Elle était tantôt fascination, tantôt sublimée de par les tremblements, les frissons qui accompagnent la stupeur, l'effroi, les cauchemars, dévastateurs. Elle était cruelle, incapable de ressentir la moindre pitié, la moindre émotion, ne voulant pas s'abaisser à devenir ce qu'elle n'était pas, et ce qu'elle ne serait sans doute jamais. Inhumaine. Blafarde apparition, toujours accompagnée de sa faux grinçante, personnifiée par la Peur, cette peur trop présente, et pourtant si splendide, comme une ombre magnifiée par la lune qui brille, brille et l'éclaire d'une lumière blanche, représentant tout le contraire de ce qu'elle est réellement. La Mort. Sous un masque terrifiant, une cape souvent noire comme la nuit, sombre comme son cœur inexistant, derrière cette poitrine à peine recouverte de chair ; on ne distingue que ses yeux, prunelles tentatrices, éclatantes, d'un rouge lumineux, trop semblable au sang, à cette passion dévorante des deux amants, de la mort de la Juliette d'un Roméo dévasté, dont le cœur vient sans doute de se stopper, n'ayant plus d'amour pour le faire battre, encore et encore, d'une créature diabolique, offrant son plus beau sourire à sa prochaine victime, avant de la tuer, telle la jouissance extrême. Et ce sourire, ce sourire qui éclot dès qu'elle portait le coup fatal, abandonnant l'assassiné à son dernier soupir, cet ultime effort avant le sommeil éternel. Pour certains, elle était pourtant le rêve d'une vie jugée trop inutile, et l'attente d'un trépas sans souffrance en devenait presque indispensable, essentiel pour un bonheur certain. Elle était l'aspiration à une vie meilleure, à une sorte de nouveau départ dont on n'est pas sûr qu'il sera au moins agréable. Personne ne peut se montrer digne d'avoir le savoir, d'être capable de faire la différence entre le mirage, les promesses d'une église bien présente, qui parle d'un monde meilleur, sans la moindre imperfection. Un monde, qui n'est rien d'autre qu'inexistant. Et pourtant ils sont nombreux, minables humains, naïfs et crédules, candides créatures prêtes à croire n'importe quoi en échange d'une promesse, d'une parole qui ne sera jamais tenue. Sont-ils stupides à ce point pour croire que défier la mort pourra leur obtenir un passage plus facile ? Sont-ils stupides à ce point pour croire qu'il est au moins possible de défier la Mort, de tenter de partir avant le moment qui est inscrit sur la vie de chacun, sur cette liste apparue des ténèbres, tenue si souvent par la funeste Mort ? Parfois affublée de surnoms, elle devenait par moments la plus grande Muse des poètes, puis laissait, de gré ou non, la place à des thèmes auxquels chaque auteur, chaque écrivain, de sa plume aimait tendrement ajouter, sans doute épris d'une once de sadomasochisme, sa propre douleur, mettant presque en scène ses émotions, pour s'amuser de cette vie qu'il devait trouver trop lassante à son goût, dans laquelle il se complaisait à penser que le temps et l'ennui, l'immuable ennui seraient ses pires ennemis. Mais derrière ces espoirs assumés, derrière cette morne et mystérieuse attente, tout n'était qu'illusion. Tout n'était qu'invention, mirages tortueux et désirs bien trop factices pour oser un jour espérer, ne serait-ce qu'espérer. À la fin, après cet ultime soupir, ce battement de cœur effréné dissimulant à demi un espoir, en vain, il n'y avait que le Chaos pour accueillir les morts. La chaleur, cette fournaise insupportable faisait place, peu à peu, au déni. À la vision trop cynique pour paraître innocente, le silence des corps qui toute la journée s'épuisent, le jour devenant l'éternité, pour peut-être un jour, voir enfin cette partie des Enfers tant rêvée, par tous ces minables cadavres dont l'âme, évaporée, a disparue, ne leur laissant que cette misérable enveloppe charnelle pour pleurer et regretter, encore et encore.

Il. Thanatos. Mort, en grec. Retour aux premières civilisations. Il aurait préféré être un homme, s'il avait été humain. Il trouvait une vulnérabilité aux femmes, trop faibles pour qu'il puisse les aimer. Il avait fini par s'habituer à la chaleur des Enfers, à cette fournaise insupportable qu'il se devait de subir, chaque jour, même si à ses yeux, les jours devenaient années, les années siècles aussi rapidement que s'il avait pu faire la différence entre quelque chose de vivant ou non. Il en était capable, évidemment, mais le temps était l'un de ses nombreux ennemis. Le temps coulait, coulait trop vite pour qu'il puisse se rendre compte du temps qui passait. Un jour devenait un siècle, un siècle un millier d'années. Tout était normal, habituel. Morne. Il ôtait la vie comme si cela avait été simple, trop simple. Comme si toute personne avait pu le faire, si tant est soit qu'elle sache agiter une faux, et réussir à calmer ses émotions. Surtout. Et puis, à travers l'insupportable vérité, à travers la misère ambiante, omniprésente, elle fut un brève éclair, une minuscule lueur parmi l'ombre ensanglanté qui répandait ses cendres indéfiniment. En elle, il avait vu l'humanité. L'humanité à travers l'inhumanité des Enfers. L'hydre de Lerne. Elle était la protégée du Dieu même des Enfers, Hadès, et malgré que Thanatos ait une bonne estime de ce personnage, il aurait sans doute osé l'affronter. Cependant, la dispute entre le Dieu des Morts et la Mort elle-même aurait été mal vue, aussi Thanatos se taisait-il, laissant passer ses colères au diabolique Hadès. Moires, Cerbère, Furies étaient ce qu'il était bien incapable de qualifier comme des « amis », mais étaient capables de lui apporter une espèce de bonheur quotidien, ce qu'il ne pouvait pas trouver seul. L'hydre n'était pas un monstre, à ses yeux. Plusieurs heures, ils restaient là, silencieux, las de cette vie aux ordres d'Hadès, las d'être si vulnérables sans réellement l'être, las, pour Hydra, de rester captive aux fins fonds des Enfers, alors que le monde l'appelait. Le ciel la suppliait de le rejoindre, le soleil, et plus particulièrement le fils du soleil, que Thanatos haïssait, contrairement à son père, pour qui il vouait un respect inné. Elle avait été sa pire erreur, et pourtant sa plus belle rencontre.

Il errait sur Terre, incapable de se trouver une quelconque occupation. Nostalgique, mélancolique à en mourir, il aurait voulu tout faire pour retrouver cette ancienne vie, il aurait tout fait pour revenir dans son ancien monde, bien différent de celui dans lequel il apprenait, difficilement, à vivre depuis quelques temps. Autant Hydra se sentait capturée, emprisonnée aux Enfers, et voulait absolument rejoindre l'extérieur, près du Ciel où tant se brûlèrent les ailes, autant Thanatos aurait pactisé pour retrouver sa cape, ce regard qu'il détournait, qu'il affichait, que tous connaissaient autant que son nom. Ce monde lui paraissait trop ennuyeux, trop morne, trop gris, trop tout. Il se sentait enfermé, emprisonné et incapable, il se sentait perdu, et pour la première fois de sa vie, il avait l'impression de perdre pied, d'être vulnérable, comme jamais il ne l'avait été. Le temps était différent : avant, une année s'écoulait en moins d'une seconde. Là, la seconde restait, encore et encore, était indéfiniment longue. Il se sentait touché, par les maladies, et sentait une oppression inconnue qui pesait autour de lui. Il passait le plus clair de son temps dans les cimetières, s'allongeant parfois près des tombes, mélancolique. Mélancolique, encore, et encore. Secrètement, il espérait peut-être que sa seule amie l'ait rejoint dans ce monde, inexplicablement. Parfois, il lui arrivait de penser à ce qu'il se passait, au moment même, dans les Enfers. Qui jouait le rôle de la Mort, puisque lui était là, las déjà de cette vie.