Nous venons d’un autre monde, un monde magique. Vous devez sûrement nous connaître, car c’est nous qui avons marqué votre enfance. Nous vous avons fait rire, pleurer et aimer. Nous avons été vos premiers héros et vos premières aspirations. Aujourd’hui, nous nous retrouvons parmi vous, dans votre monde appelé la terre… et laissez-moi vous dire que cela ne m’enchante guère. Mais avant que vous me détestiez, laissez-moi vous raconter pourquoi.

Pour une raison que je ne saurais l’expliquer, un sortilège mystérieux s’est emparé de nous à la fin de nos contes respectifs. Et oui, il semblerait qu’il y ait une vie après la fin du «ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfant».

Pour avoir été l’un des premiers sur qui le destin s’acharnât, je peux vous dire que cela ne fût pas facile pour tout le monde. Loin de là. Sans doute pour mieux se fondre parmi vous, le sortilège fit en sorte de nous remodeler à votre image. Une tête, un tronc deux bras et deux jambes. Animaux et créatures fantastiques, tous perdirent leurs singularités pour prendre celles d’un simple humain. J’ai vu bien des gens pleurer et maudire le ciel à leur arrivée sur ce qu’on nomma plus tard Fantasia Hill. Certains, mécontents de leur forme originel, furent satisfaits de cette transformation, mais moi, je crois qu’ils ne sont pas conscients de l’envergure et la gravité de la situation.

Personnellement, je peux vous dire que perdre ses belles grandes oreilles noires et son petit museau du jour au lendemain fût tout un choc. Cependant, je me suis repris rapidement en main, car en tant que présumé précurseur de toute la belle famille Disney, il me fallait être là, grand et fort pour rallier tous ces beaux gens.

Ainsi, grands et petits, gentils et méchants, nous nous sommes tous rapidement rassemblés afin de faire d’un vieux bâtiment en ruine notre nouveau chez nous. Un beau grand pensionnat qui allait pouvoir tous nous accueillir et où nous allions pouvoir vivre heureux et en paix, loin de la bêtise humaine.

Quelques temps se sont écoulés pendant lesquels tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes –comme le dirait Candide (je suis tombé sur se livre par hasard dans l’une de vos librairies. J’ai trouvé amusant que vous définissiez votre bonheur par l’absence de ce qui forme actuellement les bases de votre société). Souvent, je me promenais à travers les dédalles du Méli-Mélo House – notre pensionnat – et je ne pouvais m’empêcher de ressentir une grande bouffé d’amour et de fierté à voir toute ma belle grande famille ainsi réunie dans la joie et l’amitié.

Malheureusement, au bout d’un certain moment, certains d’entres-nous, mués par leur désir de curiosité, ont décidé de quitter le Méli-Mélo House pour partir à l’exploration de Fantasia Hill. Encore aujourd’hui, j’ai très peur pour eux. J’ai peur qu’ils ne se fondent en vous, qu’ils oublient d’où ils viennent et qui ils sont… j’ai peur qu’ils perdent ce petit quelque chose qui fait de nous les êtres extraordinaires ayant marqués votre enfance.

Je dis cela sans animosité à votre égard. Je commence tout juste à vous connaître les humains. Vous semblez avoir certaines caractéristiques que je trouve attachantes. Cependant, quand je regarde les épopées ayant marquées votre passé et ce que vous avez fait de votre terre mère, je ne peux m’empêcher de ressentir une sorte de misanthropie à votre égard. Soyons honnête tout de même, malgré notre enveloppe maintenant semblable, dans le fond, nous ne serons jamais comme vous… dû moins, je l’espère.

Cela fait maintenant 3 ans que la belle grande famille de Disney a posé ses bagages au Méli-Mélo House. Plus le temps passe et plus je sens que notre famille s’éclate, et cela m’attriste énormément. Moi qui croyais que nous allions tous rester ensemble pour vivre heureux, je constate aujourd’hui que beaucoup d’entre nous ont sympathisé avec votre manière de vivre et se sont forgés des vies en dehors de la  famille. Mais je ne me décourage pas pour autant. Chaque jour, je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour rassembler la famille et faire en sorte qu’elle reste unie envers et contre tout. Je leur rappelle à tous qui nous sommes et d’où nous venons pour ne pas qu’ils oublient. Pour me faciliter la tâche, j’ai décidé d’être facteur. Je m’occupe de la livraison du courrier et des colis partout à travers Fantasia Hill pour les gens qui étaient autrefois des personnages de conte. Cela me permet de continuer de garder un œil sur tout le monde et de veiller sur eux. Aussi, certains malchanceux, après la malédiction, n’atterrissent pas directement au Meli-Mélo House et se retrouvent ainsi seuls et esseulés dans votre grand monde cruel. Mes tournés postales quotidiennes me permettent donc d’ouvrir l’œil et de guetter un potentiel membre de la famille jusqu’alors insoupçonné.

J’avoue, il m’arrive parfois d’agir de manière abrupte et violente envers eux tous, mais c’est uniquement parce que je les aime et que je ne veux pas les perdre. Après tout, ils restent ma famille.

Et pour ceux qui se le demandent, oui, j’ai retrouvé ma Minnie dans ce nouveau monde. Ce fût même assez facile. Dès que nos yeux d’humains se sont posés l’un sur l’autre, nous avons instantanément compris. Lorsque j’ai voulu rassembler les gens après la malédiction, elle m’a tout de suite appuyé et soutenu. Ensemble, nous avons été encore une fois les précurseurs d’un nouveau monde.

Je me souviens en détail de ce grand soir, alors qu’une fête avait lieue à Méli-Mélo House pour célébrer son inauguration. J’attendais patiemment dans le hall que le soirée commence après m’être préparé comme il se doit – c’est à dire, en tant que grand mentor de la famille. C’est alors qu’elle est apparue, en plein cœur de la foule au beau milieu du hall, dans sa petite robe toute simple. Ses grands yeux d’enfants étaient illuminés de mille et une étoiles. Sincèrement, je l’ai trouvé plus belle que jamais. Pour moi, c’était incontestablement la plus belle de toutes les princesses de ce monde. Son regard, son corps tout entier m’a subjugué. Mes yeux ne voyaient plus qu’elle. De toute ma vie de souris, je n’avais jamais ressenti autant de désir pour elle. Nous nous sommes serrés longuement l’un contre l’autre.

Les mois qui ont suivi ce soir là furent les meilleurs que je vécus sur terre. Même quand la famille commença à se disloquer, je continuai d’être heureux parce qu’elle était là, avec moi. Me réveiller chaque matin et pouvoir plonger mon regard dans le sien, me perdre dans la profondeur de ses yeux, cela m’insufflait la force qu’il me fallait pour continuer de ma battre pour la famille.

Puis un soir, tout a basculé. Nous revenions comme à l’habitude de notre tournée postale quotidienne. J’ai voulu l’aider à changer une ampoule morte et elle a refusé. Je ne l’avais jamais sentie aussi froide et distante vis à vis moi. Il est vrai que j’avais déjà commencer à sentir – sans me l’avouer – qu’elle me glissait peu à peu entre les doigts. Je n’aurais toutefois jamais cru que s’en était à ce point. Ça m’a fait un mal terrible, comme un pieu en pierre me traversant le cœur et réduisant mes trippes en lambeaux. J’ai voulu lui faire sentir tout l’amour que j’éprouvais pour elle, lui dire que moi j’étais encore là pour elle et que rien ne pourrait jamais nous séparer. Je me suis avancé vers elle et je l’ai plaquée contre le mur pour ne pas qu’elle puisse se défiler. Je l’ai forcé à me regarder, à affronter mon regard. Sentir de nouveau un contact visuel avec elle, un échange, ça a déclenché un incendie puissant partout dans mon corps. Pour moi, c’était clair. Nous étions fait l’un pour l’autre. J’ai posé mes lèvres sur les siennes et l’ai embrassé de force. Je voulais lui faire sentir pour qu’elle comprenne, qu’elle comprenne qu’il nous fallait à tout prix nous retrouver l’un et l’autre. Sans que j’en sois réellement conscient, mes mains ont commencé à descendre plus bas. Mon corps s’est collé contre le sien Je voulais la toucher, la sentir partout sur moi et dans moi. Je voulais retrouver cette fusion ultime qui nous reliait autrefois.

Le reste de l’histoire est assez flou pour moi tant l’émotion avait été intense pour mon cerveau. Un mélange extrême de douleur et d’amour. Je me souviens de l’avoir mordu très fort à la ligne entre le cou et les épaules, au point que le goût de son sang avait atteint ma langue. Je pense que ça avait été ma marque d’affection ultime. J’avais voulu la marquer pour qu’elle se souvienne de moi, qu’elle se souvienne qu’elle était à moi et que j’étais à elle. Au final, je me suis endormi en la serrant très fort dans mes bras pour ne plus qu’elle se défile de moi. Jamais. Je me souviens aussi avoir senti ses larmes glisser le long de mon torse. Le lendemain matin, lorsque je me suis réveillé, je me suis retrouvé plus seul que je ne l’ai été de toute ma vie. Ça m’a coupé le souffle.

Encore aujourd’hui, je ne comprends pas comment nous en sommes arrivés là. Nous qui avions été si heureux et si proche l’un de l’autre. Il est vrai que le grand rôle de mentor de la famille est un poids important sur mes épaules. Cela m’a souvent rendu anxieux, agressif et dur, même envers elle. Cependant, je n’ai jamais au grand jamais cessé de l’aimer. Malgré ce que je pouvais parfois lui dire (elle ne comprenait pas toujours mes décisions vis à vis la famille), au fond de moi je n’ai toujours pensé que du bien d’elle.

Cela fait maintenant deux ans et demi que je la cherche sans la trouver. Chaque jour, durant ma tournée postale habituelle, je montre une photo d’elle aux gens que je rencontre dans l’espoir que cela me mènera sur ses petites traces de souris…