Être mère. Dit comme ça, ça paraît tellement simple, presque anodin. Comme une simple étape à passer dans la vie de toute femme, comme une suite logique des choses. Et pourtant pour toi, c'est tellement plus. Devenir mère – car avoir des enfants ne suffit pas à l'être, c'est avec le temps qu'on le devient réellement – a été la chose la plus importante, et la plus incroyable qui te soit arrivée. De ton enfance de chiot, à ta rencontre avec Pongo, tu ne t'aies jamais senti aussi vivante, aussi heureuse que le jour où ces quinze anges sont venus au monde. C'est précisément ce jour-là, et pas un autre, que tu as compris le sens de ton existence, que tu y as enfin perçu une signification : tu étais faite pour ça, pour devenir mère. Tu n'étais plus qu'une simple compagne pour Anita – et Dieu que tu aimes ta maîtresse – pas une simple épouse pour Pongo : tu étais une maman, et tu le demeurerais jusqu'à la fin de tes jours. On peut ne plus être le chien de quelqu'un. On peut ne plus être l'épouse de quelqu'un. Mais une mère, ça reste toujours une mère. Qu'importe les épreuves de la vie.
Et le rôle d'une mère est si grand dans la vie d'un enfant – alors encore plus dans celle de quinze ! S'il est certain que le père joue lui aussi un rôle important, celui d'une mère est incontestable. Et tu as su le prouver à maintes reprises. Sans prétention aucune, tu penses avoir donné à tes enfants l'éducation qu'il faut. Mais surtout, tu penses avoir su être présente pour les aider – et les protéger. Tu savais, à peine étaient-ils nés, qu'il allait falloir que tu te prépares à ça, à les sortir de tel ou tel calvaire. Encore plus quand Cruella est dans les parages. Cette femme t'a toujours terrifiée, c'est certain. Elle a beau demeuré l'amie de ta douce maîtresse – et quelle amie.. - tu ne peux t'empêcher de courir te réfugier dès que tu entends freiner dans la rue son véhicule. Dieu, le jour où elle a appris que tu attendais des petits.. Tu as bien cru mourir, au fond de toi. Soudainement, tu avais même regretté d'être enceinte. Tu avais peur, si peur d'elle et de ce qu'elle comptait faire. Et tu avais eu raison de craindre ses attentions. Cette femme – que dis-je ? ce montre ! - avait kidnappé tes bébés. Et pour de si sombres raisons.. Tu n'arrives toujours pas à imaginer ce qui les attendait, si vous n'aviez pas réussi à les retrouver. Horreur ! Tes pauvres petits, quel horrible destin les aurait attendu. Heureusement, tu avais pu compter sur la solidarité de tout ce beau petit monde canin de la ville. Et bientôt, tu avais pu ramener à la maison tes quinze bébés – et quatre-vingt six de plus. Juste ça. Car oui, tes chiots n'avaient pas été les seuls a avoir été sous le joug de cette ignoble Cruella. Tant d'autres bébés dalmatiens furent enlevés par ses deux stupides collaborateurs, dans le but de subir le même sort que tes anges. Alors, quand vous aviez sauvé tes chiots, comment aurais-tu pu refuser d'adopter tous ces autres ? Comme tu le disais : tu es une mère. Et une mère ne se montre pas juste maternelle avec ses propres enfants, mais elle est capable d'étendre son amour à d'autres petits bébés. Encore plus quand ces derniers en font la douce demande, et quand aucun autre foyer ne les attend.

Vous êtes alors devenus une bien belle famille – assez peu ordinaire, mais tout de même magnifique. Sous un seul et même petit foyer, vous viviez au gré des mélodies jouées par ce cher Roger. Par toutes ces papouilles tendrement données par Anita, ta maîtresse adorée. Par toute cette attention et ces soins apportés par Nanny. Quatre-vingt dix-neuf petits bébés, devenant déjà si grands, sur lesquels veiller. À regarder grandir. À éduquer. À guider. À aimer.



Les scènes se rejouent d'elles-mêmes dans ta petite tête. Et la première chose que tu perçois, c'est le feu. Le feu partout, prenant son départ des rideaux de l'entrée. Prenant son départ à partir de la plus folle de tes colères. Tu te revois agenouillée là, regardant les flammes envahir la bâtisse. Tu te revois, cet étrange sourire aux lèvres, riant doucement face à ce spectacle. Et en y repensant, tu ne t'y reconnais même pas. Cette femme, semblant si peu lucide. Cette femme qui vient de mettre le feu à une maison – qui vient de foutre en l'air le lieu de vie d'une personne. Elle ne peut pas être toi, si ? Mais qu'est-il donc arrivé à la douce Perdita ?
Deux ans que tu es à Fantasia Hill. Huit mois passés à chercher tes enfants – ton mari par la même occasion. Deux mois à tenter de reprendre une vie normale. Deux mois en garde à vue et en liberté surveillée. Sept mois en prison. Quatre mois en centre de remise en forme. Et un mois que tu es à nouveau libre. Mais libre de quoi, exactement ? D'être à présent complètement fauchée, faute d'un procès perdu d'avance ? D'être refusée partout où tu as tenté de postuler, faute d'un casier judiciaire effrayant ? D'être encore et toujours seule avec toi même, faute de n'avoir plus aucune famille ? T'as tout perdu, tout. À l'instant même où tu as jeté cette allumette, tu as scellé ton propre destin. Et il n'est pas très joli à voir. Tu regrettes, c'est certain. Tu n'aurais jamais du te laisser emporter par ta colère – par ta folie. Mais cette Ava.. Non, non c'est obligé : pour toi elle ne peut être que Cruella. Cette femme est elle aussi dans ce nouveau monde, et tu es persuadée d'une chose : elle t'a volé tes bébés ! Elle a à nouveau frappé, et à nouveau elle s'est emparée de tes précieux enfants. Pourtant, quand tu as appelé à l'aide, personne n'est venu. Tu as été voir la police, et désignée comme une cinglée, on t'a mis à la porte sans prendre au sérieux ton S.O.S. Tu ne pouvais ne rien faire. Tu ne pouvais te permettre de continuer à vivre tout en sachant que tes petits anges étaient sans doute – sûrement – les prisonniers de cette horrible femme. Comme on dit, tu t'es donc faite justice toi-même. Mais tu n'aurais pas du, encore une fois. Ça s'est tout simplement déclenché en toi, sans même que tu puisses le contrôler. Comme une soudaine pulsion, une folie trop longtemps repoussée. Les démons ont tout simplement pris le dessus, et c'est avec un baril d'essence que tu es arrivée chez elle. C'est difficile de dire à quoi tu pensais à ce moment exact, car la seule chose occupant ton esprit, c'était juste tes enfants. C'était leur image qui était gravée dans ta petite tête, leur absence maintenant bien trop longue qui t'avait fait avoir ce déclic de folie.

Et aujourd'hui, Perdita, te voici bien avancée. Obligée de vivre dans une chambre d'hôtel – gentiment payée par la mairie de Fantasia – sans la possibilité de travailler à cause de ce séjour en prison. Ce séjour de sept mois, interminable, dont tu ne souhaites même pas te rappeler. Qui aujourd'hui est pour toi une page à tourner. À arracher de ton existence même. Une existence sans sens véritable, sans but et sans famille sur laquelle compter. À laquelle se soutenir pour parvenir à retrouver le goût de vivre, retrouver la Perdy que tu étais.