Les mots sont encore un peu maladroits, le stylo glisse entre mes doigts. Mais je ressentais cet instinct maladif qu'il me fallait rédiger tout ça, garder une trace, quelque chose à relire lorsque... lorsque je ne pourrais plus faire que ça, lire. Viendra un jour - bien trop proche -, où mes propres jambes ne seront plus capables de me porter. Un jour où absolument chaque partie de mon corps, une à une, s’éteindra. Je me verrais, pourrir, périr à petit feu, et je n'aurais plus que mes souvenirs à remuer au fond de mon lit. Certainement seul, mélancolique, empli de regret. Vieux avant l'heure. Arraché à une vie pour voir la seconde brûler par les deux bouts sans même l'avoir allumer. Je déteste tout. Absolument tout. Et une partie de moi déteste même le fait que je déteste tout ! Mes pensées sont embrouillées, je ne me sens même plus capable de penser, je ne m'entends plus moi même. Je ne suis capable que de voir. Voir mon corps se paralyser. C'est comme si l'on avait disposé un interrupteur rouge sur chaque partie de mon corps, et que une à une, les petites lumières s'éteignant, signifiant la désactivations pur et simple desdits membres. La mort est inévitable, c'est une chose que tout être vivant sait. Mais le pire de tout, c'est de savoir quand et comment cette faucheuse sans visage vous arrachera votre bien le plus précieux. Mais de ne rien pouvoir y changer.

Mais... si je veux faire ça correctement, il faut que je commence par le début...

Beurk.

Certes, on peut dire que, niveau nom, certains efforts auraient pu être faits. Mais pour une ville telle que celle-ci, c'était plutôt adapté. Beurk, c'était comme nul part ailleurs. On pourrait évoquer les vikings, les bagarres, l'isolation, la flore, l'humour douteux, les prénoms plutôt étranges, les manies et habitudes bizarres ou encore les fêtes endiablées. Mais rien - absolument rien - ne pourrait dépasser leur redoutables ennemis : Des Dragons. Moi. J'étais un dragon. Pas le plus grand, peut-être pas le plus beau, et certainement pas le plus dangereux, mais pourtant... ce n'était pas ce que semblaient penser les villageois. Il me craignait, tentant de m'exterminer. Pourtant, je pensais ne rien faire de mal. Voler, attraper, manger. Rien que des bêtes. De toute manière, la chaire humaine me répugnait - si je me souviens bien. Enfin, pas que j'ai jamais goûté ! - je crois... Je suppose que j'avais une certaine particularité qu'ils ne parvenaient pas à oublier : j'étais le dernier de mon espèce. Pas de tout les dragons, ce serait bien triste, mais juste la dernière des furies nocturnes - ce qui, selon moi, est suffisamment triste comme ça.

Mais tout bascula du jour au lendemain. Touché pour la première fois. Au sol, blessé, incapable de bouger. Et pourtant sauvé. Secouru par mon attaquant. Ce jour-là ne fut pas marqué dans les esprits comme le jour où la furie nocturne tomba. Il fut marqué comme étant le jour où les barrières séparant les humains des dragons s'effondrèrent. Plus rien ne fut jamais pareil. Harold changea la face du monde, il fit des dragons et de Beurk – ennemis de toujours – des alliés. Des meilleurs amis. Mon meilleur ami. Rien ne nous séparait. Entre nous, pas besoin de mots, rien de superficiel. C'était pur, beau, innocent. Deux compagnons de jeu, deux explorateurs, deux gosses. Sans mensonges ni illusions, aucune hypocrisie. Juste nos deux, contre le reste du monde. Il entra dans la légendes, moi à ses côtés. Ou bien le contraire ? Peu importait. Nous n'étions, de toute manière, pas le moins du monde séparables. Nous nous pensions même invincibles. Des héros, que jamais rien ni personne ne pourrait mettre à terre. Nous l'étions. Je suppose... d'une certaine manière. Mais nous n'étions pas éternels. Ce monde entier ne l'était pas. Tout à une fin. Nous ne pensions juste pas trouver quoique ce soit après.

Fantasia Hill.

Surtout, nous n'aurions jamais osé imaginer ce genre de seconde vie. Je suis arrivé totalement sonné, comme tout le monde je suppose. Mais surtout, j'y suis arrivé humain. Sur deux jambes, sans aucune ailes. C'était dur. Plus que dur. Humain. C'est à peine si j'arrive à le réaliser, encore aujourd'hui, même après deux années. Deux longues années, loin d'être de tout repos. Sans trop savoir par quel miracle, j'ai plus ou moins bien réussi à me ressaisir. Une nouvelle nature, une nouvelle ville, de nouveaux objectifs, de nouvelles passions, de nouveaux rêves. Je suis parvenu à oublier tout les mauvais côtés de cette condition pour me focaliser sur les positifs. Je suis resté fidèle à moi-même. Le plus dur, c'était l'absence d'Harold, mais je savais que je finirais pas le retrouver, puisqu'une vie sans lui ne rimait à rien ; une vie sans lui était bien trop fade.

Enfin, tout cela, c'était avant. Avant la catastrophe, avant que les griffes de la bête ne se referment sur mon épaules. Tout cela, ce n'était que les trois courts premiers mois. Après, ce ne fut qu'une cascade d’atrocités, s'abattant sur mon dos, me coupant le souffle. M’étouffant. Me brûlant avec le souffle glacé de la mort. Petit à petit. Sans fin.

Tout à commencé un vendredi après-midi. J'attendais ce jour depuis des mois - depuis mon arrivée en fait. Voler à nouveau. Le ciel, les nuages et moi, juste nous, sans obstacles, sans obligations, sans le poids de la terre en bas. Mais très vite - trop vite -, la gravité m'a rattrapée et m'a enchaîné à nouveau. Pour toujours. Ma main s'est paralysée sur le planeur dont j'avais les commandes. Une nouvelle fois, impossible de bouger. Et je n'étais plus capable de penser qu'à ce moment où Harold m'avait touché, dans le ciel de Beurk. Je ne pouvais penser qu'à lui, et aux séquelles qu'il m'avait laissées. A celles qu'il m'obligeait à subir, encore aujourd'hui. Et pour le restant de mes jours, apparemment. J'ai cru mourir, ce jour là. Finalement non. Et le plus triste, c'est que je me demande encore si ce n’aurait pas été mieux pour tout le monde que je le sois. La suite est un peu confuse. Des flots de paroles, des journées à hôpital, des blouses blanches, des couloirs blancs, et des cheveux grisonnants. Puis, enfin, le verdict : maladie de Charcot. Dans les grandes lignes, une maladie évolutive qui, de jours en jours, me prendra tout mes muscles avant de s'attaquer enfin à ma vie. Et jamais plus je ne volerais. Alors j'ai tout quitté. Tout laissé, tout plaqué. De toute manière, à part deux paquets de feuilles blanches, trois stylos à moitié vides et une chambre en désordre - que je louais, donc qui ne m'appartenait même pas, finalement -, ce n'est pas non plus comme si j'avais beaucoup à perdre. Donc je suis parti. A peine plus que ce que je portais sur le dos dans mes valises, j'ai tout simplement fuis.

Le Monde.

Comme un vide, au creux de ma poitrine. Chaque instant de mon existence, chaque minutes de ma vie. Je le ressens, là, m’envahissant, me rappelant chaque seconde que je ne suis plus complet, plus moi. Un trou noir, aspirant chaque parcelle de mon être, une sangsue, s'accrochant à mes souvenirs. J'ai tout vu, tout fait. L’Amérique au complet, du nord, au sud - ou presque. Je ne m'arrêtais pas, je ne m'attachais pas. Je ne faisais pas ça pour le tourisme, pas pour la découverte ou la curiosité. Juste pour errer. Errer sans but, en attendant de trouver quelque chose. Quelque chose auquel s'attacher, quelque chose qui mériterait de me voir m’arrêter. Un objet, une ville, une passion... un ami. Je n'ai plus rien. Je n'ai toujours rien trouvé. Je suis aussi seul que le jour de mon départ. J'ai parcouru tant de kilomètres sans avancer d'un pas. Le Monde m'a épuisé. Fatigué, exténué. Deux ans. Deux ans que ma vie à changée, et j'en suis toujours au même point. Un pauvre gosse obligé de grandir trop vite qui ne sait pas dans quelle direction regarder. Plus rien ne sera comme avant. J'ai beau me le répéter, je n'arrive toujours pas à l'assimiler. Le poids du monde me détruit. Je suffoque. Je suis perdu. Je ne sais plus où aller. J'en ai déjà trop vu. Alors il ne me reste plus qu'une seule chose à faire. Rentrer à la maison.