Gaston & Belle
« unexpectable meet »

Ce soir là, la solitude était une nouvelle fois venue frapper à ma porte. Comme chaque soir, je me retrouvais seule devant mon écran plasma, à regarder des émissions stupides ou à bouquiner, mon occupation favorite. S'il y avait quelque chose qui n'avait pas changé dans ce monde pour moi, c'était bien les livres. Fort heureusement, ils ne manquaient pas dans ce monde. Je ne m'étais donc pas détachée de cette passion, passant des heures à la bibliothèque de la ville, et remplissant mes étagères de ces ouvrages merveilleux. D'ailleurs, le plus souvent, je les dévorais en une seule nuit, et m'empressais de conter leurs histoires à mes petits élèves dès le lendemain. Des contes de princesses, évidemment. J'étais extrêmement nostalgique de ma vie antérieure, si bien que ces histoires étaient le seul moyen de me faire rêver, et de retrouver un peu mon univers féérique. De plus, Adam me manquait terriblement. Si seulement il pouvait être à mes côtés, au moins, je pourrais partager avec lui mon amour pour la littérature. J'avais le sentiment d'être la seule à apprécier ces vieux bouquins poussiéreux ici. Ceux qui me plaisaient le plus étaient ceux que je dénichais toujours du fin fond de la bibliothèque. Mais ici, la plupart des ouvrages modernes remportaient un franc succès. C'était ceux qui étaient exposés à la vue de tous, au premier rang. Je m'étonnais de constater que cette étrange population raffolait des histoires de meurtres, de fin du monde, de politique. Quel ennui, et quelle horreur ! Comment pouvait-on savourer ce type de littérature si froide, inhumaine et complexe ?

Dans ce monde si éloigné du mien, j'avais redécouvert l'alcool, qui se dégustait de diverses façons ici. Ma foi, c'était une des plus bonnes inventions de cette civilisation, après celle de cette fabuleuse et célèbre pâte à tartiner évidemment. Oui, l'alcool, qui me rebutait au départ pour ses effets nocifs sur la santé, avait réussi à me séduire. Il faut dire que, j'étais souvent confrontée à la solitude à Fantasia Hill, et une petite goutte d'alcool s'avérait être un excellent moyen de noyer ma tristesse. Je n'étais pas non plus tombée dans un alcoolisme aigu, mais j'avais compris qu'un petit verre de temps en temps ne pouvait pas faire de mal, bien au contraire. La Belle innocente et sage avait disparue; la société dans laquelle un malencontreux sort m'avait plongée m'avait poussée à adopter un comportement adapté à celle-ci. J'étais tout bonnement, et malgré moi, rentrée dans le moule, comme on dit. Après avoir subi maintes fois des moqueries sur mon esprit un peu trop fleur bleue, je m'étais conformée à un certain mode de vie, bien différent de celui auquel j'avais été habituée. Malgré cela, je me renfermais sur moi-même, peu sûre de moi dans ce nouvel univers. J'étais devenue casanière, et Adam occupait toutes mes pensées.
Mais ce soir, fatiguée de devoir être une énième fois en tête à tête avec ma télévision, j'avais entrepris de sortir prendre l'air. Pour une fois que je ne sortais pas pour aller faire mes petites courses ou pour aller travailler ! Je voulais tout simplement me prendre en main, et sortir de ma dépression, tenter d'apprivoiser cette société. J'avais donc enfilé une robe noire et des escarpins assortis, avait coiffé mes cheveux en queue de cheval, et étais donc sortie de mon cocon si douillet. Alors que je me baladais tranquillement dans les rues pavées, une enseigne attira toute mon attention : les « rhumeries », plutôt intriguant comme nom ! Un néon multicolore était dressé au dessus d'une porte en verre. Il y avait l'air d'y avoir une ambiance du tonnerre dans cette pièce ! La musique résonnait de l'extérieur. Je m'y étais alors aventurée, et avait pris place sur l'une des grandes chaises près du bar. J'avais lancé un petit « bonsoir » très timide en franchissant la porte. Mon regard épiait discrètement les lieux. Pour le moment, il n'y avait pas grand monde dans la salle, mais il était tôt. Le barman était dos à moi, et semblait occupé à essuyer des verres tout en se déhanchant d'une façon très étrange sur le rythme de la musique. En l'observant, je ne pus m'empêcher de sourire largement, prête à exploser de rire. Il ne m'avait surement pas entendu rentrer avec ce raffut musical qui faisait trembler les murs.

« Bonsoir ? » demandais-je une seconde fois d'une voix insistante qui était accompagnée d'un sourire crispé. Je craignais qu'il ne m'entende encore pas, mais apparemment si, puisqu'il se retourna.