« Non mais dîtes-moi qu’je rêve ! » s’écria Mushu alors qu’il s’adressa à lui-même en se pointant du doigt dans une glace. « NON MAIS DITES MOI QU’JE REVE ? »
Pour comprendre l’anéantissement du jeune homme, il est nécessaire de revenir sur son passé. D’ailleurs, une première rectification est à formuler, Mushu Wèi Bào n’a ordinairement rien d’un jeune homme. Il s’agit -ou s’agissait- d’un dragon. Plus précisément, d’un dragon protecteur. Mushu était anciennement le dragon protecteur de la famille Fa pendant des siècles, sans non plus intervenir tous les deux jours. Enfin, tout ceci,  c’était avant d’être remplacé.

Les dragons protecteurs étaient une chose courante dans les familles chinoises et ce, depuis l’âge et les temps des croyances dans le grand empire qu’était la Chine.  Chaque famille en possédait au moins un mais le nombre courant était entre trois et cinq. En tant que dragon protecteur, Mushu se réveillait à la demande du Grand Ancêtre de la famille, lui-même confié d’une mission : celle de protéger ses descendants selon les souhaits de la famille. Lors d’un départ pour une guerre imminente, la famille Fa a demandé aux ancêtres de prendre soin d’un de leur fils, il s’agissait de Fa Deng. Le dragon protecteur qu’était Mushu fut donc envoyé pour se charger de sa sécurité.  Il fut jadis un dragon majestueux et redoutable. D’une grandeur impressionnante et d’une force fougueuse. Or, une erreur de parcours des plus malheureuses lui avait valu sa place de Gardien : son protégé fut décapité.  Aux yeux des autres ancêtres, il fut condamné à être inapte à être le Gardien de la famille et fut relégué à la fonction du sonneur de gong ; gong chargé de réveiller les ancêtres. Ce fut le Grand Ancêtre qui lui destitua de sa fonction. Il avait fallu attendre cinq cent cinquante ans pour que Mushu retrouve son piédestal qui lui conférait le rôle de Gardien. Ce statut retrouvé, il ne le devait que grâce au courage de la jeune Fa Mulan qui sauva la Chine de l’invasion des Huns. Lors de cette mission, les ancêtres ont convoqué Mushu pour qu’il réveille le Grand Dragon de Pierre, le plus puissant des Gardiens de la famille Fa. Une fois n’est pas coutume car dû de nouveau à un malheureux accident, Mushu prit la place du fameux Grand Dragon de Pierre et  il partit dans le but de protéger Mulan, et accessoirement, espérer de faire d’elle un héros de guerre pour récupérer sa place de Gardien car sonner le gong, ça avait tendance à le fatiguer, au bout de cinq cent cinquante ans.

Il va sans dire que la plus grande frayeur de Mushu est de perdre son statut de Gardien de la famille Fa. Autant dire que lorsque Mulan avait pour projet de se marier et que Mushu apprit que de ce fait, sa petite protégée serait dans ce cas pris en charge par les Gardiens de la famille du marié, le dragon rouge failli faire une des plus grosses erreurs de sa vie (en comptant la décapitation de Fa Deng).  En effet, égoïste à souhait car il aimait plus que tout son rôle de Gardien qui lui assurait le respect des ancêtres, il avait tenté de séparer Mulan et son fiancé Shang dans le seul but de garder son piédestal. Et le bougre avait même réussi. Mais son éternel amitié et son immense loyauté envers Mulan ont eu raison de lui. Il aida Mulan et Shang à se marier et contribua même au mariage des filles de l’empereur de Chine avec le mari de leur choix. Convaincu d’être de nouveau chargé de sonner le gong aux ancêtres de la famille, il avait oublié la loyauté indiscutable de l’héroïne de tout un pays. En parlant de Mushu à Shang, celui-ci joint ses ancêtres dans le temple familial des ancêtres de Mulan. De cette manière, Mushu pu rester le Gardien de la famille au plus grand désarroi des ancêtres Fa, car oui, Mushu est arrogant, prétentieux, et se croit tout permis en tant que Gardien. Il est vrai que son statut est des plus primordial, et il oublierait même que ce statut, il le doit uniquement au courage d’une jeune femme. Mais que voulez-vous, il aime son piédestal et le pouvoir que cela lui confère. En tant que Gardien, les ancêtres se doivent de lui obéir et de satisfaire ses besoins. Après tout, Mushu est leur protecteur.

Son arrivé à Fantasia Hill était très désagréable. Désagréable car il n’avait aucune idée à quel point être un humain était dégradant. A son réveil, il avait la bouche moite, ses yeux collaient et il avait énormément mal au dos. Quand on a passé des millénaires à être un dragon, la transition est bien trop brutale pour être appréciée. Alors oui, il était vrai qu’il avait perdu depuis longtemps sa vraie forme de dragon à la respectueuse majesté, mais rien n’y changeait : il était un dragon et de ce fait, il était immortel. Enfin, dans son monde, malheureusement pas à Fantasia Hill. Et c’était ça le plus dramatique, c’est qu’aujourd’hui, c’est du passé. Mushu n’a aucune idée du pourquoi ni du comment il s’est retrouvé dans un corps d’être humain, donc doutez-vous bien que sa première réaction ne fut pas très appréciable pour ses nerfs.

« PAR TOUS LES ANCÊTRES DE LA FAMILLE FA DEPUIS CINQUANTE GÉNÉRATIONS, MAIS QUI SUIS-JE ? »

Il ne savait pas pourquoi il y avait un miroir dans la chambre où il venait de se réveiller, ni pourquoi il était dans une chambre d’ailleurs. « Qu’est c’que c’est ? J’ai des cheveux, nom d’un criquet mal dégarni, j’ai des cheveux, ET DES SOURCILS QUI RESSEMBLE A DEUX CHEMINS DE BROUISSAILLE ?! » Paniqué est un mot faible pour désigner l’état dans lequel il se trouvait lorsqu’il remarqua qu’il était un humain. Son premier réflexe fut de trouver le Grand Ancêtre pour essayer d’avoir une explication à tout ce cirque mais il ne le trouva pas dans l’immédiat ; donc bonjour l’angoisse chez le jeune Mushu qui se retrouva dans un corps d’un jeune adulte alors qu’il avait lui-même vu passer un nombre incalculable de générations d’hommes et de femmes sous ses yeux.

Être un humain, soyons franc, ça le gonfle. Il y a tellement plus d’avantages à être un dragon que tous les énumérer seraient affligeant. Une des seules choses que Mushu semble apprécier de sa nouvelle vie et sa taille d’un beau mètre quatre-vingt. Avoir des cheveux est également une expérience qui au début le troublait un peu, mais dans le bon sens. Il aime maintenant en prendre soin et en général, il aime prendre soin de son corps tout simplement. Mais il ne s’habitue pas à ce corps d’homme. Et le simple fait de se remémorer son statut de Gardien le fait sombrer dans un monologue intérieur mélo-dramatico-exaspéré. C’était le job parfait ! Mais le voici relégué à un simple gardien pour personnages âgés. Faut bien quelqu’un pour les empêcher de déguerpir ces moribonds. Mais quitte à choisir, il préférait de loin sonner le gong.