hey sister.

Elle détestait déjà devoir sortir de cette nouvelle maison. Mais alors pour la faire sortir de sa chambre et de son lit, c’était encore une autre histoire. Les yeux fermés, elle écoutait un morceau de jazz sur un tourne-disque qu’elle avait récupéré et acheté trois fois rien. Au contraire de sa sœur qui se plaisait dans cette nouvelle vie, dans cet étalage de richesse, Javotte se réduisait au minimum d’achat. Ce qui ne lui était pas nécessaire, elle n’en avait que faire. Pourtant, elle avait craqué pour ce phonographe. Mais c’était une bonne chose, un bon investissement. Ici, dans sa chambre, un petit cocon de douceur c’était doucement formé autour d’elle, et c’était le seul endroit où elle était en paix. Distraitement, elle caressait la tête du chat en peluche que Luc lui avait offert après une mauvaise blague l’ayant fortement blessé. Noir et blanc, comme Luc – ifer – l’était à « l’époque ». Elle aimait bien cet aspect là de la malédiction, le Lucifer humain avait quelque chose de touchant sur laquelle elle n’aurait su mettre de mot mais l’empêchant d’être acerbe et mauvaise avec lui comme elle l’avait toujours été avec tout le monde avant la malédiction. Luc était un frère. A l’égal d’Anastasie.

Anastasie qui justement, Javotte l’entendit au-delà du doux air de jazz dans sa chambre, elle, venait d’entrer dans le hall sûrement juché sur des talons vertigineux pour faire autant de « clac clac » à la seconde. A en juger par la continuité des bruits, elle était à présent dans le salon. Et dans moins d’une minute, la voix chantante comme un carillon de sa petite sœur s’élèverait pour la faire sortir de son nid douillet. Elle connaissait Anastasie mieux que personne, ses tics, ses habitudes, sa façon de parler lui était même parfaitement familière. « Javotte, tu es là ? » Même ça elle l’avait deviné avant. En grognant un peu, elle s’extirpa de son lit. « Je suis en haut, j’arrive ! » Elle enfila tranquillement un jeans pour couvrir ses jambes et attrapa un gilet pour couvrir ses épaules. Emmitouflé dans son attirail, elle se décida enfin à rejoindre sa sœur dans le salon. Comme d’habitude, elle la trouva entouré de paquet. « Eh bien, je vois que tu t’es encore bien amusé. » Elle n’avait pas voulu être méchante, ou froide. Mais c’était plus fort qu’elle, la fièvre acheteuse de sa sœur lui était insupportable. Ainsi que son impudeur. Genoux et épaule découverts, pas de chapeaux dehors, pas de gants. Pour Javotte, le comportement de sa sœur était inacceptable. Pourtant elle se fit violence pour être plus agréable. « Tu me montres ? En mode défilé et tout hein, fait pas les choses à moitié s’il te plait. » S’il ne fallait que ça pour rendre sa sœur heureuse dans ce monde là, c’était tout ce qui comptait. Elle finirait bien par trouver un moyen se sentir bien elle aussi ici. Avait-elle seulement le choix de toute façon ?
 

hey sister.

Dire que Javotte était mal à l’aise était un euphémisme. Elle détestait ce monde. Elle détestait devoir faire semblant d’être une autre. D’ailleurs, c’était une des raisons qui la poussait à rester dans sa chambre ou à errer dans le manoir, ce monde n’était pas le sien, elle ne s’y reconnaissait pas et le détestait tout simplement. Si elle avait été comme Anastasie, tout serait certainement plus simple pour elle. Maintenant que son visage était différent et que les regards sur elle était parfois plus qu’éloquent lorsqu’elle se décidait à mettre un pied dehors, elle aurait du avoir plus confiance en elle et assumer sa féminité. Peut-être qu’avec quelques efforts, elle arriverait enfin à sortir sans un chapeau, des gants, un gilet un pantalon la recouvrant jusqu’aux chevilles. Elle ne trouvait pas les vêtements moches, elle les trouvait provoquant et impudique.

Elle eut un petit rire à la remarque de sa sœur. Sa fièvre acheteuse n’était pas prête de tomber. Mais, au moins, la famille n’était plus endetté, alors pourquoi priver Anastasie du bonheur de profiter de cet argent pour des loisirs, quand bien même Javotte les pensait un peu trop oisif pour une jeune fille de son rang ? Elles faisaient partie de la classe aristocratique après tout, elles se devaient d’être pudiques et techniquement charmante et douce. Mais non, Anastaisie n’en faisait qu’à sa tête. A la voir se déshabiller ainsi, exposant son nouveau corps sans vergogne, Javotte eut presque la nausée. Elle était à la fois verte de jalousie et totalement horrifié. Verte de jalousie parce que sa sœur avait désormais un corps absolument parfait et proportionné. Horrifié parce que jamais au grand jamais elle n’avait vu sa sœur si peu habillé – du moins « volontairement ». Néanmoins, elle dut lui reconnaitre une chose. « Cette robe est très jolie. » commenta-t-elle tout simplement. Ni plus, ni moins. Anastasie devrait se contenter d’observation peu loquace et d’un ton presque froid. « Enfile là pour voir ? » Javotte n’avait pas besoin de voir ça. Elle savait que cette robe était scandaleusement courte, et que les épaules, les genoux et le dos de sa sœur serait exposé aux yeux pervers de chaque homme si elle sortait avec ça. Comment pouvait-elle accepter d’être ainsi épier ? Dans ce monde, les hommes n’étaient que des animaux. Sales et obsédé par des choses se passant en dessous de la ceinture. « Tu as prit quelque chose pour moi ? » demanda-t-elle, l’air de rien. Peut-être que sa sœur avait enfin abandonné l’idée de refaire sa garde-robe après tout. Mais elle préférait demander avant qu’Anastasie sorte une robe ridiculement courte.  

hey sister.

DElle n’aimait pas devoir se forcer à faire semblant. Mais sa sœur semblait si heureuse, si épanouie dans ce monde, pourquoi elle n’en était absolument pas capable ? Anastasie aimait ce monde, les fringues, la nouvelle technologie, les hommes. Elle aimait être libre et à nouveau si riche qu’elle pouvait dépenser sans compter. Et au fond, comment lui en vouloir ? A la voir étaler son bonheur ainsi, Javotte arrivait partiellement à se réjouir pour elle. Mais pas entièrement. Parce qu’elle était jalouse, comme elle l’était depuis toujours. Elle était jalouse de la beauté et de l’épanouissement de sa sœur. Jalouse qu’elle soit si bien. C’était plus fort qu’elle. Mais Javotte n’avait pas non plus envie de cracher son venin sur sa sœur alors qu’elle essayait tant bien que mal de lui faire plaisir. La brune en revanche ne bougeait pas le petit doigt pour aider sa sœur à se sentir bien. Cela dit, elle n’avait pas vraiment besoin d’elle non plus. C’était une impasse. « Non non, elle te va très bien et elle est très belle. » concéda-t-elle un peu à contre cœur. De toute façon, ce n’était pas le moment de faire la maligne et de tenter d’encore faire comprendre à sa sœur que ce type de robe n’était pas pour elles. Qu’elles portaient de grands jupons et des jolies corsets pour rendre leur taille un tant soit peu plus fine. Que ce monde n’était pas le leur et qu’il allait bien falloir qu’elles rentrent à la maison un jour. Leur mère devait mourir d’inquiétude – ou pas du tout d’ailleurs, mais Anastasie aimait à croire ça – et devait les chercher partout.

Elle attrapa délicatement la robe dans ses mains. Le vert bouteille s’accordait parfaitement à ses yeux et les manches trois quart et la longueur devait cacher suffisamment de son corps pour qu’elle puisse se sentir un peu à l’aise dans cette robe. L’étoffe était douce sur ses doigts et elle sentait le neuf, odeur que Javotte affectionnait particulièrement quand il s’agissait de robe. Elle n’avait plus eu l’occasion de la sentir depuis longtemps dans leur ancien monde. Elle sentit sa volonté flanché légèrement. « Oh Ana… Merci, elle est vraiment parfaite. » Contrairement à son habitude quelque peu revêche, avec sa sœur, il lui arrivait d’avoir des moments d’incroyable tendresse. Ô Javotte n’était pas un ange. Mais elle n’était pas foncièrement méchante. Aigrie à la limite. Elle sautilla jusqu’à la salle de bain pour enfiler la robe (elle était encore trop pudique pour oser se déshabiller devant quelqu’un, sa sœur comprise). Elle tombait merveilleusement bien, épousant délicatement ses formes sans vulgarité. La tête haute, elle entra dans le salon avec la prestance d’une princesse. « Alors, qu’est-ce que tu en dis ? » demanda-t-elle fébrilement à sa sœur. Son avis était plus qu’important, après tout, c’était elle la déesse de la nouvelle mode.

hey sister.

Sa sœur avait raison. Javotte était jolie dans cette robe. Mais elle aurait préféré se couper la langue plutôt que de l'avouer. C'était trop pour elle que d'avouer se trouver jolie. Comme si, le simple fait de le dire suffirait à briser le charme. Comme si tout à coup, elle allait devenir absolument hideuse parce qu'elle avait osé dire du bien d'elle pendant quelques secondes. C'était idiot, elle était bien au courant, mais le cerveau de Javotte était de toute façon quelque peu tordu, et elle allait devoir vivre avec cet impression d'être affreuse et de devoir le rester toute sa vie. Elle ne méritait pas d'être belle de toute façon. Elle était bien trop désagréable pour ça. Bien trop méchante et agaçante. Mais c'était plus fort qu'elle. Et son visage, son corps, n'étaient que le reflet de sa laideur intérieur. « J'essayerais, je te le promet. » Ce n'était pas une parole en l'air, quitte à aller en enfer, pourquoi ne ferait-elle pas tout pour être une vilaine fille ? Montrer son corps, draguer des hommes, se mettre à fumer. Elle pouvait se le permettre. Mais elle n'en avait pas aussi envie qu'elle pouvait le croire. Tout était encore trop ancré en elle. Et elle avait peur d'être une autre, tout simplement. Cela dit, peut-être que les conseils de sa sœur seraient les bienvenues. « D'accord pour le thé, au jasmin s'il te plait. » Elle s'installa à table, dans sa toute nouvelle robe, curieusement à l'aise. Elle n'était cependant pas certaine que sortir comme ça serait possible. Cependant, elle avait d'autre soucis pour l'instant. Elle se lança enfin : « Ana... Tu crois que mère va bien ? » Elles n'en avaient pas encore tellement parlé, mais leur mère devait bien se trouver quelque part, à les attendre, non ? Ou alors elle se faisait dorrer la pilule au soleil parce qu'elle était enfin débarrassé de ses affreuses filles. Mais c'était peu probable.