A la base, je n'étais rien. Hormis des gouttelettes d'eau en suspension dans l'air - autrement dit un nuage. Et je peux vous dire que, un cumulo-nimbus, ça ne pense pas à grand chose. Certes, depuis, il y a eu peu de progrès à ce niveau là, néanmoiiiiins laissez-moi vous dire que, quand même, hein, bon, voilà. Et puis, Zeus décida de créer une peluche vivante pour son jeune fils. Et, un soupçon de cumulonimbus, une pointe de nimbostratus et un chouïa de cirrus plus tard, bim, j'étais là, à m'ébrouer, reniflant de partout, découvrant le monde, la joie d'un léchage de joue et le bonheur d'un bon coup de boule.

Hercule, c'était la raison de ma vie. J'étais né pour lui, pour le protéger, le câliner, veiller sur ses nuits, accompagner ses jours. Alors, quand tout l'Olympe comprit les plans d'Hadès qui venait d'enlever Hercule, alors qu'il était encore un simple bébé, je me sentis aussi peiné et désespéré que Zeus et Héra, et les autres dieux. Nous ne pûmes que voir l'enfant grandir, n'ayant pas bu entièrement la potion. Il n'était plus un dieu - plus exactement. Il était quasiment-mortel, mais pas tout à fait. Et c'est avec un mélange d'angoisse et de fierté que je continuais de garder ce petit homme. Je me tapissais dans les nuages, invisible aux yeux de tous, et j'observais ses pas, ses gestes. Il grandissait - tout comme moi. Les années passaient, et je voyais ses doutes, ses difficultés vis-à-vis de sa grande force. En parallèle, j'avais du mal à contrôler mes propres atterrissages, là où m'envoler n'était absolument pas un problème. Ca faisait beaucoup rire Zeus, quand je me redressais l'air de rien, du nuage partout, en roulant des yeux.

Vint enfin le temps où Zeus avoua toute son histoire à Hercule. Et c'est là que je déboule, avec force hennissements et câlins de soutien. J'avais enfin retrouvé mon ami, mon meilleur ami, ma raison d'être ! Comment pouvais-je ne pas être le plus heureux des pégases ? (certes, je suis le seul, mais si on était plusieurs, je suis sûr que je serai le plus heureux d'entre eux.) Hercule était devenu un adolescent maladroit, et Zeus lui indiqua ce qu'il devait faire - montrer qu'il était un héros. Et ce ne fut pas une mince affaire, loin de là. Mais, dans le fond, je n'avais jamais douté - Hercule était et restait un héros. Il ne pouvait échouer. Avec Philoctète, nous lui apportâmes notre soutien comme nous pûmes. Et Hercule vécut de grandes aventures, un grand destin, une grande fatalité. Et j'ai partagé avec lui ses combats, lui servant de monture comme il se devait. Je dois avouer que quand cette Mégara lui a tourné autour, je n'étais guère content. Elle me piquait mon meilleur ami ! Elle allait le détourner de son but !

La suite, tout le monde la connait. Hercule devient un héros, aux yeux de tous, et je lui restai fidèle malgré la jalousie tenace envers la brune. Son acte de témérité et d'amour envers Mégara, après la trahison de la brune pour faire tomber le héros puis l'aide qu'elle lui a offert, lui conféra le statut de dieu auquel il aurait pu aspirer. Mais plutôt que d'accepter, il préféra rester par amour. C'était beau, c'était mignon, et nous aurions pu en rester là. Mais il en avait été décidé autrement.


Plus d'ailes. Je n'avais plus d'ailes ! Je tournais sur moi-même comme un chien après sa queue, sauf que moi je cherchais les plumeaux plumeux qui me servaient habituellement à voler.

« Par Zeus, c'est horrible ! Mais je - JE PARLE ! et me voilà à sautiller sur place, testant mon tout nouveau corps.

Je m'étais réveillé, roulé en boule dans un fauteuil. Et j'avais vu remuer ces mains - les miennes - et senti que quelque chose n'allait pas. J'étais devenu un homme, sans ailes, avec des bras et des jambes et un nez. Pourquoi, comment ? Où étaient mes divines ailes, nom de Zeus ?! C'était à la fois rigolo et très déstabilisant. Je mis quelques minutes à m'habituer à marcher droit, sur deux pattes - jambes, pardon. J'analysais avec un intérêt certain la complémentarité de tout mon être, puis ayant assez fait joujou avec mes cheveux et mes oreilles, je trouvais une armoire pleine de vêtements. Je m'habillais sans hâte, à l'écoute de tout mon nouveau corps. J'étais humain ! Quand il allait voir ça, Herc-

« HERCUUUUUUUUUUULE ? HEERCCCUUUULLLLLE ECOUTE MOAAAAA JE PAAAARLE TU M'ENTEEEEEEEENDS ?! me mis-je à hurler dans tout l'appartement, en courant partout, en agitant bras et jambes dans un désordre extrêmement bizarre à regarder. Je pense que, vu les décibels que j'atteignais, il était difficile de ne pas m'entendre.

J'étais seul. Terriblement seul dans cet espèce de maison étrange. Je m'affaissais sur moi-même, le regard porté sur mes mains aux doigts comme des araignées. J'inspirais, et je décidai de ne pas me laisser aller. Hercule était là, quelque part, je ne savais où. Et si autrefois je n'avais rien pu faire quand ces saletés de démons l'avaient enlevé, cette fois, j'allais le chercher de toute la force de mon âme !

« Le premier qui m'empêche de retrouver Hercule se prendra un coup de sabot ! Enfin de, de poing. Oui. Voilà déclarais-je d'un air totalement décidé, d'autant plus ridicule que j'étais d'un tempérament trop enfantin pour vouloir du mal à qui que ce soit.

Ce monde est étrange. Si bizarre. Il détonne avec celui d'où je viens. Mais ici même, ma nature de cheval se ressent - j'aime toujours courir, et les animaux sont attirés par moi, par ma bruyante bizarrerie. Je leur parle, et ils me répondent à leur façon. C'est pour ça que j'ai fait dresseur d'animaux. Là où d'autres choisissent de faire cela avec force ou autorité, moi il me suffit de passer quelques heures avec un animal pour lui apprendre des choses rigolotes - oui, c'est moi qui ai appris au chat de votre tante à faire pipi dans les toilettes, ou au chien de votre voisin à rapporter la bière. Hé, c'est rigolo non ?

Mais dans mon regard, si on lit que je suis épanoui et heureux d'être comme je suis, totalement sain et joyeux, respirant la vie, on sent également que quelque chose me manque. Ou plutôt quelqu'un. Je suis son ombre, alors, l'ombre sans la silhouette, elle finit par s'évanouir. Je le retrouverais, c'est écrit, j'en suis certain.