Il était une fois un palais. Et dans ce palais vivait une race toute particulière de guerrières ailées. Il était une fois un chasseur, qui, accompagné d'un de ses fidèles serviteurs, décida que la tête d'une de ces créatures constituerait son plus beau trophée. Il était une fois un homme, un esclave, dont le cœur fut assez pur pour que, sans se poser la moindre question, il sacrifie sa vie, s'interposant entre l'une de ces beautés et la flèche de son maître, qui devait la transpercer. Touchée par tant de courage et de bienveillance, la belle sacrifia ses précieuses ailes en échange de la vie de son sauveur. De leur amour naquit une petite fille, qu'ils décidèrent d'élever parmi les hommes. Et ainsi commença mon histoire.

Je suis née Toothiana, dans un village au sud de l'Asie. J'ai vécu une enfance tout à fait normale, aimée de ma famille et choyée par elle. Tout se passa à merveille jusqu’à mes douze ans, jusqu'à ce que je perde ma dernière dent de lait, une chose étrange arriva alors. De grandes ailes translucides et reflétant les couleurs de l'arc-en-ciel apparurent dans mon dos, tandis que mon corps se couvraient de plumes vertes, indigo et dorées, si bien qu'en quelques instants, je ressemblai plus à un oiseau qu'à une petite fille. Aussi étrange que ça puisse paraître, j'en fus pourtant enchantée. Quelle petite fille ne rêve pas de magie, de pouvoirs, de fées ? Et voilà que moi, j'avais tout d'une vraie.
Pourtant, aux yeux des autres villageois, je tenais plutôt du monstre. Après plusieurs tentatives vaines d'explications et de négociations, mon père et ma mère décidèrent de m'emmener loin de cet endroit, loin de ma maison, désormais devenu une terre hostile. Ils payèrent ce sauvetage de leurs vies. Et c'est seule que je dus alors tracer mon propre chemin. Désespérée et endeuillée, je refusai de m'alimenter durant plusieurs jours. Mais à quoi bon ? Fallait-il que la perte de ma famille, déjà cruelle s'avère aussi être vaine ? Non. Je devais vivre, pour eux.

Alors j'errai, par delà les forêts et par delà les montagnes pendant des jours, des mois, des années peut-être. Jusqu'à ce qu'enfin, aux dessus des nuages, je découvre un mystérieux palais flottant. Il me sembla abandonné, mais à peine y entrais-je qu'un petit groupe de créatures mystérieuses m'y accueillit. Elles m'étaient semblables, enfin si l'on excluait le fait qu'elles me dominent toutes de près d'un mètre, que leurs ailes scintillaient avec bien plus de vivacité et que les couleurs qu'elles portaient me parurent bien plus chatoyantes que tout ce que j'avais pu observer auparavant. Elle me racontèrent comment débuta mon histoire, et je leur en confiait la fin. La mort de ma mère les attrista. Et elle m'annoncèrent alors une terrible nouvelle. Elles étaient à la fois toutes et une, et la disparition de l'une des leurs, signifiait la disparition de toutes. Et c'est ainsi qu'elles se changèrent une à une en magnifiques sculptures de bois à leur image. Magnifiques, mais froides et inanimées. À moitié humaine, je n'étais quand à moi pas touchée par ce lien étrange.
Et je me retrouvai donc seule une fois de plus, maîtresse d'un immense et magnifique palais, mais si vide qu'il m'en parut effrayant.

Plusieurs lunes se levèrent, et déclinèrent, au point que je finisse un jour par ne plus les voir. Et pourtant un soir, je la vis, elle me parut tout à fait différente, comme si elle m'appelait, comme si elle se mouvait, comme si elle était « vivante ». Je n'entendis aucun mot, aucun bruit cette nuit là. Et pourtant je sus alors ce que j'avais à faire.

Gardienne de la mémoire et des souvenirs, mon rôle était désormais de collecter les dents de lait perdues par chaque enfant et de les conserver précieusement. Car c'est dans celles-ci que sont stockés les souvenirs heureux, et en les protégeant, je pourrais ensuite les rappeler à leurs propriétaires le moment venu. Un travail colossale pour une jeune femme seule et inexpérimentée comme moi. Mais la vérité, c'est que je ne fus dès lors plus jamais seule. Alors que je me demandai comment accomplir cette tâche sans aide. Une dizaine de minuscules petites fées ailées, et arborant les même teintes que moi apparurent. J'en fus transportée de joie, et plus je souriais, plus elles apparaissaient, par centaines, puis par milliers. Comme par magie !

Alors débuta véritablement ma carrière, j'étais désormais Toothiana, la Fée des Dents. Échangeant les belles petites quenottes de mes protégés contre un peu d'argent ou de petites surprises, et les gardant bien à l'abri jusqu'à ce qu'elles soient de nouveau nécessaires.

Ces longs siècles furent sans doute la meilleure période de ma vie. C'est en ce temps là que je rencontrait les autres : le Père Noël, le Marchand de Sable, Le Lapin de Pâques et Jack Frost. Ensemble nous vécûmes de fantastiques aventures, notamment un certain combat contre le Croque Mitaine Pitch. Mais ceci est une autre histoire.


C'était terminé !
Après avoir traversé des temps plus que mouvementés suite aux sombres desseins de Pitch, le calme était enfin revenu pour nous. Enfin le calme, si je puis dire. Comme tous les jours de l'année, il y avait énormément d'enfants à satisfaire et je songeais depuis quelques temps à faire mon grand retour sur le terrain. Superviser les opérations depuis le palais était important, mais m'avait éloignée de ce que j'aimais le plus de mon rôle de gardienne : les enfants.



Je n'eus pourtant guère plus de temps pour penser à mon avenir en tant que gardienne. Car il me fut soudain arraché, comme ça, en un claquement de doigts. Un instant les murs de mon palais m'entouraient, et le suivant ils s’effondraient tout autour de moi, à moi que ce soit moi qui m'effondrai au milieu d'eux. Toujours est-il qu'un battement de cils plus tard, j'étais en plein milieu d'une ruelle humaine, et un véhicule me venait droit dessus. Pas d’inquiétude, je n'avais qu'à m'envoler pour l'éviter et... ça n'arriva pas. J'avais beau essayer de toutes mes forces, rien à faire. Et c'est là que le vis, dans une vitrine, mon reflet. J'avais perdu mes plumes, mais surtout, j'avais perdu mes ailes. La voiture m'évita juste à temps et un homme en jaillit à l'instant même où elle termina sa course.

Mais moi je ne vis rien, la seule chose que contemplaient mes yeux, aussi écarquillés que s'ils allaient sortir de leurs orbites, c'était mes mains tremblantes, et mes poignets, et mes avants-bras, complètement découverts. Mon regard se porta une fois de plus sur la vitrine. Et j'éclatais en sanglots, enserrant mes épaules de mes mains, m'enfonçant les ongles dans la peau jusqu'au sang.

« Est-ce que vous a blessée ? Je pensais qu'on vous avait évitée... Vous avez mal ? »

Je me rendis enfin compte de la présence de cet individu, et je levai les yeux vers lui, mais sans le voir pour autant. Ce que je voyais, c'était toutes les étoiles qui illuminaient le ciel, et qui me rappelaient étrangement les points lumineux qui scintillaient sur l'immense globe de North, chacun d'eux symbolisant un enfant qui croyait en nous. Je cessai alors de sangloter, sans pour autant pouvoir mettre fin à la course des larmes qui parcouraient mes joues pour venir perler sous mon menton. Dans un souffle, je murmurai :

« Non. Je n'ai rien... Mais les enfants ils... ils m'attendaient... »