Little Bird.

Sasha marchait d'un pas vif, se retenant presque de sautiller comme un écolier qui revient de l'école. Il se sentait plus léger que d'habitude, euphorique. Il se sentait ainsi depuis un petit temps maintenant, mais il restait toujours aussi joyeux et rien ne pouvait entamer ce bonheur constant, mais qui augmentait néanmoins dans ces moments, quand il allait rejoindre Cubby. Sasha était amoureux, pour la première fois de sa vie. Sa relation avec Cubby le rassurait en plus de le combler. Pendant tout un temps, il avait désespéré au sujet de sa vie sentimentale. Il était alors persuadé que ses relations ne se résumeraient qu'à coucher avec des inconnus (sans être payé après en plus), ce qui, malgré le fait d'être totalement contraire à ses principes, lui était honteusement arrivé 2 fois jusque là. Mais Cubby lui avait heureusement montré le contraire. L'amour était presque une obsession pour Sasha. Auparavant, il lui aurait suffis de donner un coup de bec à l'un ou à l'autre pour qu'il tombe sous son charme (bon, il était jadis un oiseau donc cela aurait été quelque peu étrange) mais aujourd'hui, sous cette forme, il ne pouvait user de ce stratagème. Evidemment, au début il l'ignorait, et cette action était ancrée dans ses gènes, mais à la 4ème fois qu'il donna inutilement un coup de boule à quelqu'un, il comprit qu'il devrait se trouver quelqu'un rien que par sa personne. Et son caractère bien sûr, car si son corps attirait bien des volontaires, dès qu'il était question de s'engager il n'y avait plus personne...et à vrai dire, il n'était pas vraiment quelqu'un désireux d'être un sex-boy. Déjà qu'il avait perdu sa virginité avec un homme qu'il n'avait alors vu que deux fois...

Mais là, c'était différent. Chaque cellule de son corps tremblait d'amour pour ce garçon. Il avait eu un réel coup de foudre pour lui et n'avait même pas éprouvé une quelconque hésitation pour l'aborder, ayant trouvé un prétexte idéal: la photographie. Il était parti se balader sur la plage, avec un de ses inséparables appareils photographiques -un numérique celui-là- et avait été directement captivé par ce jeune surfeur tatoué. Surfeur était peut-être un bien grand mot vu l'amateurisme de celui-ci mais Sasha n'y avait pas fait attention et avait mitraillé le garçon, qui ne resta cependant pas longtemps sur sa planche, en raison d'un mauvais coup reçu sur le front. Lorsqu'il était revenu sur le rivage, Sasha avait accouru vers lui pour s'inquiéter de son état. Une fois rassuré du bien-être du surfeur, il lui avait ensuite demandé la permission pour garder les photos, prétextant faire un book regroupant différentes photos afin de faire connaitre son travail. Ne comptant pas s'arrêter là et être rongé par des regrets du style "Pourquoi l'ai-je bêtement laissé partir ?", il lui fixa un rendez-vous, un shooting photo, ravi à l'avance de revoir ce jeune homme et de pouvoir passer son temps à le photographier. Avouez, il y a plus désagréable comme occupation. Ce fut un véritable régal pour les yeux de Sasha qui, une fois rentré chez lui, regarda une nouvelle fois ces photos, un sourire plein de béatitude flottant sur le visage. Il lui avait redonné un rendez-vous, un cinéma cette fois-ci, "entre amis pour fêter ce premier shooting, peut-être premier d'une longue série". Sasha voulait passer toujours plus de temps avec Cubby, mais ignorait tout de son orientation et même de sa situation amoureuse, alors il prenait des pincettes chaque fois, craignant un refus suivi d'un départ. Ce qui n'arriva jamais, même lorsque Sasha, déprimant en voyant que la situation n'avançait pas assez vite, embrassa audacieusement Cubby. Pas sur la joue, ni même à la rigueur sur les commissures de sa bouche. Non, il l'embrassa sur les lèvres et Cubby ne s'y était même pas soustrait.
Malgré tout, ce n'était pas clair dans l'esprit de Sasha. Pouvait-il se considérer en couple avec Cubby ? Un simple baiser pouvait-il signifier tout cela ? Cubby n'avait pas fuit et continuait à accepter de le voir, c'était bien un signe, non ? Pour en avoir le coeur net, Sasha se mit à embrasser de plus en plus souvent Cubby, pour voir sa réaction. Et celui-ci lui rendit ses baisers. Sasha en aurait pleuré de joie.

Cette fois-ci, c'était un rendez-vous tout à fait particulier. Admirant les tatouages de son petit-ami (quel plaisir de pouvoir dire ça !), l'idée de s'en faire un avait germé dans sa tête. Pas aussi conséquent que ceux de Cubby, non, un petit dessin plus discret. Le signe s'imposa de lui même. Quoi de mieux qu'un oiseau pour un premier tatouage personnel ? Ils avaient donc convenu qu'aujourd'hui, Sasha ferait le grand pas en fin de journée. Ce dernier était terriblement excité, en plus d'être réjoui à l'idée de voir Cubby, mais également anxieux. Est-ce que cela serait douloureux ? Certes, Cubby ferait certainement tout son possible pour que cela se passe bien, mais il n'était pas en mesure d'enlever la totale douleur.
Il vit enfin le salon de tatouage et y pénétra. Un son de sonnette l'accueillit et Cubby, visiblement en plein rangement, leva la tête et lui fit un sourire qui aurait pu littéralement faire fondre Sasha. Ce dernier s'approcha de Cubby et l'embrassa délicatement, en l'attirant vers lui en tenant ses côtes. Il aurait pu rester ainsi toute l'éternité s'il l'avait fallu, mais ils se séparèrent. Ils avaient à faire. « Alors prêt ? » Cubby le convia à s'installer pendant qu'il préparait le matériel nécessaire. Sasha avait décidé de se faire tatouer au-dessus du coude et il ôta sa veste pour rendre cette parcelle de peau accessible. Il attendait patiemment, pendant que Cubby travaillait consciencieusement sur son bras désinfecté. « Ça te va comme ça ? » Sasha regarda le dessin sur sa peau et hocha frénétiquement la tête. C'était déjà très joli ainsi. Cubby était un professionnel très doué et Sasha avait hâte de voir le résultat final. S'il ne le connaissait pas aussi bien, il n'aurait sans doute jamais oser se faire tatouer. « Bon... Maintenant détends toi... Souffle bien, ça va pas être très agréable durant quelques minutes mais tu vas voir ça va passer vite. Je vais essayer de ne pas te faire trop de mal... » Sasha commença à souffler profondément, de manière peut-être top exagérée, reflétant bien sa légère crainte. Il savait que Cubby n'était pas un sauvage et qu'il ferait ça avec application, mais le "ça ne va pas être agréable" avait eu raison de lui. Il ne pouvait pas reculer maintenant, et ne voulait pas se dégonfler devant Cubby. Celui-ci abordait plus du triple de tatouages et avait tenu bon et n'était pas mort. Il entama sa peau de la pointe de l'aiguille et Sasha serra les dents. Il avait l'impression qu'on lui griffait les os et ce n'était en effet pas une partie de plaisir. « Dis moi si ça te fait vraiment mal, j'arrêterais... » Jamais il ne le dirait. Il prit son mal (c'est le cas de le dire) en patience. C'était un petit tatouage, cela ne devrait pas prendre trop longtemps... Sasha s'efforça de penser à autre chose afin de ne plus trop sentir l'aiguille, et ses pensées se dirigèrent automatiquement vers la personne qui les hantait depuis près de 3 semaines maintenant, et la simple évocation de son visage lui fit un peu oublier la douleur, bien que sa mâchoire était toujours aussi serrée. Le contact froid d'une crème contre sa peau le ramena à la réalité. Cubby lui appliquait un pansement. « Et voilà, c'est terminé... Tu garderas ça dessus pendant 24 heures au moins. Pour les recommandations et tout le reste je te propose qu'on aille en parler dehors, si tu le veux bien... » Sur ces mots, Cubby se remit au nettoyage de la pièce et Sasha le regarda avec un sourire attendri, tout en remettant sa veste. Il se releva et patienta contre la porte. Ils sortirent tous les deux, Cubby referma la porte, Sasha prit la main de ce dernier dans la sienne et ils se dirigèrent paisiblement vers le parc.

Un tapis de feuilles mortes colorées de couleurs vives jonchait le son et craquait sous leurs pas. Il n'y avait pas énormément personnes dans les parages, en raison du soleil qui déclinait déjà à cette heure-ci. Ils marchèrent aussi pendant un petit moment, savourant le moment et la beauté du cadre. Sasha trouvait que l'automne était une des plus belles saisons, malgré la nuit qui grappillait toujours plus de temps sur le jour, le froid qui s'intensifiait et les arbres qui se dénudaient. Mais il y avait alors un tourbillon de couleurs que Sasha adorait. Le rouge, le jaune, le brun, l'ocre, voire le pourpre. Tout cela était magnifique. En octobre et novembre, on sentait déjà les fêtes de fin d'année pointer le bout de leur nez, dans les vitrines précoces de magasins ou même dans l'esprit de gens, qui avaient tendance de s'enfermer toutes lampes allumées dans leur maison. Il n'y avait que quelques personnes telles que Cubby et Sasha pour profiter du parc pendant que le jour déclinait.

Sasha jetait sans cesse des regards en coin à Cubby. Il aurait pu rester ainsi pendant des heures, à regarder ce beau garçon aux airs de gentil mauvais garçon (quel paradoxe) qui avait réussi à l'émouvoir. Il adorait tout chez lui, c'était bien simple. Sa voix, ses cheveux, ses yeux, ses lèvres, son rire. Il donnerait beaucoup pour l'entendre rire, encore et encore.
Un sourire s'esquissa sur ses lèvres et, sans préavis, il sauta sur Cubby, le faisant tomber dans un épais amas de feuilles pour ne pas le blesser et se mit à le chatouiller. Il était accro à ses éclats de rire et rit avec lui, par pur plaisir d'être là et par un gentil sadisme affectif. Enfin, il s'arrêta et fouilla dans une des poches de son manteau pour en extraire un appareil photo. Ce n'était pas un matériel de professionnel mais c'était beaucoup plus simple à transporter, d'autant plus qu'il était doté d'un système de développement instantané des clichés qu'il prenait. Il s'allongea à côté de Cubby et maintint vers eux l'appareil en l'air, les bras tendus. « Fais un joli sourire. » C'était presque inutile de dire ça, les sourires de Cubby étaient toujours beaux. Sasha appuya sur l'interrupteur et posa rapidement ses lèvres sur la joue de Cubby. Un flash déchira l'obscurité naissante et, après quelques secondes, un polaroïd jallit de la machine et retomba doucement sur le torse de Sasha. Il s'en saisit et la regarda. C'était une magnifique photo, les représentant encadrés par des feuilles aux teintes multiples et dégradées. Il la tendit à Cubby. « Je t'aime...Stanley. » Il eut un sourire presque machiavélique et éclata de rire. Cubby détestait quand Sasha l'appelait par ce prénom et celui-ci ne se gênait pas pour l'embêter. Sasha fit un roulé-boulé pour que sa tête soit au-dessus de celle de Cubby. « Je plaisante, Cubcub. » Il l'embrassa, remerciant le ciel d'avoir mis ce surfeur si peu doué sur sa route.

Little Bird.

Parfois, et de plus en plus souvent, Sasha remerciait par pensée l'être à l'origine de son passage de son monde original à celui-ci. Au tout début, il en avait été terriblement chagriné, alors qu'il n'avait sous sa forme d'oiseau aucune ancre, aucune chose à laquelle il tenait un minimum. De plus, sa cervelle d'oiseau ne lui permettait pas non plus de profiter du monde, contrairement à maintenant. A l'heure actuelle, il avait Cubby à ses côtés et un cerveau assez développé pour dévorer avec plaisir la moindre minute passée avec lui. C'était presque effrayant cette permanence qu'avait Cubby à occuper les pensées de Sasha. Il avait beau faire n'importe quoi, tout semblait revenir à son petit ami. Il regardait un film, immanquablement il trouvait qu'un des acteurs avait un point commun physique avec Cubby -cheveux blonds ou autre. Il écoutait de la musique et il lui semblait reconnaitre des inflexions vocales que son amoureux possédait aussi. Il méditait devant un étang, il s'imaginait recta avec Cubby à ses côtés, la tête sur son épaule. Il allait se coucher, il regrettait l'absence de Cubby à ses côtés dès son entrée dans les draps froids. Pareil au réveil. Il l'aimait tellement qu'il s'imaginait voir sa tête sur l'oreiller voisin dès qu'il ouvrait les yeux. La situation était d'autant plus cruelle et désagréable quand Sasha pensait que Cubby dormait dans le même bâtiment que lui, à quelques chambres de là. Et sa joie était d'autant plus grande quand il le retrouvait.
Jusque là, il n'était jamais allé dormir chez Cubby. Ce n'était pas l'envie qui lui manquait, certes, mais il y avait chez son petit ami une colocataire. Et Sasha trouvait déplacé de l'éjecter de sa propre chambre pour dormir avec lui. Mais il ne désespérait pas.

Cubby répondit à sa déclaration par un sourire. Sasha fondit sur place. Le sourire de son petit ami était une des choses dont il ne se lassait jamais. Autant son rire avait la capacité de le mettre instantanément de bonne humeur, son sourire lui donnait l'impression de flotter et lui accordait la certitude -inutile, étant donné qu'il était déjà sûr de la qualité de ses sentiments- que Cubby était la merveilleuse chose qui lui était arrivé. Certes, il ne savait pas ce qui se cachait derrière ce sourire de Joconde, mais il espérait bien qu'il ne s'agissait pas de gêne.

Discrètement, Cubby se saisit de l'appareil photo de Sasha. Ce dernier faillit lui dire que cela ne servait à rien de regarder les photos qu'il avait prise les jours derniers, étant donné qu'il ne s'agissait pas d'un appareil numérique équipé d'un écran mais bien d'un Polaroïd à développement instantané. Après tout, d'après ce qu'il avait pu constater Cubby n'avait jamais vraiment eu l'occasion de se servir d'un appareil photographique et les différences entre chaque modèle devaient parfois lui échapper. Néanmoins il se tut au dernier moment, lorsqu'il vit que son amoureux dirigeait l'objectif de l'engin vers eux, le tenant à bout de bras.
Une micro-seconde avant d'enclencher le flash, Cubby s'était de nouveau agrippé à ses lèvres par les siennes. Il y eut des sons mécaniques ainsi qu'un bruissement de papier et un bruit d'impression. Cubby lâcha ses lèvres pour s'allonger de nouveau sur le tapis de feuilles, et Sasha subit avec un petit pincement au coeur cet arrêt de baiser. Le jeune garçon regarda la photo, en la tenant entre deux doigts, avant de la lui tendre. « Tiens c'est pour toi... ». Sasha contempla la photo avec un sourire, avant de la glisser dans la poche intérieure de son manteau, à l'endroit du coeur, en remerciant Cubby. Ils se remirent à s'embrasser, allongés sur le sol, l'un sur l'autre. Sasha se sentait au paroxysme du bonheur dans ses moments. Il se sentait uni avec lui, en harmonie. Même quand ils se parlaient ou se tenaient la main, ce n'était pas aussi fort.

Leur position aurait pu paraitre suggestive, pour des êtres un peu branchés sur l'acte charnel, et pourtant il n'en était pas du tout question. Cubby était encore vierge, Sasha le savait. De même, il ne pouvait pas nier n'avoir jamais eu envie de plus, d'être encore plus proche de lui, que ça soit physiquement ou mentalement. Mais il était déjà très difficile pour que Sasha passe la nuit avec Cubby rien que pour dormir, alors faire autre chose, c'était mission impossible. Du coup, il réfrénait son désir, se contentant de leur romance, à ses yeux parfaite. Même dans leur psyché, ils étaient bien accordés, malgré que Cubby avait une vague lueur mélancolique dans le regard qui avait longtemps semé le trouble dans l'esprit de Sasha, qui ne désespérait pas de trouver l'origine de ce semblant de tristesse. Bref, tout cela pour dire que Sasha allait au rythme de Cubby, par peur d'aller trop vite, de lui forcer la main et de mettre fin tragiquement à leur histoire. Il vivait bien sans sexe, après tout et se réjouissait déjà bien assez des lèvres de Cubby.
Evoquer ces envies passagères furent remonter en Sasha une passion plus forte, et il se surprit à avoir l'audace de glisser ses mains sous le haut de Cubby, au niveau de ses côtes. Il décolla ses lèvres, pour haleter: « La photo que tu m'as donné...Ca équivaut à un "moi aussi" ? ». A vrai dire, la réponse l'importait peu. Il était en train d'embrasser Cubby, ce qui était clairement un signe que son amour était partagé. Mais Sasha avait toujours ce besoin de savoir, d'être sûr. Ce n'était pas qu'il craignait que Cubby le trompe, oh non. Il avait juste peur que tout s'interrompe, comme lorsque l'on se réveille au beau milieu d'un rêve délicieux, ou bien que quelqu'un de meilleur que lui, de plus digne pour Cubby, ne le lui enlève.

Il se rendit compte que ses mains se faisaient plus aventures désormais, l'une parcourant mécaniquement les courbes du tatouage imposant que Cubby avait sur le pectoral, l'autre flattant toujours sa hanche. Il reprit soudainement contrôle de ses mains et les rangea à toute vitesse dans ses poches, bien à l'abri. « Désolé, j'ai eu un moment d'égarement. Pardon. » Il rit, pour mieux faire passer la pilule. Il n'espérait qu'une chose: ne pas avoir froissé ou effrayé Cubby. Il ne se le pardonnerait pas. « Que disais-tu pour les recommandations ? » s'enquit-il, en désignant le pansement au-dessus de son coude. Autant changer de sujet et oublier ce malencontreux incident...