A travers la glace se cache nos démons, un monde où ils peuvent s’amuser de nous et s’adonner à des plaisirs douloureux. A travers nos yeux découle notre histoire aussi infernale soit elle, aussi maudite...elle s’offre en public, fière de faire sa danse et de briser le miroir qui nous séparait des monstres ténébreux. Et lorsqu’on observe cette femme, hystérique, dont le sang n’est plus que pétrole nuisible, on peut distinguer quelques fissures dans son regard, des frayeurs qui l’accablent la nuit et l’empêchent de sourire le jour.
Elle se nommait Rosablund, fille d’une bonne et rêveuse à plein temps. Maltraitée, et détestée, elle n’était qu’un fantôme hantant des pièces sordides, des cages toujours plus étroites, écoutant la féroce mélodie des voix l’indignant...l’insultant pour ce qu’elle était : une esclave. Mais au fond, cette petite fille, répugnante de par son physique et étrange de par son esprit, songeait à fuir dans un monde qui serait le sien. Où elle serait l’unique à régner. Oui elle rêvait, en travaillant, en se faisant sermonner, en se faisant battre...elle rêvait...les étoiles dansant en son âme, illuminant chaque rare sourire qu’elle esquissait. Un soir, éprise d’une folie sans fin, éprise d’une trop grande envie de s’échapper, elle partit la minable, laissant à chacun de ses pas un peu de poussière...celle qui fut longtemps son amie. Elle quittait tout pour un peu de désir...un peu de vie. Mais ce fut par un temps d’hiver, qu’elle tomba malade. Errante dans une gigantesque forêt, gelée, ses petits pieds presque nus se cassant à chacun de ses pas, elle suivait toutes les nuits, le même croissant de lune. Toujours plus fragile...mais toujours aussi emplie d’espoir. Rosablund marchait, sans cesse, remuant son être tout frêle pour un peu de beauté. Pourtant, parfois, l’envie et les songes ne suffisent pas. Elle se laissa alors tomber, sous les cris qui retentissaient dans sa tête, sous les rires qui emplissaient son cœur...elle se laissa tomber à genoux face aux illusions qui l’arrachaient du réel...et Kronos avalait goulument son repas. Elle finit par finalement trouver refuge...Puis la vilaine enfant, s’endormit...oui, ses paupières alourdies par la folie et l’insaisissable réalité, s’abattirent sur ses yeux comme une guillotine, tranchant la muqueuse rougies par l’excès. Elle s’endormit, la vilaine enfant. Et même dans sa laideur, elle embellit la noirceur de son lit terreux et humide. Même dans ses lèvres écorchées et ensanglantées, même dans ses joues dévorées par le froid, même dans son regard vitreux et imbécile, elle resplendit. Elle eut dans ce dernier murmure tout ce dont elle avait toujours rêvé : la gloire. Scintillant sous les jougs de la Mort, illuminant ce pauvre trou, elle quitta cette forêt, ces personnes, ce monde dans les bras d’un terrier...antre d’un lapin blanc.

L’enfer a un début, et son décès en fut un.


Au commencement, Elle créa les cieux et la terre. La terre était informe et vide: il y avait des ténèbres à la surface de l'abîme, et son Esprit se mouvait au-dessus des eaux. Elle dit: Que le Merveilleux soit! Et le Merveilleux fut. Elle vit que le Merveilleux n’était que mensonges; et Elle sépara le Merveilleux de la Vérité. Elle appela son pays celui des Merveilles, et elle appela la Vérité la Réalité. Ainsi, il y eut la Réalité, et il y eut un pays des Merveilles : ce fut le premier sacrifice.  Elle dit: Qu'il y ait une étendue entre mes pensées, et qu'elle sépare mes larmes d'avec mes rires. Et Elle fit l'étendue, et elle sépara ses larmes qui sont au-dessous de l'étendue d'avec ses rires qui sont au-dessus de l'étendue. Et cela fut ainsi. Elle appela l'étendue ciel. Ainsi, il y eut la Réalité, et il y eut un pays des Merveilles: ce fut le second sacrifice. Elle dit: Que les larmes qui sont au-dessous du ciel se rassemblent en un seul lieu, et que la Folie paraisse. Et cela fut ainsi. Elle appela la Folie sa terre, et elle appela l'amas de ses larmes thé. Elle vit que cela était bon. Puis Elle dit: Que la terre produise de l’Absurde, de l'herbe tâchée de différentes couleurs, des arbres fascinants donnant n’importe quoi et ayant en eux leur semence sur la Folie. Et cela fut ainsi. La Folie produisit de l’Absurde, de l'herbe semblable à un arc-en-ciel, et des arbres donnant tout ce dont on pouvait souhaiter et ayant en eux leur semence sur la Folie. Elle vit que cela était bon. Ainsi, il y eut la Réalité, et il y eut un pays des Merveilles: ce fut le troisième sacrifice. Elle dit: Qu'il y ait des sourires et des yeux dans l'étendue du ciel, pour séparer son pays de la Réalité; que ce soient des signes de la Folie; et qu'ils servent de luminaires dans l'étendue du ciel, pour éclairer le pays. Et cela fut ainsi. Ainsi, il y eut la Réalité, et il y eut un pays des Merveilles: ce fut le quatrième sacrifice.  Elle dit: Que mes larmes produisent en abondance des fous marins, et que des objets volent sur le pays vers l'étendue du ciel. Elle créa les grands fous marins et tous les perdus vivants qui se meuvent, et que les larmes produisirent en abondance selon leur espèce; elle créa aussi tout objet ailé selon son espèce. Elle vit que cela était bon. Elle les bénit, en disant: Soyez extravagants, pleurez, et remplissez les larmes des mers; et que les objets multiplient sur le pays. Ainsi, il y eut la Réalité, et il y eut un pays des Merveilles : ce fut le cinquième jour.  Elle dit: Que la Folie produise des férus vivants selon leur espèce, des cartes, des lapins, des lièvres, des chats et des végétaux et des objets terrestres et vivants, selon leur espèce. Et cela fut ainsi. Elle les fit selon leur espèce. Elle vit que cela était bon. Puis Elle dit: Faisons un chapelier et un chevalier à l’image des humains de la Réalité, selon leur ressemblance, et qu’ils soient aussi dérangés que les autres. Elle créa ses sujets à l’image des pauvres hommes, elle les créa à l'image de tout ce qu’il y avait de plus pathétique tant ils étaient déments, elle créa son peuple et son trône. Et cela fut ainsi. Elle vit tout ce qu'elle avait fait et voici, cela était très bon. Ainsi, il y eut le passé lié à la misérable Réalité, et il y eut un rêve, son pays sur lequel elle règnerait : ce fut l’infernal commencement, le gout amère découlant de la gorge de chacun.


Elle marcha la vile majesté, entre ces murs de personnages plus étranges les uns que les autres, et plus atteint encore par la maladie dévastatrice qui rongeait le pays depuis sa création. C’était une sorte de malédiction, l’identité répugnante peinte sur tous les visages, dans tous les yeux fatigués. Fatigués, agacés par les rires incompréhensibles qui mouvaient leur être désarticulés, par les bizarreries chevauchant au-dessus de leur tête bien lourdes de maux grotesques et puérils, par leur existence insignifiante. Et elle marcha, le sang ruisselant de sa longue traine imbibée de vin vital, les têtes tombant toutes à son passage. Elle marcha, la démone, s’emplissant de gourmandises et d’orgueil, laissant les vers se charger des cadavres, laissant les fous continuer leur Tea Party ! Eux, eux ils criaient tous « Longue vie à la Reine ! », éclaboussant leurs vêtements de thé, salissant leur face et leurs doigts de crème, fêtant tous les jours la joie d’un peuple désarmé, car finalement, personne ne savait combien de temps ils tiendraient...combien de temps ils vivraient avant l’heure de la prochaine bataille. Avant que la dragonne, qu'ils avaient contaminé, ne se lève une nouvelle fois, sa fureur entre ses mains, lançant, foudroyant, brûlant et jouissant...avant l’exécution finale.


La lame s’abattit. Dans les sursauts de la foule, les frémissements qui parcoururent la peau de chacun, elle savoura. Dégusta la vision horrifiante qui se montrait en spectacle, fière de se mouvoir au grès des pleurs et cris, ses yeux observant le vin découler du corps inerte. Aussi froid qu’elle avait été deviendrait-il...et quelque part, elle le retrouverait en son royaume, suspendu à sa tasse, fêtant la joie imbécile qui réchauffait peu à peu son corps. Au fond, elle le sauvait. Le sauvait de cette Réalité, de cette tristesse qui tranchait la pièce englouti par les sanglots. Elle était la Faucheuse, l’héroïne incomprise, celle qui, assombrie par leurs esprits destructeurs, voilait son corps du lin funéraire. Elle le savait, là où il était...dans son pays où l’excès était un droit, le bonheur une obligation, et l’excentricité une symphonie, il passait des jours heureux auprès du chapelier. Il devait surement boire du thé à l’heure qu’il était, ou de converser avec le Chat du Cheshire ! Il y avait tellement de possibilités, mais le plus important à présent, c’est qu’il soit en sécurité. Lui qui avait causé tant de mal par sa différence, par sa « folie » décrétaient-ils, pouvait mourir en paix. Un sourire orna ses lèvres peintes de rouges, et aux yeux de tous, elle n’était qu’une perverse, rassasiant sa haine envers les humains. Car elle pensait différemment, elle observait le monde sous un autre angle, celui d’une désillusionnée. Et au fond, elle était toujours cette petite Rosablund qui mourut avec pour seul ami le Merveilleux. Elle était toujours cette enfant puérile qui s’émerveillait de tout...cependant, elle avait grandi...et l’âge faisait d’elle l’intime amante des péchés et de leurs martyrs...de la Folie criminelle.