Ton portable avait beau sonner, encore et encore, tu décidas de faire sourde oreille pour le restant de l'après-midi. Ça devait sûrement être l'université qui se demandait encore où tu étais. Deux semaines maintenant que tu n'y avais plus mis les pieds, faisant croire l'inverse à ta sœur. Si cette dernière avait le malheur de te croiser aujourd'hui, en train de te promener tranquillement en ville.. elle t'étriperait sur place, aucun doute là dessus. C'est pourquoi tu restais sans cesse sur tes gardes, trop peur de voir sa sale tête débouler dans n'importe quel coin de  rue. Cela ne t'empêche pas de pleinement profiter de cette belle journée, appareil photo accroché au cou comme à ton habitude, et prospectus en mains. Des mois que tu la cherchais partout, cette satanée boule bleue, accrochant à tous les poteaux son portrait joliment dessiné par tes soins. Nani ne cessait de dire qu'il n'avait certainement plus cette apparence, mais tu ne l'écoutais pas. Non, dans ta petite tête, tu étais sure de sure qu'il était toujours cet extra-terrestre bleu que tu avais connu. De toute façon, tu sais que Nani ne veut pas de lui chez vous, alors elle invente des conneries comme quoi il serait devenu humain. Elle croit pas t'avoir de si tôt !
Plaquant alors une nouvelle affiche sur le pare brise d'une voiture, ton regard vint se poser sur autre chose tout aussi intéressant. Un peu comme un radar, tes yeux se posaient toujours sur lui presque de manière instantanée. Et de manière toute aussi machinale, tu attrapas ton appareil photo et mitraillas ce pauvre Sid. Sid.. son nom, c'était bien la seule chose que tu connaissais de lui, au final. Tu n'avais jamais pris le temps de lui parler ou même de tenter de faire sa connaissance. Non, tu te contentais juste de le prendre en photo pour ton amusement personnel. Il est certain que si tu t'étais amusée à cela avec une autre personne, elle l'aurait assez mal pris.. Mais lui, loin de là. Il semblait même être rentré dans le jeu, et c'est de cette manière que tu réussis à créer un album entier ne comprenant que des photos de lui. Des photographies pas bien intéressantes, certes. Et elles se ressemblaient presque toutes en fait, mais tu t'en fichais car toi, elles te plaisaient.

Et puis, pouf. Voilà qu'il se prend un lampadaire droit dans la tête. Ton visage se crispe, compatissant, et pourtant tu ne peux empêcher ce rire de sortir. Portant ta main à ta bouche, tu ris comme toujours de ses petites gaffes maladroites. « NON D'UN TRICÉRATOPS CASTRÉ ! » Ces mots résonnent alors, et il te faut quelques instants pour comprendre qu'il s'est sérieusement fait mal. Tu lances alors une injure et vient courir vers lui, te sentant presque coupable de cet accident. À présent face à lui, tu lèves les mains vers son visage, mais n'ose le toucher. Pas parce qu'il s'agit presque d'un inconnu, non. Mais parce que son nez dégouline de sang. Tu ne peux empêcher ton visage d'exprimer la pire grimace qui soit, mais viens tout de même fouiller dans ta sacoche à la recherche d'un mouchoir, ou d'un truc qui y ressemble. « Elvis tout puissant, vous allez bien !? », demandes-tu alors, presque paniqué par tout ce sang. Tu trouves finalement un vieux paquet de mouchoir, en attrape un et viens le coller contre le visage de Sid, presqu'avec dégoût. « Ça veut pas s'arrêter de couler, ça veut pas ça veut paaaas !, hurles-tu tout en tapotant le mouchoir contre son nez de manière assez maladroite et surtout, violente. M'sieur Pemberbrock, je crois qu'il va falloir aller à l'hôpital. », constates-tu d'un ton presque désolé, mais l'air toujours aussi écoeuré par tant de sang.

Il n'arrêtait pas de gigoter dans tous les sens, pire qu'un enfant ! Et plus il paniquait, plus il te faisait paniquer avec lui. Et puis son regard paumé vient à toi, comme si tu allais le sortir de cette galère en un claquement de doigt, toi, la gamine de dix-sept face à un adulte. Enfin, un semblant d'adulte. Il te marmonne alors quelque chose, te le hurle même plutôt. Tu le fixes alors avec de grands yeux, l'air concentré pour tenter de décrypter son charabia. Mais rien à faire, tu n'y comprends rien. Si ce n'est qu'il est en train de devenir dingue, du moins, plus que d'habitude. D'ailleurs, il doit avoir percuté que tu n'as rien compris à ta mine déterré, car il prend la décision de tout répéter, sur le même ton catastrophique que précédemment. « Pourquoi tout tourne ? Ici la terre est ronde ? Chez moi elle est plate ! On n'en voit pas le bout et on tombe pas ! On va tomber ! » Au final, tu ne comprends toujours rien à ce qu'il essaye de te dire, mais n'essaye pas d'aller plus loin. Le fait qu'il perde autant de sang doit agir sur son cerveau, et là, ça devient grave. Dans la normale, monsieur Pemberbrock n'est déjà pas comme tout le monde, alors avec ça en plus..
Tu le contemples alors, incapable, tout son sang se déversant sur ses habits. Mais comment un simple coup peut-il avoir tant abîmé son nez !? Dans une voix toute aussi brisée que l'est son nez, il te recommande de te pousser, car c'est vrai que ça serait bête que tu sois toi aussi tâchée de sang – Nani te tuerait – et accepte finalement que tu le conduises à l'hôpital – mettant sa mal prononciation de ce mot sur le dos de son choc -. Tout reposait alors sur toi. Le destin même de Monsieur Pemberbrock était entre tes mains, et cette pensée ne fit que te faire trembler davantage. Être responsable, c'était pas ton truc. Encore moins face à une situation qui comprenait tant de sang. Tu fermas alors tes yeux, respirant un grand coup, et attrapas enfin le poignet libre de Sid, le serrant sans vraiment t'en rendre compte, brute comme tu étais. « Vous en faites pas Monsieur Pemberbrock, ça va aller ! Vous pouvez compter sur moi ! », affirmas-tu sur un ton pas vraiment rassurant, plutôt hésitant d'ailleurs. Tellement hésitante, d'ailleurs, que tu t'arrêtas cinq mètres plus loin. C'est par où déjà, l'hôpital ?.. Tu passais souvent devant, mais alors savoir quel chemin emprunter.. Et mince ! Tenant toujours aussi fermement le poignet de Sid, tu regardas à gauche. Puis à droite. Et après une petite minute d'hésitation, décidas de prendre le chemin de droite, complètement au pif. « Ça doit être par-là.., soufflas-tu, évitant de faire paniquer Monsieur Sid davantage en lui montrant que tu étais aussi paumée que lui.