Anémone River-Sirens. Une très jolie façon de se présenter à autrui. Jolie. C'est ce que je suis, ou plutôt non, je suis bien plus. Je suis envoûtante. Sulfureuse aussi. Parfois délicieuse, mais irrésistible avant tout. Ce n'est pas de ma faute, je suis née comme ça. Nous avons été créées pour fasciner, c'est notre plus bel atout. Notre arme la plus dangereuse. Certaines l'acceptent, d'autres pas. Et quelques élues savent s'en servir. J'en fais partie. Le nacré de ma peau, le bleu profond de mes yeux, la soie flamboyante de ma chevelure, ma voix chaude et doucereuse sont autant de choses qui font de moi un être incontournable. Et j'embrasse cette destinée sans me poser de questions. Avouez qu'il y a pire façon d'obtenir ce que l'on désire ; imaginez combien de personnes doivent batailler une vie entière, alors qu'il me suffit de papillonner des cils ou de me cambrer de façon provocante. Ce n'est pas désagréable, au contraire, j'en serais presque heureuse. Oui, le bémol est là. Mais à y réfléchir, je ne pourrais jamais me contenter d'un statut quo paisible. J'aime me prélasser au soleil, quelques gouttes d'eau ruisselant sur mon corps. Mais parfois, je me dis que je pourrais être bien plus. C'est bien pour cela que je suis de celles qui ne restent pas tranquillement sur leur rocher, d'ailleurs, j'ai toujours eu la place un peu en hauteur. J'aime contrôler mon monde. Lequel est-ce ? Allons donc, n'avez vous pas encore compris ? Créature enchanteresse, parée des trésors sous marins à la voix berçant le va et vient des vagues tandis que mes mouvements gracieux vous emprisonnent dangereusement. Toujours pas ? Et si je vous dis que je viens d'un autre monde, un monde féérique, imaginaire. Las-bas, en prenant la deuxième étoile à droite et tout droit jusqu'au matin, en dépassant la crique au crocodile ? Non ? Cette Clochette n'a donc pas fait son travail jusqu'au bout ou bien est-ce ce bon à rien de Peter Pan ne vous a donc jamais emmené à notre Lagon ? Parfaitement, mon lagon. Car j'en suis une. Une sirène. Une sirène de Neverland.

C'est ainsi que l'on nous appelle, moi et mes sœurs. Je persiste à vouloir l'indépendance de notre Lagon et nous défaire définitivement de l'appartenance à ce pays imaginaire. Trop longtemps enchaînées à ce monde, pourquoi n'aurions-nous pas le droit d'être maîtresses de nos propres terres, que dis-je de nos eaux ? Probablement parce que nous sommes maudites. C'est sans doute le revers de la médaille pour une beauté envoûtante et une symbiose totale avec l'un des quatre éléments. J'ai toujours aimé ce pouvoir. Il peut paraitre insignifiant, mais n'importe qui pourrait très vite y prendre goût. Mais le pouvoir, c'est un peu comme la magie. Il y a toujours un prix à payer. Et dans notre cas, notre ascendance sur les hommes est aussi notre plus grande faiblesse. C'est sans doute pour cela que je préférai noyer mes proies après avoir joué avec elles. Je l'avoue, je me laissais parfois happée par la puissance des bras des hommes, je fondais sous les baisers passionnés. La plupart étaient des pirates. Tous pirates, évidemment. On raconte beaucoup de choses fausses sur eux ; en vérité, ils ne sont pas si différents des enfants perdus. Disons que ce sont des hommes abandonnés, ayant pour mère l'océan et pour père leur capitaine. James Hook, aussi connu sous le nom de Crochet. Nous autres sirènes en avons toutes une peur bleue. Plus qu'une terreur des mers, il l'utilise à ses fins diaboliques. Or, nous princesses des mers, ne supportons pas qu'il puisse nous dérober cette ascendance qu'il détient sur les eaux. J'ai toujours voulu récupérer cet héritage. Détrôner Crochet. Hélas, je ne suis pas à la tête de ma famille et Siloé refuse toute alliance avec le pirate. C'est assez compréhensible, puisque comme nous toutes, elle a juré fidélité à son ennmi juré. Le garçon le plus séduisant de toute Neverland : Peter. Peter Pan.

C'est bien simple, elles le veulent toutes. Siloé, Sansa, Judicaëlle, Callista, oui même Azmaria en sont folles. J'avoue moi-même avoir un faible pour cette frimousse délicieuse, ses histoires à dormir debout. OuI, jusqu'à cette horrible façon de nous appeler "les filles", comme si nous étions de vulgaires pièces dans son harem. La guerre entre les sirènes et les fées a commencé à cause de lui, d'ailleurs. Une guerre pour un homme. Enfin, tant que les sirènes se rebiffent et s'affirment, cela ne me pose pas de problème et je ne me soucie guère de la cause. Ma haine de Neverland est trop grande pour que je me soucie d'un vers parmi les branchages. Car c'est exactement ce que Peter est, un vers. Non content de briser le cœur de mes sœurs, sa rivalité avec Crochet nous a valu de nombreux problèmes avec les pirates. Il a fallu en tuer beaucoup. C'est cela qui m'a rendue sanguinaire et plus ambitieuse que jamais : Siloé n'a pas la poigne pour mener le Lagon. Elle est trop consensuelle, trop raisonnée. Elle a trop peur de verser du sang. Pas moi. Je n'ai jamais eu de scrupules. En vérité, la seule chose pour laquelle je tremble, c'est ma petite sœur Azmaria. La petite chipie a réussi à voler le précieux dé à coudre de Peter, une babiole que le prince du pays imaginaire désire ardemment récupérer. Fort bien. Qu'à cela ne tienne : qu'il vienne le chercher, son dé à coudre. Je pourrai enfin faire ce que j'ai longtemps rêvé de faire, l'attirer dans un piège, feindre l'entente cordiale avant de le jeter au plus profond des mers, là où j'ai le contrôle et lui de simples petites bulles, comptées une à une avant d'expirer gentiment comme on s’endort. Et j'y étais presque arrivée. Avant que ce maudit sortilège ne vienne tout gâcher !

Enfin, quand je dis maudit. Il n'y a pas que des défauts dans cette nouvelle vie. Pour la première fois, je suis en haut du pavé. Je ne tiens pas encore la ville entre mes mains, mais c'est déjà un début. On me compte parmi les femmes les plus influentes et, si je n'ai pas encore retrouvé mes sœurs, je saurai mettre la main sur Peter. Encore que cela peut attendre. Non. Ma proie première ? Celui avec lequel j'aurais du m'allier depuis longtemps, celui que j'aurais du attirer dans mes filets entre tous ceux morts pour mes beaux yeux et ma voix d'outre tombe. Cette fois-ci, je ne ferai pas les mêmes erreurs. Et il ne saura pas me résister. James, je suis là et tu ne m'échapperas pas.