Il est planté devant la grande fenêtre du quatrième étage, il regarde, il observe. Dehors, il voit ses camarades prendre un malin plaisir à jouer dans la neige, à créer des bonshommes et à se courir après. Il ne peut s'empêcher de soupirer, lui, il n'a pas d'amis, pas vraiment. Ce qui lui manque, surtout, c'est une famille, une vraie famille. Dame Genovet est gentille comme tout, elle lui donne à manger trois fois par jour et, souvent, le soir, lui raconte une histoire ou deux mais ça ne remplace pas un vrai câlin, une tendresse infinie que peut prodiguer les bras d'une vrai maman. Il détache ses yeux de ce paysage enchanteur, se recule de la fenêtre et laisse une larme couler le long de sa joue. Larme qu'il balaie du revers de sa main. Lui n'a personne, mais au fond, c'est aussi ce qu'il désire. Seul dans le dortoir, à l'heure où les enfants sont autorisés généralement à sortir jouer dans le préau, lui ne pense qu'à lire. Un passe-temps comme un autre, une manière de s'évader, de s'oublier. Une manière d'oublier qu'il n'a jamais connu ses parents, que ces derniers ont préféré l'abandonner sur le porche de cet orphelinat plutôt que de l'aimer tendrement. S'isoler, plus encore dans sa propre solitude, sa propre quiétude. L'esprit ailleurs, il ouvre son livre, toujours le même, qu'il relit, encore et toujours "Les aventures de Flynnigan Rider" et il sourit. Les aventures d'un voleur héroïque, vivant dans le danger constant et, par la même occasion, donnant un sens propre à son existence. Un voleur solitaire, téméraire et courageux... C'est son héro, son personnage préféré, peut-être même qu'il s'imagine Flynnigan comme étant son père. Ce qui est bête, c'est que lui, son nom, il a beaucoup moins de classe et ne ressemble pas à celui de son héro, non. Lui, il s'appelle juste Eugène Fitzherbert...


La tempête est violente, la pluie ruisselle sur son visage mais le jeune homme n'interrompt pas sa course. En bandoulière, sa sacoche pend, frappant contre ses côtes à chaque enjambées. Derrière lui, il entend le pas des chevaux qui se hâtent à sa recherche. Dans son petit sac, un trésor d'une beauté inestimable ; une relique en diamant qu'il a volé chez le trésorier du roi. Le souffle coupé, il ne cesse de continuer d'avancer. La forêt se dessine toujours plus sombre, toujours plus profonde devant lui et il peine à trouver son chemin. Peu importe, il ne s'arrête pas, lui ne finira pas sa vie dans une géôle. Il court encore, cinq longues minutes, avant d'apercevoir un arbre suffisamment épais pour qu'il puisse s'y enfoncer. Il accélère son pas dans les derniers mètres et s'élance. Il attrape une branche, puis une seconde, et continue son ascension. Juste assez vite pour que les gardes n'aient le temps de voir son pied disparaître dans le feuillage épais de l'arbre. Assis sur sa branche, calfeutré et protégé, il sort la relique de sa sacoche et esquisse un sourire. Courez les gars, vous n'trouverez jamais Flynn Rider. se dit-il en riquanant. Parce qu'à présent, oui, il était devenu son propre héro, écrivant sa propre histoire. L'orphelinat était loin derrière lui, en y repensant, il n'éprouvait aucun regret ni quant à sa fuite, ni quant à cette nouvelle vie qu'il avait décidé de mener.


La suite de son histoire, tout le monde la connaît. Celle-ci est aussi vieille que le monde. Un jeune homme dérobant une tiare dans un royaume pleurant une princesse disparue qui cherche refuge dans une cabane construite au sommet d'une tour. Une rencontre fortuite avec une jeune fille à peine majeure qui, au premier abord, ne trouve rien de mieux que de l'assomer à coup de poêle. S'en suit de vaines tentatives de séduction pour s'enfuir, une accroche toute particulière et une promesse faite en l'air. Si je vous amène voir la fête des lumières, vous me rendez mon butin et disparaissez de ma vie et puis, l'amour qui s'installe doucement, sans même qu'il n'ait le temps de s'en apercevoir. Tant d'années d'errance et de solitude à ne vivre que pour lui, à n'exister que pour lui. Tant d'années à user et abuser des coeurs désabusés, jouant de son charme et de ses attouts pour obtenir ce qu'il désirait ne l'avaient pas préparé à cette rencontre. Une fille qui lui résiste, qui fait preuve de courage et de témérité. Une fille, une vraie, qui décide, tout comme lui des années plus tôt, de quitter sa zone de confort et de prendre en main son existence. Une collaboration assez étrange et plutôt malsaine, à première vue, qui mène à une conclusion digne des plus beaux comtes de fées. Une princesse retrouvée, un amour qui perdure et un mariage, une nouvelle vie... Flynn Rider qui disparaît pour laisser Eugène Fitzherbert renaître de ses cendres. Le bonheur qui survient là où on ne l'attend pas et une intégrité fraîchement retrouvée. L'amour, le vrai, l'unique, partagée entre deux âmes soeurs ; Raiponce et Eugène. Une nouvelle vie qui s'ouvre à lui, comme une rédemption.


Tout aurait pu s'arrêter là. Et puis, un matin, il se lève aux aurores pour aller chercher dans un royaume voisin de quoi célébrer le premier anniversaire d'un mariage parfait et d'une vie extraordinaire. En chemin, il sent le sol se dérober sous ses pieds, ses yeux se fermer bien malgré lui et son coeur s'arrêter de battre un seul instant. Une évasion, un tremblement, un arrêt net sur image. Et puis, il ouvre à nouveau les yeux... mais la saveur est différente. Les arbres ne sont pas les mêmes, la couleur de sa peau est différente et les matières sont étrangement réelles. Un goût amer au creux de la gorge, une fatigue et un souffle nouveau. Il observe un instant les paysages autour et ne comprend pas ce qu'il vient de se passer. Sous le choc, il revient sur ses pas et décide de rentrer auprès de sa femme. Malheureusement, le royaume n'existe plus et il n'y trouvera qu'une ville dont il ignore tout. Perdu, à mille lieues de ceux qu'il aime et de ce qu'il était, Eugène cherche des réponses à ses questions... en vain !


Six longs mois d'errance dans un monde inconnu l'auront marqué à vie. Prenant cet exil comme une punition pour les crimes qu'il a commis avant de rencontrer Raiponce, il sombre à nouveau. Flynn est de retour, malheureusement ! A cet instant, il n'a d'autre choix que de voler pour survivre... ici, il ne suffit pas de chanter pour que les oiseaux vous apporte un bout de pain, non ! Ici, la vie est cruelle, les gens le sont aussi. Désabusé, il a perdu foi en tout ce en quoi il croyait. Alors il vole, et il revend aux plus offreurs. Ici, on parle avec de l'argent, ici, on utilise cet argent pour acheter un endroit pour vivre et de la nourriture. Il ne comprend pas tout à ce monde mais a pris le temps de s'y accomoder. Les larcins sont son cheval de troie, désormais. Il ne vit que par ça... et puis, il découvre les plaisirs futils et fugaces de l'alcool et des drogues. Douces ou dures, peu importe, elles lui permettent souvent de s'échapper et de retrouver la douceur de son comte, de son ancien royaume. Exit le gentil petit prince charmant, puisqu'il faut survivre dans un monde hypocrite et terrifiant, il redevient cet homme malhonnête et pervers. En oubliant jusqu'à sa femme, égarant son alliance en même temps que ses espoirs dans les profondeurs des ténèbres. Eugène n'existe plus, Flynn reprend le dessus et, étrangement, ce nouveau mode de vie réveille désormais en lui les pires instincts...