Je me rappelle de cette histoire…une histoire que racontait Santa parfois aux elfes, aux enfants. Non, pas qu’une histoire pour moi, un rêve, un espoir fou et vain, mais quelque chose de plus que de simples mots qui s’échappent.

Il était une fois, oui parce que toutes les histoires commencent ainsi, un pantin de bois, appelé Pinocchio, un pantin de bois qui réalisa son vœux le plus cher, devenir un vrai petit garçon. Impossible dîtes vous ? Mais enfin, ne vous a-t-on pas appris que rien, rien n’est impossible. C’est ce que je me répète chaque jour, depuis ce jour, ce jour où ma vie a basculé. Moi, qui étais-je ? Un objet en bois tout comme Pinocchio, un objet en bois et en métal, apprêté pour un vieux monsieur à la barbe soyeuse et au rire cristallin. Moi je n’étais personne, je n’étais rien, un traîneau que l’on sortait une fois par an pour aller faire le tour du monde. Moi je ne parlais pas, je ne marchais pas, ce que j’étais ne m’appartenait pas, j’étais toute entière à quelqu’un d’autre, la propriété d’une personne autre que moi. Moi, je ne vivais pas, je n’avais pas de nom, pas d’amis ou de famille. Moi…en fait il n’y avait pas de moi. J’étais là, sans être là. Vous savez ce qui est pire qu’être enfermée dans une cage dorée ? Ce qui est pire que de ne pouvoir jouir de la liberté ? De la vie ? Et bien tout simplement être oublié, absente à soi même tout en étant consciente de ce qui se passe autour. Je regardais, j’entendais tout ce qui se passait mais ne pouvais y prendre part. Je n’étais même pas doté de la parole, je ne pouvais m’exprimer uniquement lorsque mon cher propriétaire me le permettait et autant dire que cela n’arrivait pas souvent. Vous pensez alors que s’était une personne horrible, monstrueuse, un esclavagiste sans cœur, et bien loin de là. Mon propriétaire était l’homme le plus généreux de tout l’univers, il était bienveillant et toujours le sourire aux lèvres, rien ne pouvait entacher sa bonne humeur. Le problème c’est que lorsqu’on est occupé à veiller sur le monde entier on en oublie parfois ceux qui nous sont le plus proche. Mais pourquoi ce serait-il soucié de moi ? Je n’étais qu’un traîneau, je n’étais ni humaine, ni vivante. Pourtant mon malheur était bien là, j’avais beau ne pouvoir rien exprimer cela ne signifiait pas que je ne ressentais rien. Hélas pour moi j’avais des sentiments, des émotions, des désirs aussi…ma plus grande tragédie était là. Avez-vous déjà regretté d’avoir une âme ? Je suppose que non. Pour ma part je l’ai regretté, un nombre incalculable de fois. Et j’ai haïs mon créateur de m’avoir faite ainsi, j’étais enfermée dans cette enveloppe incassable, prisonnière de mon état. Oui, moi, petit traîneau que j’étais j’ai haïs le Père Noël, rien que ça. Puis à force de haïr, jour après jour, il ne reste plus rien, à part la fatigue et une profonde détresse, je n’étais plus rien. Cependant, même quand tout nous quitte il reste toujours une chose, l’espoir. Il ne faut jamais dire que l’espoir est mort, ça ne meurt pas, l’espoir…J’ai prié, comme Geppeto dans cette histoire, j’ai prié si fort, tellement fort ma bonne étoile et finalement, un miracle s’est produit. Miracle incroyable, étincelant venu des cieux qui disparaît en un éclair. J’ai entendu un dernier « Ho ! Ho ! Ho » lointain, très lointain, avant de sombrer et de renaître. Il ne faut jamais arrêter de croire, quoi qu’il arrive, j'en suis la preuve vivante. La seule chose qui peut rendre le rêve impossible est la peur d’échouer.


En ouvrant les yeux ce soir là, je n’ai d’abord pas compris, était-ce un rêve ? Était-ce un mirage ? Pourtant cela semblait réel, si réel, trop réel. Je me suis levée, sur deux pieds, j’avais des jambes, des bras, une langue pour parler, une bouche pour embrasser, je n’en croyais pas mes yeux. Je me rappellerais toujours de cet instant, cet instant magique où j’ai réalisé que j’étais vivante, j’avais envie de hurler, de danser, sauter, de visiter des tas d’endroits, de discuter avec des tas de gens, mais tout ce que j’ai réussit à faire c’est m’effondrer en larmes sur le sol. J’étais là, à sangloter comme une imbécile au milieu de nulle part. Je ne savais pas où aller, ni que faire, c’était la première fois de mon existence que je ne dépendais plus de quelqu’un, c’était à moi de prendre une décision, de faire un choix, mon choix. C’était merveilleux et terriblement effrayant à la fois, j’étais livrée à moi-même, complètement seule. Alors j’ai pleuré, et j’ai éclaté de rire en même temps. Bien sur qu’on peut rire et pleurer à la fois ! Ce n’est pas plus bizarre qu’un arc-en-ciel qui naît de la pluie et des rayons du soleil.

Puis je me suis posée, à Fantasia Hill, petite ville chaleureuse où j’avais décidé de faire mon nid. J’évoluais dans un passionnât, un endroit immense ou d’autres personnes avaient subit le même sort que moi, c’était étrange mais je crois que la plupart d’entre nous se sont réjouie de ce changement, pour ma part, je n’aurais jamais de regrets là-dessus. Je ne vais pas vous mentir, parfois, le pôle nord me manque, et les rênes me manquent, et même les paquets que je portais me manquent, lui aussi, Santa, il me manque parfois, lui et son rire si particulier ; mais je donnerais n’importe quoi pour ne jamais avoir à retourner en arrière. Le passé est derrière moi, je n’ai pas de remords et j’ai décidé d’avancer, quoi qu’il puisse arriver. Je jouissais d’une liberté sans limites, j’ai rattrapé le temps perdu, je voulais faire toutes ses choses, vivres toutes ses expériences qui m’étaient interdites autrefois. Pique-niquer, faire la sieste au bord d'une rivière, manger des pêches, des crevettes, des croissants, du riz gluant, nager, danser, m'acheter des chaussures, de la lingerie, du parfum, lire le journal, lécher les vitrines, prendre le métro, surveiller l'heure, faire de l’alpinisme, étendre le linge, aller à l'Opéra, à Bayreuth, à Vienne, aux courses, au supermarché, faire des barbecues, râler parce que quelqu’un m’a bousculé dans la rue, m’étendre sur une plage et bronzer, faire l’amour, tondre la pelouse, dévorer toujours plus de livres, avaler trop de cacahuètes, visiter les caves de la Loire, et celles de la Hunter Valley, faire l'idiote, jacasser, me faire des amis, cueillir des mûres, cuisiner, retourner au Vietnam, porter un sari, jardiner, me rendre compte que je ne sais pas cuisiner, aller au zoo, aux puces, à Paris, à Londres, à Melrose, à Piccadilly, écrire des chansons, commencer de fumer, me vernir les ongles, acheter de la vaisselle, des bêtises, des choses qui ne servent à rien, manger des glaces, regarder les gens, apprendre à jouer aux échecs, écouter du jazz, du reggae, danser le mambo et le cha-cha-cha, m'ennuyer, faire des caprices, bouder, rire, entortiller mes cheveux autour de mon petit doigt, chercher une maison avec vue sur les vaches, remplir d'indécents Caddie, repeindre le plafond de ma chambre, coudre des rideaux, rester des heures à table à discuter avec des gens intéressants, faire du kayak et de la motocross, me casser une jambe, enlever les mauvaises herbes, travailler, voir la mer, revoir de vieux nanars, rester des heures au téléphone, dire des mots crus, apprendre à tricoter, lui tricoter une écharpe, défaire cette horreur, recueillir des chats, des chiens, des perroquets, des iguanes, faire de bicyclette jusqu’à avoir des courbatures, louer un voilier, ne pas s’en servir, être fatiguée, rester dans un hamac, pratiquer le triolisme, aller au cinéma, boire des margaritas à l'ombre, tricher, apprendre à me servir d'un fer à repasser, jeter le fer à repasser par la fenêtre, chanter sous la pluie, fuir les touristes, arrêter de fumer, m'enivrer, dire la vérité, me souvenir que toute vérité n'est pas bonne à dire, tenir une main dans la mienne, récupérer mon fer à repasser, écouter les paroles des chansons, remettre le réveil, oublier mes valises, m'arrêter de courir, descendre les poubelles, pleurer, discuter avec des inconnus, oublier le passé, sentir l'odeur du henné et les boulettes d'ambre, faire des mouillettes, des étiquettes pour les pots de confiture, avoir milles idées à la fois, prendre une cuite, se réveiller à côté d’un étranger, avoir des maux de tête, compter les montons pour trouver le sommeil, prendre un bain de minuit, avoir à compléter cette liste encore, et encore, et encore…

J’avais juste décidé de vivre vous voyez ? Vraiment vivre, pas comme ces gens qui sont là, ces personnes ordinaires qui n’apprécient pas ce que le monde leur offre, laissez moi vous dire qu’elles sont bien bêtes, elles passent à côté d'un millier de choses et ne s’en rendent même pas compte. Vivre, c'est se réveiller la nuit dans l'impatience du jour à venir, c'est s'émerveiller de ce que le miracle quotidien se reproduise pour nous une fois encore, c'est avoir des insomnies de joie.


- Tu dors ?
- Oui.
- Et si on jouait au jeu des dix questions ?
- Il t'en reste plus que huit.
- Ton plat préféré ?
- Les cornichons.
- C'est pas un plat.
- Plus que sept.
- C'est quoi ton plus grand rêve ?
- Voler.
- Voler ?
- Oui.
- Voler comment ?
- Comme un traîneau, comme un oiseau…
- Tu peux pas voler comme un oiseau. Et puis voler comme un traîneau ça veut rien dire.
- Je sais.
- Ta ville préférée ?
- Prachinburi.
- C'est où ?
- En Thaïlande.
- Tu m'aimes ?
- Quoi ?
- Tu m'aimes ?
- Joker.
- Tu dois répondre à mes dix questions. Est-ce que tu m'aimes?
- Ca fait onze.
- Onze?
- Douze. Tu m'as posé douze questions. Bonne nuit.


C’était comme ça, tout le temps. Entre lui et moi, moi et elle, eux…J’ai beau vivre, toujours plus, un peu plus chaque jour il y a une chose que je ne connais pas, que je n’arrive pas à avoir, à atteindre, l’amour. Pourtant, tout le monde en parle tout le temps, l’amour c’est beau, c’est fragile, ces papillons dans le ventre, le souffle court, le cœur qui s’accélère, moi j’ignore tout à fait ce que c’est. L’amour, l’amour, l’amour ! Pourquoi tout le monde parle de ça ? C’est stupide, c’est inutile, ça ne sert à rien, ça te ligote à quelqu’un, moi je ne veux pas de ça.
- Tu n’es jamais tombée amoureuse ? Non sérieusement ? me demanda t-il d’un air surpris
- Absolument…Attends me dis pas que tu y crois ?
- Bah si, je te parle d’amour là, pas du père noël.
A ces mots je laissais échapper un léger rire avant de répondre en le fixant tristement « Oui, moi aussi… » en fait, le père noël est bien plus réel que toutes ces conneries qu’on nomme sentiments amoureux, coups de foudre, âme sœur.
Il m’a quitté, quelques jours après, je crois qu’il a compris, il a compris que je ne pourrais jamais lui apporter ce dont il avait besoin, lui et moi, on ne voulait pas les même choses. Je crois, oui, je crois bien qu’au fond ça m’a fait de la peine, j’avais de la peine de ne plus me réveiller à ses côtés, j’avais de la peine de ne plus sentir l’odeur de ses pulls dans mon placard, j’avais de la peine de plus l’entendre chanter faux sous la douche. Je l’ai perdu, je nous ai perdus. Mais en fin de compte, c’était juste une page qui se tournait, un nouveau chapitre qui commençait.

La vie avait continué après, la vie continue toujours. Elle te donne des raisons de pleurer et des raisons de rire. C'est une personne, la vie, une personne qu'il faut prendre comme partenaire. Entrer dans sa valse, dans ses tourbillons, parfois elle te fait boire la tasse et tu crois que tu vas mourir et puis elle t'attrape par les cheveux et te dépose plus loin. Parfois elle t'écrase les pieds, parfois elle te fait valser. Il faut entrer dans la vie comme on entre dans une danse. Ne pas arrêter le mouvement en pleurant sur soi, en accusant les autres, en buvant, en prenant des petites pilules pour amortir le choc. Valser, valser, valser. Franchir les épreuves qu'elle t'envoie pour te rendre plus forte, plus déterminée. En réalité je n’ai pas besoin de quelqu’un pour m’accompagner, la vie et moi, on s’en sort très bien toutes les deux. Mon bout de chemin, je le fais seule, la tête haute et les mains libres, c’est tout ce dont j’ai besoin.