Assis dans ton canapé, une bouteille de Rhum plantée devant toi, tu l'observes avec insistance. Tu ne l'as pas encore ouverte. Depuis la visite surprise de Jude, il t'arrive plus rarement de boire la journée. Tu as toujours peur qu'elle débarque une nouvelle fois à l'improviste et qu'elle finisse par se rendre compte que tu n'étais pas quelqu'un de bien et que surtout, tu ne faisais aucun effort pour t'en sortir. Etait-ce mal de ne pas en faire? Depuis que tu l'avais rencontrée, ta vie avait changé. Tes collègues te trouvaient un peu plus joyeux, plus souriant. Tu n'avais rien dis à son sujet. Tu voulais garder Jude pour toi. Parce que c'était la première à s'intéresser à quelqu'un comme toi. Tout en fixant cette bouteille, c'est à sa dernière visite que tu repenses. A cette hésitation que tu as eu de l'embrasser, bien que tu ne l'aies pas fais pour finir. Quel lâche! Mais en même temps, tu ignorais tellement de choses à son sujet. Si elle avait un petit ami ou non. Qui elle côtoyait. Ce qu'elle faisait. Tu savais juste qu'elle servait au Hyena Club et travaillait dans le refuge ou tu avais été cherché Lucky. Tu ne connaissais que l'aspect travail de sa vie. Ce n'était pas suffisant pour embrasser quelqu'un, si? Tu étais vieux jeu sans doute. Tu n'osais pas tâter ce terrain, de peur qu'elle n'ait pas les mêmes envies que toi.  Puis, tu n'étais qu'un vieux comparé à elle. Un vieux solitaire. Qu'est ce qu'une jeune et jolie fille pourrait te trouver à toi? Tu ignores si les jeunes filles aiment les hommes qui portent en permanence des costumes ou des chemises. Qui portent des chaussures italiennes en cuir. Qui s'habillent classe quoi.

Tu finis par te lever. Si tu restes dans ce canapé, tu vas finir par craquer et ouvrir la bouteille alors que l'après midi vient tout juste de débuter. Le soleil est à son zénith. Tu es habillé avec une chemise d'un bleu très pâle et d'un pantalon de tailleur noir. Tu enfiles des chaussures. Il faut que ailles prendre l'air. « Oliver, Lucky. » Les deux chiens déboulent en courant, sachant pertinemment ce que signifie cet appel. « On va se promener. » Oliver, ton petit Jack Russel, sautait déjà partout de joie. Lucky, ton petit labrador -plus si petit que ça- s'assit attendant patiemment que tu l'attaches. Une fois les deux attachés, tu sortis de chez toi. Tu inspiras longuement pour profiter de l'air pur qui flottait. Tu te mis à marcher dans la rue. De temps en temps, tu t'arrêtais pour parler avec les propriétaires d'autres chiens. Tu te mis à parler plus longuement avec le propriétaire d'un dalmatien. Tu le croisais tous les jours. Vos sujets de conversation étaient toujours les mêmes: son choix et les tiens. Ca s'arrêtait là. Tu allais reprendre ta route lorsque tu remarquas une jeune femme qui t'observait avec insistance. Tu décidas d'ignorer la chose, tu avais sans doute mal vu. Sauf que... Pour la première fois depuis longtemps, Oliver se mit à grogner. Quelque chose ne lui plaisait pas chez cette femme sans doute.

Lors de tes jours de congé, les seules fois ou tu sortais de ta maison c'était en compagnie de tes chiens. Même pour aller faire les courses, tu te sentais obligé d'en prendre au moins un des deux. Ton ancienne vie était profondément ancrée en toi. La seule chose qui te différenciait de celui que tu étais à l'époque était ton allergie pour les chats. Pas très pratique alors que ton ancien petit protégé roux en était un. Tu ignorais d'ailleurs si celui-ci était aussi à Fantasia Hill. Des fois, tu espérais sincèrement recroiser ceux de la bande ou même Oliver. Le problème, c'est qu'il ne reconnaitrait pas leur Roublard. Tu n'étais plus ce chien téméraire et bon vivant. Tu étais devenu Osiris, ce petit être humain insignifiant, solitaire, n'ayant foi en rien. Cette solitude t'allait mal, très mal. Tu ne le vivais pas bien. A l'âge que tu avais, humainement parlant, tu devrais sans doute déjà avoir une compagne, une femme que tu aurais épousé. Pourquoi pas avoir des enfants aussi? Bien que l'idée t'effrayait et que tu n'étais absolument pas prêt à être père. A défaut d'avoir de la compagnie humaine, tu t'étais réfugié près de ceux que tu comprenais et que tu connaissais par cœur, les chiens. Ayant été toi même un chien pendant de nombreuses années, ils n'avaient aucun secret pour toi. Parfois, tu te reconnaissais dans les mimiques de Lucky et Oliver. Oliver avait presque ton caractère de l'époque. Tu lui avais donné le nom de ton ancien protégé, c'était peut-être à cause de cela? Tu ne crois pas trop au destin et aux coïncidences.

La dame s'approcha de vous et tu n'y fis pas attention. Ce n'est que lorsqu'elle se baissa comme pour caresser Oliver que tu fis attention à elle. Son look était peu commun, tu devais l'admettre, mais le tient aussi dans un sens. Qui promènerait ses chiens dans cette tenue classe? Personne à part toi. Oliver se met à grogner et tu vois ses dents apparaître. Que lui prend-t-il? Lucky quand à lui vient s'emmêler entre tes jambes, te forçant à t'arrêter. Lorsque ton regard croisa celui de la demoiselle, tu haussas un sourcil. Elle semblait amusée de la situation alors qu'elle ne se rendait pas compte que cela pouvait être dangereux. Naïvement, tu t'excusas auprès d'elle. « Toutes mes excuses madame. Ce n'est pas son genre de réagir comme cela. » Tu affichas un mince sourire. C'était plutôt rare que tu parles avec des parfaits inconnus dans la rue, encore plus des parfaites inconnues. Son regard te dérangeait, tu ne savais pas très bien en quoi. Oliver était venu se poster devant Lucky, comme s'il le défendait. Leurs attitudes étaient vraiment bizarres à ces deux là aujourd'hui. « Vous avez déjà eu d'autres problèmes de ce genre? » Tu étais légèrement curieux tout de même. Cette femme aurait pu te faire flipper si tu n'avais pas été un homme de la trentaine et agent de police en prime.

Cette femme donne des sueurs froides. Tu observes les gens aux alentours et ils ont tous la même réaction en la voyant. Ils écarquillent les yeux. Se rend-t-elle compte de l'effet qu'elle fait aux gens? Heureusement pour toi, tu es plutôt serein. Il en faut beaucoup pour que tu te mettes à stresser face à quelqu'un. Après tout, tu es capable de te défendre et tes deux chiens se feront un plaisir de te défendre eux aussi. Oliver est sur les nerfs en tout cas. Tu le sens. Est-ce parce que tu as été un chien dans une autre vie? Peut-être, c'est possible. Tes instincts de chiens sont toujours là après tout. Tu te baisses légèrement pour caresser Oliver et lui murmurer un mot doux. Tu fais de même à Lucky qui reste entre tes jambes, apeuré. C'est vraiment bizarre cette rencontre. Tu n'arrives pas à comprendre, pas du tout même. Tu lèves les yeux au ciel avant de te redresser et de regarder la jeune dame. Elle ne semble même pas s'inquiéter du fait qu'Oliver pourrait très bien l'attaquer. Il ne le fera pas, normalement, mais on ne sait jamais la réaction d'un chien. C'est imprévisible et tu es bien placé pour le savoir. Tu rebaisses les yeux pour observer les deux prunelles de tes yeux avant de plonger ton regard dans celui de la dame à la fourrure. Tu détestes en général les gens qui portent de la fourrure, mais tu ne la connais pas. Tu ne peux pas la détester. Ce ne serait pas poli. Ce n'est pas dans tes habitudes de juger sur l'apparence, bien que l'apparence de cette dame ne t'annonce rien de bon. Tu as même l'impression qu'elle est entourée d'une mauvaise aura. Drôle de sensation.

Donc c'est cela. Ce n'est pas la première fois que ce genre d'incident arrive. Tu arques un sourcil, sceptique. Ca confirme tes pensées. Quelque chose cloche chez cette femme. « En général, Oliver apprécie tout le monde. C'est étrange, très étrange. » Tu te caressas doucement le menton, songeur. Tu tiras légèrement sur la laisse de Lucky pour le rapprocher de toi comme si sa vie en dépendait. Le petit chien émit une légère protestation, mais finit par revenir plus près de toi. Il se colla à Lucky, comme pour rassurer celui ci. Il restait cependant toujours dans une position défensive. Tu as l'impression que la dame défie du regard tes chiens. Une personne normale ne ferait pas cela, si? Cette femme était décidément bien étrange. Il est vrai que tu ne t'y connaissais pas vraiment en femmes, mais celle-là... C'était le comble. Une vie antérieure? Te connaître? Son visage, sa voix, ses gestes... Rien ne te rappelle quelqu'un de la bande. Tu penches légèrement la tête sur le côté, geste typique du chien en toi.   « Je ne pense pas. » Tu ne dis pas non, parce que tu avais toi même une vie antérieure.   « A qui ai-je l'honneur de parler? » Son prénom, son nom, te dirait peut-être quelque chose, qui sait...