. Je m'approche pour la toucher, et au moment où ma main va pour l'effleurer, un cri retentit, glaçant tout mon être. Il me hurle de sortir de son château, ce que je fais sans demander mon reste. Je cours à travers la forêt, mon souffle devient de plus en plus rauque. Je m'arrête pour reprendre mon souffle et lorsque je relève la tête, une meute de loups m'entoure. Je me vois déjà mourir, agonisant dans cette sombre végétation, laissant mon père dévasté. Je ferme les yeux en attente d'une douleur qui ne vient pas. Celui qui me retient prisonnière depuis quelques temps est devant moi, il se bat contre eux pour me protéger. Les loups finissent par s'en aller. J'aurais pu retourner dans mon village, le laisser là, blessé. Mais non. Je l'ai raccompagné et soigné.

Je sens des coups, mon coeur bat plus vite, des larmes se forment dans mes yeux. Je voudrais tellement qu'il soit là, Adam. Cet homme qui m'a sauvé la vie, qui m'a appris à aimer. Là-bas, dans son château, j'ai enfin pu découvrir ce qu'était l'amour. Mon père ne me manquait plus, j'étais heureuse avant que j'apprenne mon père malade. Ce soir-là, au dîner, je me plains. De ne plus voir mon père. Je ne lui dis rien pour la maladie, il sera vite sur pied si je suis avec lui. Et dans le miroir, ce soir-là, je vois mon père dans les bois. Que fait-il là? Il me laisse partir, je prends avec le miroir, il me l'a offert. J'ai presque les larmes aux yeux lorsque je sors. Allez Belle, reprends-toi, il ne faut pas pleurer... Je remarque alors un jeune homme devant moi. « Vous allez bien mademoiselle? » Je souris et hoche la tête. « Que voulais-tu? » Il vient juste rendre les livres qu'il a emprunté. Je me lève et vais les ranger mais mon esprit ne me laisse pas tranquille. Je pense toujours à Adam, le jour où mon amour l'a fait redevenir un magnifique prince. Et puis, ce funeste jour où nous avons disparus pour nous retrouver ici.

Assise dans l'herbe, près de la maison où je vis avec Adam, je pense. Comment est-ce que je peux lui annoncer une telle chose alors que nous ne sommes pas encore mariés? Parce que oui, je suis enceinte. Au début, je me pensais malade, j'avais peur de mourir. Ma mère ne pouvait pas me rassurer, elle n'est plus là depuis si longtemps. Alors j'ai demandé aux femmes du village, plus âgées que moi, plus matures. Toutes ont été intransigeantes : « Tu es enceinte. » Je vois justement Adam se diriger vers moi, tout sourire. Je lui souris en retour, il prend ma main et puis plus rien. Un éclair blanc nous aveugle. Et lorsque je me réveille, je suis dans un pré, dans un monde qui m'est inconnu. J'y rencontre un couple de personnes âgées qui acceptent de m'héberger puis de me conduire à la ville. Où suis-je?

Et me voilà, cinq mois que je suis dans ce monde. Je ne connais personne, je suis perdue, ça me fait peur. Même si je commence à m'y habituer, je me comporte normalement pour eux, j'aimerais rentrer chez moi.