La plage était vaste. Grande. Belle. Le sable était doux sous les pieds et encore chaud de la journée passé sous le soleil. La mer, au contraire de la ville qui se dressait en hauteur, restait calme, plate, douce. Elle était comme une invitation à retirer ses chaussures et à glisser en son sein, comme pour se protéger de la cruauté dont faisait parfois preuve les hommes…

La mer… Adrina l’avait toujours associée à Athéna, sa maman. Un jour, elle avait disparu en mer et l’enfant avait toujours considéré qu’elle avait rejoint les eaux et qu’elle les entourait à présent. La musique d’Atlantica devenait son cœur battant, les vagues étaient des sourires, les courants manifestaient son amour. Athéna était toujours autour d’eux, à chaque instant… Quand elle était petite, ce souvenir était rassurant, doux. Elle restait ainsi sans cesse protégée, sans cesse rassurée et écoutée. Comme si jamais rien ne pouvait lui arriver…

Finalement, cédant à ses envies, elle retira ses chaussures et glissa les pieds dans la mer. La brise de ce début de soirée souffla doucement dans ses cheveux et dans ses vêtements, emportant avec lui l’air embrun de l’océan. L’eau était cependant un peu froide, contrastant avec le sable chaud de la plage. Pourtant, elle n’en restait pas moins accueillante, même si, aujourd’hui, cette eau n’était plus vraiment sa maman.

Plus depuis qu’elle avait été transférée ici, sur ce monde. Ce n’était plus la même eau, ce n’était plus Atlantica. Ce n’était donc plus sa maman. Au fond d’elle, ce fut comme si elle perdait une autre fois sa mère, à ne plus la sentir l’entourer et veiller sur elle.

Elle espérait au moins qu’ainsi, Athéna puisse trouver la paix qu’elle méritait tant. Qu’elle soit rassurée sur le fait que ses filles devenaient grandes et dignes, qu’elles ne risquaient plus rien. Qu’elles pouvaient de nouveau avancer malgré les difficultés qu’elles rencontraient.

Finalement, ses mains se resserrèrent sur la petite fleur qu’elle avait près d’elle alors que son parfum embaumait délicieusement, emporté par le vent. Encore un pas, puis un autre, et sa jolie robe se perdit dans l’eau, bougeant paresseusement au rythme des vagues, au rythme de ces sourires.

Elle ferma finalement les yeux pour se laisser aller à ses souvenirs, à ces faiblesses. Comme cette fois ou elle jouait avec sa grande sœur, comme celle là ou elle chantait dans les coraux, ou encore, comme cette autre fois… Comme cette rencontre, ces voyages, ces découvertes.

Andrina n’avait jamais été du genre à stagner, jamais du genre à se laisser aller à la paresse. C’était évident qu’elle finirait par quitter Atlantica pour visiter le monde, évident qu’elle rencontre d’autres sirènes, d’autres cultures. Elle n’avait pas été là pour rechercher Mélodie, elle avait raté plein de choses chez elle. Mais ce qu’elle y avait découvert avait sans doute eu son pesant d’or.

Ou son pesant de détresse.

Elle continua à avancer jusqu’à avoir l’eau à sa taille, sans jamais détacher son regard de l’horizon calme et paisible. Le vent continuait de souffler, les vagues continuaient de la frapper doucement, comme pour s’assurer de sa réalité. Un sourire se glissa alors sur ses lèvres alors qu’elle serrait sa fleur contre elle, alors que tous les souvenirs se pressaient dans son esprit.

Rares étaient les moments où elle se laissait aller ainsi.

Finalement, elle ferma les yeux et prit une grande inspiration, entonnant doucement quelques notes d’une chanson nostalgique et un peu triste. Elle continua encore un peu à avancer, fermant les yeux pour se laisser aller à ses souvenirs. Un peu, rien qu’un peu.

Mais, doucement, sa voix s’éteignit au fil de sa musique alors qu’elle se laissait se bercer doucement au rythme des vagues. Avec la plus grande de toutes les douceurs, elle posa sa fleur dans l’eau, la poussant délicatement pour l’inciter à prendre son envol à son tour. Elle la regarda partir, prendre le large pour se perdre entre les vagues. Un sourire doux s’invita sur ses lèvres avant qu’elle ne prenne une grande inspiration et ne termine sa chanson.

La mer n’était plus associée à sa mère dorénavant. Plus dans ce monde. Elle était devenue comme le recueil de sa vie passée, de ses souvenirs à présent enfouis. Seul l’océan pouvait assister à ce genre de scène et de laisser aller, seul lui pouvait lui donner des réponses.

Seul lui savait ce qui s’était réellement passé ce jour la.

Elle rouvrit brusquement les yeux, fixant la lune qui apparaissait à l’horizon et qui illuminait l’eau salée. Ces souvenirs, ces amers souvenirs. Elle voulait les enterrer, les oublier et, pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de se recueillir sur eux, ne pouvait s’empêcher de s’y adonner quand elle ne savait plus ou aller.

Personne ne pouvait répondre à ses questions pourtant. Plus personne ne pouvait le faire, à par elle-même.

Sa voix raisonna encore, la portant dans une mélodie imaginaire. Elle n’avait plus chanté depuis ce fameux jour, gardant sa voix pour elle-même, oubliant même les accorts. Personne n’avait, heureusement, jamais eu l’occasion de lui demander pourquoi ou même de s’en rendre compte. Ils avaient été bien trop vite aspirés ici.

Et la vie avait continué. Sans chanson, sans souvenirs. Avec tout à construire sur ce monde humain. Avec tout à réformer. Avec plein de rencontres et de souvenirs nouveaux… Avec des beaux et des moins beaux. Toujours le cœur prit entre deux eaux, entre deux dilemmes.

Sa vie de vagabonde était terminée. Mais une autre vie toute aussi instable l’avait attendue, à ce jour.

Finalement, elle tourna le dos à la mer, laissant sa voix se rompre et tomber dans ce silence qui était le sien depuis tout ce temps. Au sortir de l’eau, elle serait de nouveau forte, souriante et combative. A sortir de la mer, elle aurait enterré tout ces souvenirs, tout ce passé avec lequel elle ne pouvait faire la paix. De nouveau, elle pourrait dire, avec assurance :

« Je n’aime pas remuer le passé. Pour moi, il n’est que fondations, que choses qui doivent rester enfouies pour que l’on puisse continuer à avancer. Remuer le passé ne mène jamais à rien, s’attarder dessus n’apporte que nostalgie, que perte. J’aime ainsi me dire que je suis tournée vers l’avenir, que je cherche à vivre le présent tel qu’il est. Le passé doit rester à sa place, dans le passé. Derrière et lointain. »