« Tous venaient de loin pour tenter l’impossible, gonflés d’espoir, s’imaginant qu’ils seraient choisis, pour une raison ou une autre. Qu’ils sortiraient de l’ordinaire, pour une fois, et que ce simple choix leur donnerait accès au respect, au respect des autres. Ils étaient animés par une passion enivrante, ce genre de passion que rien n’arrête. Mais au fond, c’était lui, qui était admiré, convoité. Ce n’était pas cette foule, semblable à un troupeau, venue des quatre coins du globe, ce n’était pas ces spectateurs qui attendaient le moment fatidique. Le moment où une personne libérerait Excalibur de sa prison de pierre, mais jusque-là, personne n’avait jamais réussi. Certains disent que ces échecs successifs étaient dus à l’épée, que c’était elle qui choisissait qui pourrait la libérer. Elle était une antiquité aux pouvoirs mystiques ; personne ne les connaissait vraiment, en réalité. On supposait simplement qu’ils étaient immenses, et que quiconque la possédait ne craignait personne, c’était au monde de le craindre. D’autres prétendent que, sur la pierre, était gravée cette inscription : « Celui qui pourra arracher cette épée de l'enclume scellée dans la pierre sera digne d'être Roi, souverain maître de l'Angleterre. » Mais le temps s’écoulait peu à peu, inlassablement, et Excalibur restait emprisonnée dans la pierre. Les origines de cette funeste épée sont inconnues, on pense qu’elle est née de l’essence d’une pierre magique, mais personne ne le sait vraiment, et personne ne cherche à le savoir. Tout ce que l’on sait, c’est qu’un jour, elle est apparue, alors que le Roi s’approchait de la mort, sans héritier. C’est une longue histoire, qui mêle magie, métamorphose, enchanteur et beaucoup de chance, mais le fait est qu’un garçon nommé Arthur, orphelin et employé chez Sire Hector, devint Roi d’Angleterre. Il libéra Excalibur de sa prison de pierre, et lorsque tous reconnurent l’épée royale, et finalement, on le fit monter sur le trône d’Angleterre. C’était lui qui était sorti de l’ordinaire. Lui, et pas tous les autres. Seulement lui. » Le vieil homme toussa quelque peu, se passe une main dans sa barbe grise et regarda son petit-fils avec un sourire. « Allez, maintenant, au lit. Tu auras la suite demain. » L’enfant hocha doucement la tête, se frotta les yeux et lança un dernier regard à son grand-père avant de se cacher sous la couette. « Bonne nuit, grand-père Arthur. »

Cet enfant, ce petit garçon qui, chaque soir, écoutait avec envie les histoires de son grand-père, c’était moi. Je n’ai pas toujours été son petit-fils. Fût un temps où, tous les deux, nous formions le duo le plus terrible de toute l’Angleterre. Fût un temps où il était Arthur, et moi Excalibur. Tout nous réussissait ; aucun ennemi ne nous résistait, et les Anglais étaient en sécurité, alors que le trône, sans doute l’ironie du sort ou du destin, était gardé par un gamin de onze ans, une épée magique à la main. Le temps voulut que ce pays change de Roi, mon propriétaire se faisant vieux, de plus en plus. Ce fut son fils qui lui succéda, et puis son petit-fils, et le fils de celui-ci, ainsi de suite jusqu’à ce qu’il n’y ait plus aucune trace d’Arthur, Premier et unique du nom. Puis vint un jour où toute notre vie bascula, en à peine quelques fractions de secondes. Je n’étais plus une épée. Et j’avais beau avoir vécu des milliers d’années en tant qu’épée, je me retrouvais sous la forme d’un gamin, d’un petit garçon qui semblait tout connaître de la vie à l’âge de sept ans. Arthur, quant à lui, était un vieux monsieur au regard encore enfantin, qui riait de bon cœur dès qu’il en avait l’occasion. Il m’a élevé, mais je ne me suis jamais vraiment habitué à être un humain, et plus une épée. Le temps a passé. J’ai grandi, Arthur aussi. Je suis devenu Psychiatre, j’ai déménagé à Fantasia Hill. Arthur est mort peu après mon arrivée dans cette nouvelle vie. Je ne me rappelle pas avoir pleuré. Il répétait souvent que les larmes n’étaient pas importantes, et qu’il me restait toujours son souvenir. Il avait raison. Et puis, un soir, ma voiture a failli percuter une jeune fille qui traversait la rue, entièrement nue. Ma première rencontre avec celle qui, plus tard, fera, que je le veuille ou non, battre mon cœur et respirer mes poumons. Hydra. Je l’ai ramenée chez moi, je me suis occupé d’elle, je l’ai protégée alors que dehors, le vent faisait vriller la clochette qui me sert de sonnette. Je lui ai fait promettre de venir me voir à mon cabinet deux fois par semaine, afin que je puisse étudier son cas. Elle était intrigante, et moi curieux. Et puis, au fil du temps, je me suis rendu compte qu’elle jouait. Elle me manipulait, montrait à chaque fois une version d’elle différente de la précédente. Je culpabilise encore, mais ne regrette pas mes paroles, bien que depuis ce moment-là, je ne sais plus quoi penser de mes sentiments envers elle. Moi, amoureux d’une hydre ? On aura tout vu. Si seulement mon bon vieil Arthur était toujours là…