Noir, comme le charbon qui tapit le sol de son antre. Rouge, comme le feu qui s'y échappe quand la colère gronde. Le déluge de magma se répand sur le paysage. Détruire. C'est ce qu'il fait de mieux, c'est pour cette raison qu'il est là, qu'il brûle. Sauvage. C'est ce qui le définit, sa nature même. L'oiseau de feu s'élance du haut de la montagne dévastatrice et répand la mort. Il ne sait pas pourquoi, mais c'est ce qu'il doit faire. Ici, on le nomme dieu. Les créatures d'en bas le craignent et vont jusqu'à tuer par eux-mêmes pour s'en débarrasser. Ils veulent l'apaiser, mais les éclats de sang le font bouillir davantage. L'envie s'anime et s'échauffe, le torrent meurtrier finit par se déchaîner. C'est comme ça depuis la nuit des temps, l'oiseau impose le carnage sur son passage. C'est un plaisir qu'il doit combler, un loisir pour son existence trop longue. Les créatures d'en bas, pauvres victimes des caprices de cet esprit surpuissant, en arrachent nuit et jour pour plaire à cet oiseau de malheur. N'a-t-il donc pas de cœur? N'a-t-il donc pas de pitié? Non, il n'a rien de cela. Son monde est vide de sentiments, si ce n'est que l'amusement, l'entêtement et parfois l'ennui. C'est un enfant gâté qui s'amuse avec ces jouets tout en haut de sa montagne de feu.

Les humains ont vu leur population décliner à vue d’œil par leurs sacrifices. Les jeunes se font de plus en plus rares et les générations futures ne sont désormais plus assurées. Il leur faut agir et le seul moyen d'éviter le désastre est de fuir, laisser derrière le volcan et son dieu. Les hommes quittent donc le village. À son réveil, l'oiseau découvre l'abandon dont il a été victime. C'est alors qu'une émotion parvient enfin à transpercer cet être de feu: la colère. C'est une haine ravageuse qui naît chez lui pour ces infâmes créatures et le désastre éclate. Le volcan se déchaîne alors et sa lave attaque les environs comme le volcan ne l'a jamais fait. La matière visqueuse se répand jusqu'à rejoindre les fuyards et aucun humain n'est épargné. Bien vite, tout est détruit. Il ne reste plus qu'un paysage morne, terne, assassiné par l'Oiseau de feu. Ce dernier, n'ayant plus de peuple sur lequel régner, entre dans un profond sommeil et la nature morte devient maître des lieux.

Un siècle passe et le paysage reste inchangé. C'est l'hiver à l'année longue et le gris se retrouve partout, agrémenté parfois de quelques animaux errants. Puis, une intruse s'éveille: l'esprit du printemps. Elle répand alors la vie autour d'elle et la végétation réapparaît. Un lieu qui a si longtemps connu le vide renaît maintenant de ses cendres. Elle s'incruste au fond du volcan endormie et, en un seul toucher, sort l'Oiseau de feu de sa torpeur. Touché, c'est bien ce qu'il est. Touché par une passion nouvelle, touché par un sentiment beaucoup trop doux pour ce corps ardent. Il ne peut pas laisser ce sentiment l'emporter, mais ne peut non plus l'ignorer. Il doit se débarrasser d'elle comme il sait si bien le faire, et se met donc en chasse. Le volcan répond à l'appel et la lave s'emporte encore jusqu'à engloutir l'esprit du printemps. Son devoir accompli, c'est encore une impression de vide qui submerge l'Oiseau de feu, comme s'il venait de perdre quelque chose dont il a cruellement besoin. Et pourtant, l'oiseau est libre comme l'air et ne dépend de rien, c'est dans ce mensonge qu'il croit. Il se terre à nouveau et s'assoupit dans don antre.

Un nouveau monde s'élève pour lui et l'oiseau, maintenant humain, doit s'adapter à une toute nouvelle existence. Il était dieu, et maintenant simple mortel embarrassé par des besoins trop exigeants. Se nourrir, respirer, dormir... aimer. Est-ce si essentiel, aimer?