Il faisait froid, ce jour-là. Tu t'en souviens encore. Tu te souviens de la journée qui se levait à peine. Tu te souviens d'avoir vu la forêt disparaître sous vos pas, tu te souviens de ces grands arbres qui devenaient tout petit au fur et à mesure que vous vous éloigner, tu te souviens des sauts, tu te souviens du noir, de plus rien voir. Tu te souviens de la respiration accélérée de ta mère, tu te souviens d'avoir eu la tête en bas, ne pouvant voir que la terre où elle posait ses pattes. Tu sentais ses crocs te serrer, mais elle ne te blessait pas, maternelle, elle l'était. Tu te souviens que tout bougeait, tu ne restais pas en place une seconde. Tu te souviens de sa course effréné contre le temps, contre la vie. Tu te souviens des aboiements des chiens derrières vous, ils te faisaient peur, tu était terrorisé par eux. Eux, ils te suivaient, ils voulaient t'attraper, ils voulaient te voir tomber, te voir sans défense, te voir seul, ils voulaient ta vie. Tu te souviens aussi de la maison qui apparaissait au loin, du grand arbre qui était seul au bord du chemin, tu te souviens de son grand trou au milieu, tu te souviens de cette barrière blanche et des hautes herbes qui y poussaient. Tu te souviens qu'à ce moment-là, ta vision se remis comme il faut. Tu te souviens y avoir été caché. Tu te souviens de la langue sur ton front. Tu te souviens de ses yeux, triste et désemparer. Tu te souviens la vision de sa fuite à travers les champs. Tu te souviens du bruit de ses pas dans les feuilles. Tu te souviens des coups de feu. Tu te souviens des oiseaux qui s'envolaient, des chiens qui grognaient. Tu te souviens des bonds dans ton coeur, de ta peur grandissante, de ta tristesse aussi. Tu te souviens de la douleur dans la gorge à force de retenir tes larmes. Tu te souviens du soleil qui se lève sur ton museau. Tu te souviens de tout, tu te souviens qu'elle est partie, qu'elle t'a sauvé la vie, de son dernier baiser, de ses yeux terrorisé, mais de ces pattes qui avançaient sans cesse. Tu te souviens de son courage, de son amour. Tu te souviens du calme qui régnait soudainement dans le champ. Tu te souviens du hibou qui te regardait de ses grands yeux doré. Tu te souviens que tu en avais peur. Tu te souviens des chatouilles de ces plumes sur ton pelage quand elle te rassurait. Tu te souviens de sa volonté de ne pas t'abandonner. Tu te souviens de ces amis, venu l'aider. Tu te souviens avoir été donné à une vieille femme. Tu te souviens avoir été nourris par ses grandes mains ridés. Tu te souviens de son sourire...

Je me souviens. Il s'était passé quelques années depuis que ma mère était partie, j'étais encore chez cette vieille femme. Tout le monde la surnommait « la veuve Tartine. » Je l'aimais, elle était gentille et aimante. J'avais des amis, j'étais heureux. J'avais un ami en particulier. Rouky, tu es mon meilleur ami. On s'amusait tous les jours ensemble, il habitait la maison d'à côté, avec cet autre chien, le vieux. Un jour, mamie Tartine m'emmena en balade dans sa vieille voiture, elle m'emmena au bord de la forêt. Elle me laissa là. J'étais assis et je regardais sa voiture s'éloigner de moi, incapable de bouger, j'étais terrorisé, j'étais perdu, je ne savais plus ce que je devais faire. L'immensité de la forêt derrière moi me faisait peur, j'avais peur. Rouky n'était plus là, Big Mama non plus. Puis, la nature repris ses droits, à force d'errer dans cette immense forêt, mon corps commençait à reconnaître des choses, j'arrivais à chasser, j'arrivais à me trouver un abri, j'étais devenu un vrai renard. La nature repris ses droits également avec Rouky. Quand je l'ai revu, il avait grandi, ses aboiements faisait peur, contrairement à ceux que quand il était petit. Il était devenu un chien de chasseur, et moi j'étais la proie du chasseur. Rouky me poursuivait, Rouky voulait ma peau, il voulait m'attraper pour qu'ensuite son maître me tue. Mon meilleur ami, Rouky, voulait me tuer. Je courrais à travers la forêt, sans m'arrêter, je courais, courais, essayant de trouver une cachette. J'avais le souffle cours, je sentais le bruit de leur course à eux aussi, ils me cherchaient. Je repensais aux paroles de Big Mama qui disaient qu'un chien et un renard, ça ne pouvait pas être ami, je n'étais pas d'accord avec ça, je ne comprenais pas pourquoi on n'aurait pas pu être deux bons copains. Je traversais la rivière en direction de rondelles de bois, où je me cachais, juste en dessus. Espérant qu'ils ne me trouvent pas. Mais, ils étaient là, cherchant mon odeur. Tout à coups, la vision du museau de Rouky apparu devant moi, je reculais un maximum, les yeux grands ouverts, le coeur battant à tout rompre, il ne peut pas me faire ça, n'est-ce pas ? Alors que le museau commençait à disparaître et que mon esprit était en pleine confusion, je sentis mon corps comme propulsé, mes yeux aveuglés. Tout disparu, moi avec.

Mes yeux s'ouvrent. Péniblement, la lumière du jour me brûlant les yeux. Au bout de quelques instants, ceux-ci arrivent à s'ouvrir. Je ne distingue rien de reconnaissable. Je n'entends plus le bruit de l'eau qui remue, ni le vent sur les feuilles, ni les bruits de pas. Je ne vois plus la forêt, ni le museau s'éloignant de Rouky. Je suis devant quelque chose de dur, froid. Je veux poser ma patte sur cet obstacle, sauf que devant n'apparaît pas une jolie petite patte rousse, mais un grand bras musclé recouvert de la même peau que mamie Tartine. Pris de stupeur, je me retourne vivement. Devant moi, plein de personnes ressemblant à mamie Tartine et son voisin. Plus de forêt, de rivière, de silence, d'animaux sauvages. Je fais quelques pas en avant, trouvant l'exercice difficile. Comment font-ils pour marcher à deux pattes ? J'avais du mal à rester stable, malgré que mon nouveau corps, lui avait l'air de trouver ça plutôt facile, mon esprit, lui, avait la sensation de tomber chaque fois que je levais un pied pour ensuite le poser.

Quelque temps étaient passés depuis que j'étais mystérieusement apparu ici, je commençais à m'habituer à ce mode de vie, plutôt difficile et contraignent, mais je n'avais de toute façon pas le choix. J'espérais de tout coeur retrouvais mon meilleur ami, mais je ne savais pas si j'étais le seul ici, j'espérais que non. Je voulais tellement le voir. Il fallait que je le vois.