Il avait quitté le théâtre plus ou moins déconcerté. Le régisseur lui avait fait comprendre qu’il ne pouvait pas continuer d’y introduire des demoiselles quasi-clandestinement comme si de rien était. Il faut dire que le bon monsieur l’avait déjà vu en compagnie de trois jeunes femmes différentes, toutes excessivement jolies et originales à leur manière. Le souvenir de Kiara pleurant dans ses bras à cause de Pan lui étant tout à fait pénible, il s’arrêta davantage sur l’image de Lullaby, charmante excentrique à qui Peter faisait découvrir les décors du théâtre. Elle touchait à tout, s’intéressait énormément aux différents tissus des costumes et malgré tout, Peter savait que s’il avait un jour la fantaisie de prendre sa main dans la sienne, la jeune femme aurait une réaction des plus alarmantes, et sans doute ne lui adresserait-elle plus jamais la parole. Enfin, le pauvre régisseur avait du avoir particulièrement peur de sa dernière visiteuse, la miss Peatey, aux yeux brillants comme deux joyaux machiavéliques sertis dans de l’ivoire. Elle était entièrement animée par un désir de vengeance dont Peter ne comprenait pas franchement l’origine, mais qui allait dans son sens à l’égard de Pan. Ainsi donc, Peter avait été gentiment « averti » que s’il continuait à créer des drames bizarroïdes au milieu du Julieta Theater en compagnie de ces demoiselles, il serait tout aussi gentiment viré. Le jeune homme n’avait strictement rien répondu à cette menace en bonne et due forme, se contentant de hausser les épaules et d’exécuter une révérence de dérision face au monsieur qui le réprimandait, avant de claquer la porte. Un jour, le bonhomme ramperait à ses pieds, car il serait un metteur en scène génial dès qu’il aurait l’occasion de s’exprimer. Et l’occasion viendrait peut-être plus vite que prévu, pensa Peter en poussant les portes de la « Belleville High School ». Il avait pour se faire rencontré un sombre personnage, tout droit sorti de son passé féérique, qui avait dit qu’il l’aiderait. Quoiqu’il en soit, Peter, par précaution et craignant de se faire réellement virer de son emploi au théâtre, avait trouvé un autre travail à mi-temps dans un de ces bâtiments remplis d’étudiants pas trop studieux. Il s’occupait de certains trucs administratifs pas forcément passionnants mais il avait un peu plus de pouvoir ici qu’au théâtre où il se contentait de balayer. On l’envoyait arpenter les lieux de long en large pour régler des problèmes avec des élèves ou des profs, faire passer des messages ou encore faire des rappels à l’ordre. Il salua courtoisement les secrétaires en enfilant ses lunettes sans correction –c’était là pour se donner un air sérieux quand il les portait sur le nez et affairé lorsqu’il les relevait dans ses cheveux— et traversa le hall pour aller regarder les emplois du temps des profs. Il s’était réconcilié avec Daphné depuis peu. Quoique elle ne se rendait pas vraiment compte qu’ils étaient « réconciliés » puisqu’elle n’avait plus souvenir de leur dispute. Il évitait de penser qu’elle avait appelé la police après qu’il avait balancé le farfadet à la flotte, et chaque jour il se demandait comment elle avait fait pour ne plus le prendre pour un dangereux psychopathe, mais, bref, ils étaient de nouveau relativement amis. Du moins, suffisamment pour que Peter soit choqué d’apprendre ses fiançailles avec son colocataire. Une bague, sur la petite main de Daphné, qui prenait le même air qu’un boulet de canon accroché à la cheville d’un prisonnier. Peter avait vu rouge. En apprenant que l’impudent qui avait osé demander la main de Daphné était un simple professeur de musique, il s’était dit qu’il allait essayer de tirer tout cela au clair, car cette histoire était tout simplement improbable. Vous comprenez mieux pourquoi notre cher Peter travaillait depuis un mois en ces lieux studieux ? Mieux valait d’abord prendre ses marques, connaître tous les aspects du champ de bataille, avant de tirer sur l’ennemi. Et à présent tout le monde l’aimait bien du côté de l’administration, parce qu’il était efficace et travailleur et qu’en plus il avait un joli sourire. Parfait.
Il attrapa une liasse de papiers au hasard et monta les marches deux par deux pour se retrouver devant la salle M123 au moment où les étudiants en sortaient plutôt bruyamment. Peter souriait, lui seul sachant que son sourire était reptilien. Vu de l’extérieur, il avait l’air serein et sympathique. Il prenait un air sérieux et calme face aux profs, respectueux devant les haut-placés de l’administration, et détendu auprès des élèves. A l’intérieur, il brûlait d’envie de voir le fiancé de Daphné, cela le ravageait, mais il rongeait son frein, attendant que les élèves soient tous sortis pour passer l’encadrement de la porte. Appuyé contre le bureau, l’air rêveur, une espèce de gringalet vaguement sexy et relativement mal coiffé semblait attendre on ne savait quoi. Peter retint un rictus de satisfaction. Il était soulagé de ne pas se retrouver face à un basketteur de deux mètres trois fois plus large que lui. Cela rendrait les choses plus faciles. Il ne laissa rien paraître de son soulagement, et s’approcha de lui à grands pas tout en faisant semblant de lire les papiers que contenait le dossier qu’il avait emporté.
« Bonjour, monsieur. Etes-vous bien le professeur Frédéric Bunnier ? »Le musicien leva enfin les yeux vers Peter, comme si ce dernier venait de le tirer d’une réflexion profonde. Peter le regarda sans quitter son sourire aimable, mais en fait il cherchait à comprendre ce que Daphné, si délicate et tout à fait distinguée malgré ses maladresses, pouvait bien lui trouver. C’est parce qu’il était musicien ? Parce qu’il avait dans l’attitude quelque chose d’un peu mélancolique qui faisait penser aux poètes maudits ? Bon sang, Peter avait l’habitude de se trouver mieux que tout le monde, mais là franchement il ne voyait pas pourquoi… pourquoi ce Frédéric plutôt que lui.
« J’ai été chargé de vous transmettre un plainte au sujet d’une demoiselle. »D’autres élèves venaient d’investir la salle pour attendre leur prochain cours. Alors Peter fit quelques pas en direction de la porte et intima à monsieur Bunnier de le suivre.
« Nous devrions en parler dehors. Si vous voulez bien m’accompagner… »Il passa l’encadrement de la porte et se retrouva dans le couloir. D’un geste nonchalant il défit les boutons des poignets de sa chemise et releva ses manches sans s’arrêter de marcher, sans même se retourner pour savoir si le prof le suivait ou non. C’était juste ridicule, toute cette histoire. Daphné fiancée, lui s’apprêtant à écrabouiller ledit fiancé comme une crêpe… Sa rage.
« Dites, professeur, lança-t-il par-dessus son épaule d’un ton toujours poli mais un peu plus désinvolte que précédemment,
ce n’est pas Orphée qui arrivait à séduire par sa musique n’importe quel être, qu’il soit humain ou divin ? Ca ne vous semble pas un peu invraisemblable ? J’aurais voulu connaitre ce type et lui faire avaler sa lyre, pour la peine. »Il se tourna enfin vers le Bunnier, son plus beau sourire étirant ses lèvres tandis qu’une lueur vaguement malsaine contaminait son regard. Il jeta un coup d’œil rapide à la main gauche de l’éminent professeur. C’est bien ce qu’il pensait.
« Vous ne portez pas d’alliance ? »Là, normalement, l’autre allait commencer à se douter que Peter n’était pas qu’un simple employé de l’administration. Il espérait qu’il s’inquièterait. Il avait de quoi s’inquiéter. Peter était ravi de faire sa connaissance. Mauvais présage.
- Spoiler:
Franchement je suis ultra-désolé du retard, mon Sexy !
Il me semble que tu as gagné le droit de me donner un gage genre "obligation de porter un costume de lapin jusqu'à la fin des temps" !