Moi, Robin de Loxley, vais vous raconter mon histoire. Il y a bien longtemps, dans le comté de Nottinghamshire vivait un renard respecté, le seigneur Hector de Loxley. Bon pour ses sujets, impitoyable pour ses ennemis et sage dans la régence de ses terres. Il avait épousé en première noces la lapine Lady Mathilde, la fille aînée d'un seigneur voisin. De constitution fragile, elle ne survécut pas à la naissance de leur premier enfant, un petit lapereau qui mourut rapidement. Inconsolable, Hector de Loxley s'enfonçait chaque jour dans sa tristesse et son désespoir. La gestion des ressources de sa seigneurie s'en ressentit et bientôt, les paysans décidèrent d'intervenir. Leur chef, un renard, accompagné de sa fille aînée, se rendit au château. Le sourire de la jeune renarde, ses grands yeux noirs et ses traits doux détournèrent le seigneur de Loxley du désespoir qui rongeait ses jours et sa santé. Il prit la renarde à son service et chaque jour, au lieu de s'enfermer dans ses appartements, fit de longues promenades dans la cour du château et de longues sorties à cheval dans les alentours en sa compagnie. Bientôt, son sourire et sa joie de vivre revinrent. Pour prix de l'immense service qu'elle lui avait rendu, il l'épousa, faisant d'elle Lady Iseuldt Loxley. Un petit renardeau leur naquît l'année suivante, de constitution robuste et aux grands yeux noirs, tels ceux de sa mère. Mais la situation changea rapidement. Un nouveau shérif fut affecté au comté de Nottinghamshire, loup cupide, vil et démoniaque. Hector de Loxley s'éleva contre sa tyrannie et rapidement, les relations entre le shérif et la seigneurie se détériorèrent. Robin vit son père vieillir rapidement, rongé par les soucis que lui causaient le shérif. Hector de Loxley voulut réagir et provoqua le shérif en duel, inconscient des conséquences d'un tel acte. L'issue du duel fut tragique : Hector y perdit la vie, laissant seuls son épouse et son renardeau de quatre ans. Lady Loxley le rejoignit dans la tombe dans le mois qui suivit et le château tomba en ruines, le shérif confisquant les terres de la seigneurie. Robin, âgé d'à peine cinq ans, fut recueilli par un groupe de hors-la-loi vivant dans la forêt de Sherwood. Il se lia d'amitié avec Petit Jean l'ourson et commença une nouvelle vie.

C'est pendant son enfance que le petit renard rencontra celle qui allait transformer son avenir. Alors que Petit Jean et lui jouaient en bordure de la forêt, il vit une jolie renarde vêtue comme une lady s'aventurer non loin d'eux. Émerveillé par sa beauté, le renardeau la suivit et lorsqu'elle l'entendit faire craquer une branche, ils se retrouvèrent museau à museau. Robin se présenta comme son chevalier servant, exagérant sa révérence et se comportant tel l'un de ces chevaliers qu'il avait vus dans la grande salle du château de son père, alors qu'il était encore bien jeune. Il la protégea contre le terrifiant ourson qui les attaqua avec son épée de bois. Les deux amis se battirent sous les yeux de la petite renarde et lorsque Petit Jean s'effondra mort sur le tapis de feuilles jaunes, Robin vint réclamer sa récompense : un baiser et le nom de sa belle. Ainsi débuta l'histoire de Robin et Marianne. Au début, ce ne furent que de candides jeux d'enfants, Robin défendant les couleurs de Marianne lorsqu'avec ses amis ils organisaient des tournois sous le couvert des hauts arbres de Sherwood. La dame de ses pensées devint son amour et le couple échangea ses premiers baisers, caché derrière un buisson. Bientôt, toute la "famille" de Robin comprit que le jeune renard était amoureux de Lady Marianne. Le renard adolescent s'enflamma d'amour pour elle, prêt à traverser la terre entière, à combattre mille shérifs de Nottingham pour lui prouver que les battements de son cœur n'étaient que pour elle. Mais leurs origines différentes, malgré la haute naissance de Robin désormais effacée, les empêchaient de vivre leur idylle en pleine jour. Ils ne le savaient que trop bien. Pourtant, Marianne eut le courage d'en toucher mot au roi Richard, son oncle. Et ce fût une Marianne heureuse et une réponse favorable que Robin reçus cet après-midi-là. Mais comme l'orage suit la beau temps, arrivèrent les Croisades.

La situation fut telle que le roi Richard partit défendre la Chrétienté. La couronne et la régence échurent à son jeune frère, le cupide prince Jean. Et le royaume d'Angleterre en pâtit. Tout comme l'idylle entre Robin et Marianne : les deux amants furent séparés, Marianne restant cloîtrée de force entre les hauts murs de pierre de son château. Ces longues années sans nouvelles de Marianne furent un calvaire, pour le beau renard. Il les occupa à voler les riches, pour rendre aux pauvres. Et une après-midi, alors que lui et Petit Jean cuisinaient et faisaient leur lessive, un carrosse royal passa non loin. Les deux amis saisirent l'occasion de voler au prince Jean, car il s'agissait bien de ce lion tant haït du peuple anglais. Déguisés en bohémiennes, Robin et Petit-Jean parvinrent à lui voler ses bijoux et l'argent des impôts qu'il venait juste de collecter. Les rhinocéros qui gardaient le carrosse et son royal passager n'y virent que du feu. Et les deux amis purent redistribuer aux habitants de Nottingham, pour leur plus grande joie. Malgré ces amusements, Marianne ne quittait pas les pensées du renard. Et puis arriva l'unique opportunité de la revoir : un tournoi organisé par le prince Jean lui-même. Bien décidé à se moquer de son souverain et à gagner la récompense promise au vainqueur pour pouvoir la redistribuer ensuite à ses amis, Robin s'y rendit sous le déguisement d'un oiseau, mi-pélican, mi-flamand rose. Au premier regard, il vit Marianne. Et leur unique échange le fit reconnaître. Il vit l'amour de sa dame dans ses beaux yeux. Mais le tournoi finit mal et toute la population de Nottingham fut jetée en prison car refusant de payer les taxes dues au prince Jean. En cherchant à les délivrer des geôles du shérif, Robin faillit lui aussi être arrêté, mais préféra se jeter dans le fleuve, au péril de sa vie. Il survécut à sa chute. Les sombres jours de l'Angleterre prirent fin lorsque le roi Richard revint de sa croisade, permettant à l'amour de Marianne et Robin d'éclater au grand jour. Ils furent unis par frère Toque, sous le regard attendri du vieux roi et quittèrent Nottingham dans un magnifique carrosse drapé de blanc, direction Londres. Ils s'arrêtèrent dans une auberge pour passer la nuit et Robin s'endormit en serrant son amour dans ses bras. Et la tragédie les frappa.


Aujourd'hui, tout est différent. Ma nouvelle vie a commencé avec ce réveil brutal, dans une chambre vide. Personne à mes côtés, aucun signe de Marianne. J'ai rapidement paniqué, incapable de comprendre ce qu'il se passait. Les yeux agressés par une source de lumière très étrange provenant du plafond, je me suis traîné jusqu'aux latrines. Et là, en levant la tête, j'ai cru que mon cœur s'arrêtait. Face à moi était le visage d'un être étrange. En levant les mains et en les posant sur mes joues, j'ai compris que c'était moi, que je voyais. Mais où était donc mon magnifique pelage roux ? Mes pattes velues ? Mon museau noir ? Désemparé, j'ai cherché à échapper au regard égaré que me renvoyait cette vitre au beau milieu d'une pièce. J'ai enfin découvert la chambre dans laquelle je venais de me réveiller. Un lit sans baldaquins, sans draps de soie et sans table de chevet en bois brut ; pas de table d'échec pour passer le temps, ni de chaise percée. Qu'était donc ce monde où le soleil brillait par le plafond et où les fenêtres étaient aussi larges que la porte d'un château ?

J'ai erré longtemps dans les couloirs de cet étrange bâtiment, à la recherche de mon amour. Mais aucun signe de Marianne. Qu'était-elle devenue ? Et si j'avais été le seul à être envoyé dans ce monde hideux et si étrange ? De longues journées sont passées, rongé par l'inquiétude de ne jamais la retrouver. Et puis, finalement, j'ai mis le pied dehors, découvrant un monde aussi sombre que celui dont je venais. Certes il n'y avait plus de vil shérif de Nottingham, mais le malheur des gens, la méchanceté des autres, l'égoïsme et la cupidité de cette société si étrange m'ont rappelé pourquoi j'étais devenu un hors-la-loi, un voleur prenant aux riches pour rendre aux pauvres. J'ai donc trouvé l'emploi parfait pour continuer ma croisade contre l'oppression, devenant avocat. Aujourd'hui, je défends ceux dont on se joue, ceux qui n'ont rien et à qui on veut tout arracher. Je ne gagne pas de sommes astronomiques, mais une grande partie de ce que je gagne, je le mets de côté pour nous offrir, à moi et à Marianne, ce voyage de noce dont nous avons été privés. Si j'aime ma nouvelle vie et mon nouveau corps - avouons-le, je suis sexy - je n'apprécie que moyennement ce nouveau monde dans lequel je suis forcé d'évoluer. J'espérais avoir trouvé un monde meilleur, mais il n'en est rien. Et qui sait ce qui est arrivé à ma douce Marianne ? Je rêve de la retrouver, de pouvoir enfin la prendre dans mes bras, de l'embrasser, d'admirer son beau visage jusqu'à m'en user les pupilles, de caresser son corps jusqu'à m'en user les mains. Elle est mon unique espoir.