Plongée dans une obscurité que les doux rayons lunaires transperçaient, Anna observait tous ces petits visages de porcelaine, ces yeux ternes et froids rivés sur elle, ces bras tendus accueillis par aucune chaleur. La vue de tous ces jouets sans vie conférait une ambiance quelque peu morbide à la scène. Pourtant, Anna ne se lassait pas se trouver assise au milieu de ces figurines faites de bois, de porcelaine et de chiffons. Immobiles, froids, dépourvus de vie, ils étaient le reflet même de ce qu’elle allait devenir, de ce que le destin avait décidé de faire d’elle : une statue de glace. Longtemps, la jeune femme n’avait pu se l’avouer. Comment accepter la mort lorsqu’elle vous ouvre grand les bras ? Et puis finalement, ce fut au détour d’une conversation avec une parfaite inconnue, que la vérité avait éclaté dans son esprit et dans ses mots embrumés par l’alcool. Elle allait mourir. Le scénario se répétait et elle ne pouvait plus nier. Malheureusement, elle n’aurait pas autant de chance que la première fois. La princesse avait perdu son monde de contes et de merveilles, elle avait refermé les portes de son utopie et elle se retrouvait désormais jetée dans une existence cruelle qui sonnait la mise à mort des fins heureuses. Ce sort dont ils avaient tous été la victime les condamnait ; alors pourquoi lutter ? Anna avait fini par apprendre que la magie avait un pouvoir bien trop puissant pour eux, simples mortels et elle allait en payer le prix fort. Celui de sa vie.
Anna souffla de lassitude, ayant un brusque frisson. A l’intérieur, elle était protégée de la morsure du froid, pourtant, une fumée blanche s’échappait d’entre ses lèvres bleuies. Le sortilège d’Elsa la consumait de jour en jour. Chaque heure la rapprochait un peu plus de la mort, de ce vide glacé et silencieux qu’elle avait autrefois connu. Elle se mourait à petit feu mais elle se gardait bien de le dire à qui que ce soit. Tout à l’heure, elle était prête à fermer boutique, Damon l’ayant devancée pour se planter devant la télévision dans le canapé, quand elle fut secouée par une crise. Son cœur s’était ralenti, sa peau s’était recouverte de givre et elle avait été incapable de bouger le moindre muscle. Dans ces cas-là, elle s’isolait alors, attendant que son mal passe. C’était un étrange phénomène que les effets de la magie à Fantasia Hill. Lorsqu’elle était à Arendelle, il avait suffi d’à peine quelques heures pour que la magie gèle entièrement son cœur. Mais ici, le sort prenait un plaisir sournois à s’étendre dans le temps pour la renvoyer au vide de son existence. Le froid mettait des semaines à la consumer, il se manifestait que par quelques crises qui se faisaient de plus en plus proches et violentes. Combien de temps allait-elle encore continuer à cacher son état aux gens qui l’entouraient ? Surtout à ses colocataires. Par chance, Ria avait le nez enfoui dans ses livres et Damon ne s’était sans doute rendue compte de rien. Elle se releva finalement quand les battements de son cœur redevinrent réguliers et ferma finalement boutique. Chaudement emmitouflée dans son manteau et son écharpe, elle fit front à cet hiver glacial. Décidément, elle n’avait que peu d’affections pour cette saison. Elle gagna finalement le Méli-Mélo House et rentra dans l’appartement sans même prendre la peine de frapper. Damon se trouvait déjà avachi sur le canapé, un bol de pop-corn sur les jambes. « Désolée pour le retard, j’ai dû vérifier un truc dans la réserve. » prétexta Anna en s’avançant. Damon n’était pas du genre à poser beaucoup de questions mais elle ne souhaitait éveiller inutilement des soupçons. Après s’être débarrassée de son manteau et son écharpe, elle s’échappa un instant dans sa chambre. Frissonnante, elle enfila un pull de plus, même si elle ne doutait pas de la stérilité de son geste. Elle intercepta tout à coup son reflet dans la glace et écarquilla de grands yeux lorsqu’elle avisa qu’une nouvelle mèche blanche s’était imposée dans sa chevelure. En arrivant à Fantasia Hill, elle avait seulement gardé cette petite mèche qu’elle avait depuis son enfance, mais depuis le sort, beaucoup d’autres étaient apparues. Comment arriverait-elle à les cacher si d’autres apparaissaient ? Elle passa une main tremblante dans ses cheveux en soupirant. Cela était peut-être du plus bel effet sur Ria, mais elle doutait qu’une pareille chevelure sur elle allait susciter le même engouement. Durant plusieurs minutes, elle s’employa à s’attacher les cheveux de manière à masquer autant qu’elle le pouvait ses mèches blanches. Quand elle fut satisfaite, elle regagna le salon et s’affala sur le canapé à côté de Damon. « Tu regardes quoi ? » demanda-t-elle dans un soupire. Elle était épuisée, autant par sa grossesse que la magie. Elle voulut piocher dans le bol de pop-corn, mais la simple odeur de caramel lui provoqua de violents haut-le-cœur. Elle eut une grimace de dégoût. Quand soudain, un poing frappa timidement à la porte. Anna tourna la tête vers l’entrée avant de voir rentrer Ria. Un sourire apparut alors sur ses lèvres tandisu qu’apparaissait son petit ange blond. « Je suis ravie de vous voir ! » sourit l’ancienne petite lapine. « Tu t’es enfin décidée à tirer ton museau de tes bouquins ? » la taquina affectueusement la princesse avant de tapoter une place sur le canapé. « Allez, viens t’asseoir avec nous. Je crois bien que Damon nous a choisis, encore une fois, un programme qui mérite d'être vu. » plaisanta-t-elle avant d’ajouter : « Heureusement, il y a le pop-corn. »
   
   

  Le but premier d’Anna dès qu’elle rentrait à l’appartement, c’était de s’employer à dissimuler le mal qui l’habitait. Malheureusement, elle s’y prenait parfois de manière bien maladroite et les attitudes qu’elle adoptait étaient bien loin de celles qu’elle avait d’ordinaire. Jusqu’ici, rien ne s’était vu et ça n’avait pas été trop flagrant, mais elle n’était pas à l’abri d’une nouvelle maladresse. Si c’était une compétence olympique, elle aurait sans nul doute était sur le podium, la jolie princesse des gaffeuses. Au palais, elle ne cessait de les enchaîner alors dans un monde inconnu, autant dire qu’elle courait droit à la catastrophe. Anna s’était assise à côté de Damon qui était calé devant la télé. Il lui balança une phrase qu’elle se résigna à comprendre. Il avait parfois des attitudes un peu bizarres mais c’est pas grave, elle l’aimait comme ça son petit enfant perdu. De toute manière, dans cet appartement, tout le monde avait des habitudes ou des caractères bien différents et qui faisait les couleurs de leur trio. De l’extérieur, c’était assez amusant à voir. Lorsqu’elle lui demanda, il répondit qu’il regardait Real Houswifes elle ne sut tout d’abord ce que c’était, mais au vu de la tête de ces choses, elle se doutait que c’était un programme pour aliens, ou alors ces femmes avaient dû avoir des accidents très graves. Elle eut presque un élan de compassion pour elles. Puis elle sourit quand Damon s’imposa en grand maître de la télécommande, l’agitation comme un trophée. « Ah oui ! J’ai failli oublier le grand roi de la télécommande. » dit-elle pour rire. Elle voulut se servir dans le pop-corn mais ses nausées furent si violentes qu’elle suspendit son geste et éloigna sa main. Tant pis, elle attendrait d’aller mieux. Damon la prit soudain dans ses bras pour lui claquer la bise sur la tempe. Certes, elle était habituée à ce genre de geste de sa part, mais aujourd’hui, cela eut pour don de l’affoler intérieurement. Et s’il avait senti que sa peau était froide ? Par chance, il semblait plus préoccupé par le fait de faire ses salutations du soir que par la température de sa peau. La princesse décida de se calmer un peu. Il se retire et c’est à ce moment-là que Ria décida de rentrer dans l’appartement. Anna lui offrit un beau sourire, heureuse de la voir rentrer beaucoup plus tôt que d’habitude. Enfin elle quittait le nez de ces bouquins ! Elle allait finir par se tuer à la tâche si elle continuait ainsi. Surtout que si elle ne travaillait pas à la bibliothèque, la petite lapine se faisait un plaisir de ramener du travail à la maison et de tapisser le sol de bouquins. Anna incita Ria à venir s’asseoir près d’eux tout en taquinant Damon sur le choix du programme. Il avait quand même le chic pour mettre des trucs pourris quand enfin il s’arrêtait sur une chaîne. « Roh ça va si t'aime pas je vais zapper hein ! Mais avoue que tu aimes parler règles et chiffon !... » Anna fronça les sourcils d’incompréhension et se tourna vers Damon. De quoi il parlait encore celui-ci ? Décidément, il se passait des trucs pas très nets dans sa tête et Anna se serait bien gardée de connaître le fond de sa pensée. Autant ne faire aucun commentaire car la princesse risquait bien de le regretter. Finalement, la belle lapine vint s’asseoir à côté d’eux et Damon fit exprès de se coller contre la princesse pour être entouré des deux demoiselles. Anna lui lança alors un regard amusé. « T’es vraiment pas possible toi ! » dit-elle d’un air de fausse remontrance, ayant pour encouragement l’acquiescement de Ria. Plusieurs minutes s’écoulèrent ensuite sous la musique de la télévision quand Ria reprit soudain la parole. « Vous diriez quoi si je vous annonçais que j'arrête les études ? » Anna mit quelque temps avant de réagir à ce qu’elle venait de dire. Tout à coup, cela lui fit un drôle de choc. Elle ne s’y attendait pas vraiment. Etait-ce une blague ou bien était-elle sérieuse ? Dans ce cas-là, pourquoi comptait-elle quitter ces études ? La princesse était assez désappointée et quand son regard croise celui interrogateur de la lapine, elle se dit qu’elle devrait répondre quelque chose. Elle bredouilla un peu au début avant de prendre un ton bien plus assuré. « Eh bien… Je ne sais pas trop… c’est une décision un peu étonnante mais je ne pense pas qu’elle soit dénuée de sens. Ça ne serait pas une mauvaise idée, surtout que tu es pleine de ressources. » Par-là, la princesse entendait bien sûr le fait que Ria était toujours enfermée dans ses bouquins et son travail. Elle ne faisait pas grand-chose d’autres à côté et si elle devait quitter ses études, cela pourrait l’ouvrir au monde. Anna poursuivit. « Mais pourquoi en es-tu arrivée à vouloir quitter tes études ? Tu as eu une prise de conscience ? Tu veux faire quoi à la place ? » demanda-t-elle intriguée, sachant pertinemment que Ria ne resterait pas les bras croisés à ne rien faire de ses journées. « Et toi Damon, tu en penses quoi ? »