J'étais juste un chien abandonné. A vrai dire, je n'ai aucun souvenir de ma venue au monde, de l'éventuelle famille que j'ai pu avoir avant. On a dû me délaisser très tôt. Je ne sais pas si c'est ma mère biologique qui a abandonné son chiot, ou si j'étais dans une famille qui a préféré se débarrasser d'un animal trop encombrant. Tout ce que je sais, c'est que j'étais tout seul, dans la neige, quand j'ai croisé la route de cette gentille fille. Anya. J'ai toujours eu un tempérament joueur, et son écharpe traînait dans la neige, je vous laisse imaginer l'impact que ça a eu... J'étais encore tout jeune en plus, si bien que je n'ai pas pu résister, et j'ai sauté sur ce jouet improvisé, tirant dessus pour qu'elle essaie de me le déloger de la gueule. On n'a pas joué longtemps, et quand elle a pris la route vers la grande ville, j'ai cru qu'elle aussi, elle allait me laisser là. Comme d'autres avant elle, qui sont restés insensibles à mes charmes. Mais non. Elle a eu ce petit signe de tête pour me signifier de la suivre et je crois que rien ne m'a fait plus plaisir à ce jour.

Elle aussi, elle avait perdu sa famille. Alors on était devenu celle de l'autre. Je n'ai pas trop bien compris où elle voulait aller, mais je m'en fichais, tant qu'on était tous les deux. Et clairement, je n'avais pas l'intention de laisser qui que ce soit nous séparer. Pas même lui. Dimitri. Dès le départ, il a voulu se débarrasser de moi, et je n'ai vraiment pas apprécié ça. D'autant que très vite, il y a eu quelque chose entre lui et mon Anya. Quelque chose de fort. J'étais jaloux, clairement, et je grognais à chaque fois qu'ils se rapprochait d'elle. Ils se chamaillaient tout le temps, mais c'était comme si moi, je me battais avec une jolie chienne : ce n'était pas réellement un conflit, mais plus une façon comme une autre de créer un lien, aussi paradoxal cela pût-il sembler.

Malgré tout, Anya ne m'a pas abandonné, et il a fait avec. Et quand elle a eu des ennuis, je suis naturellement venu le prévenir lui. Parce que même si ça ne me faisait pas vraiment plaisir qu'il soit si proche de ma seule famille, parce que j'avais peur d'être laissé sur le bord de la route quand ils me trouveraient trop gênant, une chose était claire : il ne laisserait rien lui arriver. Et rien que pour ça, il a toute ma gratitude. Et puis... Je ne suis qu'un chien, n'est-ce pas ?Qu'est-ce que je pouvais bien m'imaginer d'autre ? A vrai dire, je n'en sais trop rien. Ce que je sais, c'est que quand il est parti, en me grattouillant les oreilles pour me dire au revoir quand Anastasia puisque c'était son vrai nom a retrouvé sa famille, je n'ai toujours pas compris. Il était sa famille aussi. Pourquoi s'en allait-il ? D'accord, ils s'étaient disputés, je l'ai bien entendu, mais ça n'empêche... Et le pire, c'est que même moi, j'étais triste qu'il s'en aille. Finalement, lui aussi, comme la Duchesse, comme Vladimir, comme Sophie, il faisait partie de ma famille.

Je suis sorti ce soir-là, attiré par quelque chose de... je ne saurais pas trop le décrire, mais de bizarre, d'intrigant. Ma curiosité piquée au vif, je suis parti voir. J'ai entendu Anya m'appeler, quelque part en arrière, mais j'ai continué à avancer. Quelque part, je crois que j'espérais qu'il soit revenu, aussi, mais... non. Je me suis retrouvé dans un labyrinthe, et j'ai commencé à avoir peur. Et je ne sais pas qui était cet être sombre qui s'est dressé devant nous quand ma princesse nous a rejoints, mais je dois bien avouer qu'il me terrorisait. J'ai voulu nous défendre, mais qu'est-ce que je pouvais réellement, faire, avec mes petits crocs et mes petites griffes contre ces créatures glauques qui nous enveloppaient ?

Est-ce qu'il a senti que quelque chose de dramatique se produisait ? Il est revenu, il nous a protégé. Tous ensemble, on s'est battus contre Raspoutine. L'union fait la force, qu'ils disent, et ça se confirme. On s'en est sortis, tous les trois, et j'ai brièvement croisé la route d'une chauve-souris toute blanche – je croyais qu'elles étaient noires, moi... – et puis Anya et Dim sont partis sur un bateau et ils m'ont emmenés avec eux. Comme quoi j'étais idiot d'avoir peur qu'ils m'abandonnent.

Ca aurait pu se terminer là, par ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants. Enfin eux, moi je reste un chien, j'aurais pu avoir beaucoup de petits chiots remarquez, mais... Ca ne s'est pas terminé comme ça. Je me suis réveillé ailleurs, le matin suivant. Ailleurs dans le temps, ailleurs dans l'espace. J'ai débarqué là, sous forme humaine. Autant vous dire que marcher sur deux pattes, c'est particulièrement perturbant au départ. Mais j'ai un naturel assez adaptable, je crois, je me suis assez vite habitué. Et il y a plein de choses sympa, finalement, à être un humain. La parole, déjà. Les fringues, c'est super fun aussi, il paraît que ça fait un peu gay – j'ai pas encore trop bien compris ce concept – mais je m'en fiche, j'aime bien m'apprêter un minimum. Et y a tellement de jeux et d'activités amusants !

Je suis arrivé soit-disant amnésique – je pouvais pas expliquer que j'étais un chien – à l'hôpital de Fantasia Hill, après un accident : j'ai débarqué au milieu de la route et me suis fait percuter par une voiture. Un homme qu'on m'a présenté comme étant le directeur qui fourrait son nez partout est venu me parler, Nathanaël. J'aurais bien sauté de joie si j'avais pas été cassé de partout quand il m'a dit, à l'abri des oreilles indiscrètes, qu'il n'avait pas toujours vécu ici, ni été humain. On a parlé un moment, de qui on était avant, et de comment j'allais pouvoir m'intégrer ici maintenant, jusqu'à ce qu'il me donne deux options : prendre une chambre au Meli-Melo House où son meilleur ami vivait et où il était sûr que j'aurais ma place, ou venir chez lui. J'ai choisi la seconde option, sans savoir que son best, c'est la chauve-souris albinos.

Au début, je faisais la fête avec Nate la nuit, souvent, et rapidement, j'ai commencé à bosser le jour comme tout humain le ferait. Forcément, c'était parfois un peu décontenançant, mais bon on s'adapte. C'est ce que j'ai toujours fait. Et contrairement à ce qu'on pourrait croire compte tenu de mon accident, ce qui m'a vite botté ici, c'est bel et bien les voitures. Et les autres engins à roue, d'ailleurs. La vitesse, c'est on ne peut plus grisant, y a pas à dire. D'accord, y a toujours un risque, mais pour le coup, Nate, qui est là depuis beaucoup plus longtemps, m'a fait entrer dans un club de course automobile histoire que j'en prenne pas trop, de risque, et quoi dire d'autre que... c'est le pied ! J'ai encore beaucoup à apprendre, mais il paraît que je suis prometteur.

Bon, c'est pas les voitures qui me font gagner ma vie depuis plus d'un an maintenant. Je commence à comprendre le concept de l'argent, je peux pas m'empêcher de penser qu'on pourrait s'en passer, mais enfin puisque ça fonctionne comme ça... J'ai été embauché pour surveiller les couloirs, et assurer les permanences à Belville High School, ça paie ce que ça paie, mais j'en demande pas beaucoup plus. Puis bon faut admettre que parfois, je suis plus payé pour jouer au basket avec les élèves qu'autre chose, chut. Le reste du temps, je roule sur circuit, ou je vais m'occuper des chiens dans un chenil de la ville où je suis bénévole.

Nate, il s'est occupé de moi quand je suis arrivé. Moi, j'ai pas vraiment eu l'occasion de lui rendre la pareille - à part en le veillant quand il a trop bu le soir - et j'ai pas retrouvé Anastasia. J'espère qu'elle va bien, mais je suppose qu'elle est avec Dimitri. Il peut pas être parti loin d'elle, n'est-ce pas ? Nate dit qu'il la retrouvera, comme il retrouvera Cendrillon, un jour, promis. Alors je le crois.

Elle, c'est pas Anya, mais ça me fait tout bizarre d'être près d'elle aussi. C'est une jolie brune aux grands yeux noisette. Une poupée de porcelaine aux boucles auburn toute vêtue de rouge. Elle est venue au chenil, et je me suis retrouvé tout bête à pas trop savoir quoi lui répondre, mais à pas vouloir la laisser partir comme ça non plus. Alors depuis, je suis là. Pour tout ce qu'elle veut bien, juste pour boire un verre, venir voir les petits chiens ou n'importe quoi. Juste pour être là. Juste pour entendre son rire, voir ses boucles onduler dans le vent. Et m'assurer qu'il lui arrivera rien de fâcheux. Parce que... bah je vois l'état de mon pote. Il a pas un Raspoutine à ses trousses, mais rien ne dit qu'il y a pas nos anciens ennemis ici avec nous et ouais, ça me fait un peu flipper. J'ai pas envie de voir Lorena malheureuse, ni souffrir, alors je fais ce que je peux, d'un peu loin, pour m'assurer que ça n'arrive pas. Et je peux pas promettre de rester calme si quelqu'un s'en prend à elle sous mon nez...