Pas de maitre, pas de maitresse. Pas de caresses, ou alors interrompues par le parent d'un enfant qui ne veut surtout pas que son bambin touche un chien de la rue. Ca vous forge le caractère. De toute sa vie, le clochard n'avait rien connu d'autre que la rue. La peur de la fourrière, bien vite domptée, le goût et les passages éclairs au sein des commerces dans l'espoir de se mettre quelque chose sous la dent. Il n'était pas malheureux, le clochard et il n'enviait pas ses chiens en laisse, tout propre sur eux, avec l'entêtante odeur savonneuse de leur pelage. Il n'était pas triste, il faut dire que ce que vous n'avez jamais eut ne peut vous manquer. Il ne se couchait pas tous les soirs en rêvant d'un panier bien douillet, d'un beau collier et du câlin d'un enfant qui éclate d'un rire cristallin à la moindre petite léchouille. La vie était pleine de saveur et par dessus tout il ne s'ennuyait jamais. Les montés d'adrénaline alors que ces pauvres idiots d'employés de la fourrière agitaient filets et cages dans l'espoir de l'attraper pour le cadenasser dans une cage trop étroite, car elles l'étaient toujours. Le goût de la liberté.

Les années passaient et rien ne changeaient, laissant le clochard mener sa petite routine bien huilée désormais. Puis, une demoiselle vint se poster dans son champ de vision. Une belle petite princesse, dorlotée au sein d'un foyer. Une petite Lady qu'il a porté dans son coeur quasiment instantanément. Elle semblait alors inquiète, interloquée et il parvenait même à sentir une pellicule de tristesse dans ses grands yeux. Cette magnifique petite chienne de belle famille, malheureuse à cause de l'arrivée d'un bébé dans sa famille. La peur d'être abandonnée. Clochard ne put s'empêcher d'alerter Lady, causant le doute chez cette dernière et la colère de ses deux amis. Les semaines défilèrent sans qu'il ne la revit. Il pensa à elle, parfois, souvent. Il ne comprenait pas qu'un chien puisse mener une vie pareille, privée de liberté, cela faisait totalement non-sens pour lui, néanmoins il n'avait pas été insensible au charme de Lady, si différente de lui, sous toutes ses coutures.

 Lui poursuivait tranquillement son chemin lorsqu'il remarqua de l'agitation : deux chiens, des rues eux aussi, coursant un autre chien. D'âme bagarreuse et courageuse, le Clochard se lança joyeusement dans la bagarre et qu'elle ne fut pas sa surprise quand, une fois les deux molosses ayant déguerpis, il reconnut la petite chienne apeurée. La petite Lady avec une muselière. Sensible à la cause de la chienne. (Personne ne méritait de porter une muselière, dont le port demeurait aux yeux du Clochard un crime contre la liberté canine) Sa vie dans la rue l'ayant rendu indépendant et pleins de ressources, il ne tarda guère à faire preuve d'ingéniosité pour délivrer Lady de sa petite prison. Directement le zoo afin d'acquérir l'aide nécessaire que le petit binôme finit par trouver auprès d'un castor. Un petit troc, orchestré par le Clochard qui eut l'occasion de montrer ses talents de beau parleur. Le don de manier les mots, pour faire danser son monde, au gré de ses envies. Après cet évènement, Lady et Clochard eurent tout le loisir de faire connaissance. Lui expliquant que, pour sa part, il vivait en tan que chien libre, Clochard se fit un devoir de faire découvrir à la petite beauté à ses côtés les nombreux avantages de cette vie dépourvue d'attaches. Afin de persuader la petite Lady, quoi de mieux qu'un superbe festin ? Il l'amena à un restaurant italien ou il avait l'habitude de venir, connaissant bien les deux maîtres des lieux, soucieux de toujours lui donner de quoi se régaler. Les deux hommes comprenant que de l'amour traînait dans l'atmosphère en cet instant, ils ne lésinèrent pas : au programme, grand plat de spaghettis, avec boulettes de viandes, une atmosphère romantique à souhait, une belle musique... Tout était propice à un rapprochement et ce fut le cas.

 Le lendemain matin, il tenta une nouvelle fois de convaincre sa belle des bieens fait de la vie en tant que chien libre. Néanmoins, la petite Lady lui demanda de la ramener à la maison, afin qu'elle puisse prendre soin du bébé de ses maîtres. Cédant aux envies de sa princesse, le Clochard obtempéra, tout en imposant malgré tout une petite chasse aux poules, ce qui se termina mal, la charmante Lady se retrouvant embarquée par la fourrière. Là bas, Lady a droit à un portrait dressé de son nouveau compagnon. Clochard, celui qui mène la vie dure à la fourrière tout en jouant les bourreaux des coeurs. Finalement, la fourrière relâche la petite chienne qui souffre néanmoins, traumatisée par cette courte période en prison. Clochard revient à sa rencontre, mais l'accueil est froid, c'est le moins de le dire. Lady met le Clochard face au fait de toutes ses conquêtes et lui affirme bien qu'elle n'aspire pas à en être une. La relation des deux chiens s'améliorera cependant quand le Clochard vient en aide à Lady pour faire déguerpir un rat, rentré dans la maison de cette dernière et menaçant de s'en prendre au bébé. La méchante tante qui garde Lady découvre un portrait bien désolant et tire les mauvaises conclusions, essayant immédiatement de livrer le Clochard à la fourrière. Elle y parvient, mais Lady, une fois ses maîtres revenus, dévoile le rat, prouvant ainsi que les intentions du Clochard étaient pures. Les amis de la petite chienne finissent par apporter leur aide : ils retrouvent le Clochard et parviennent à le faire libérer. Lady n'est guère loin elle aussi et met également la main à la patte. Un de ses amis est blessé, le gentil César, mais survit. Clochard est accueillit par la famille de Lady et découvre le bonheur d'une vraie famille. Avec Lady, ils constituent la leur : ils ont trois petites chiennes, aussi belles que leur maman ainsi qu'un petit mâle, portrait craché de Clochard.

 Une belle petite famille et une nouvelle vie pour l'ancien chien des rues. C'est par amour pour sa princesse qu'il a décidé de devenir un chien domestiqué et il ne l'a jamais regretté. Il n'aurait jamais pensé pouvoir se sentir si comblé en menant une existence moins libre. Le fait est qu'il n'est plus livré à lui-même et a désormais une famille sur qui compter et une famille à protéger, aussi. Pour le clochard, il s'agit d'un sentiment merveilleux que de ne plus jamais se sentir seul. Être aimé et aimer en retour. Il a beaucoup d'amour à donner. A Lady, bien évidemment, mais aussi à Jim Chéri et Darling, ainsi qu'enfin à sa progéniture. Quatre enfants qu'il aime, vraiment de tous son coeur. Mais les enfants, ce n'est pas toujours facile. Pour ses trois filles, ce fut plutôt simple. En elles trois, il revoit sa Lady et les filles sont d'ailleurs plus proches de cette dernière, bien qu'il ne fait aucun doute que l'amour des uns et des autres est transcendant, quoi qu'il arrive. Le problème ? Ce fut plutôt le quatrième, l'unique garçon : Scamp. Clochard l'adore, bien qu'il lui en a fait voir de toutes les couleurs. A l'inverse de ce que Scamp s'est toujours figuré, son père le comprend parfaitement. Pour cause, il lui ressemblait trait pour trait à son âge. Cette soif de liberté dévorante, qu'il a transmis à son petit fripon. A l'égard de Scamp, Tramp n'est animé que de bonnes intentions. Il l'aime plus que tout et s'il ne l'a guère laissé mener une vie semblable à celle quand laquelle lui s'est complait durant des années, c'est par amour et envie de le protéger. Ainsi lorsque son fils s'est sauvé, il n'a pas hésité à partir tout de suite à sa recherche, le sachant capable de s'attirer des ennuis en un temps record.

Alors que le Clochard poursuit les recherches pour retrouver son fiston, ce dernier apprend au contact des sans colliers, le passé de son père. Quand enfin, père et fils se retrouve, Scamp se fait poser un ultimatum et décide d'aller à l'encontre de son père, devenant de ce fait un sans-collier. Il lui faudra un séjour à la fourrière et blesser la petite chienne qui fait battre son coeur et rêve de tout ce qu'il rejette, pour comprendre l'importance de la famille. A l'aide d'Ange et de son père, Scamp s'échappera, retrouvant sa famille qui s'agrandit lorsque Jim et Darling acceptent d'accueillir la nouvelle venue dans leur grande famille. Le bonheur est complet pour Tramp, qui a retrouvé son petit fripon et plus rien ne semble susceptible d'entacher ce bonheur parfait. Enfin, ça c'était avant qu'une malédiction vienne faire voler cette fin heureuse en éclats.

Alors que, la veille, il s'endormait au côté de sa princesse, c'est seul qu'il se réveilla, en terre inconnue. Son panier avait laissé place à un tapis de feuille craquant sous son poids au moindre de ses mouvements et en essayant de se relever, il fut bien forcé de constater que ses pattes avaient laissées place à des mains. Sous le choc, tâtant son nouveau visage et sa chevelure, il se mit à courir, en quête de n'importe quoi dans lequel il pourrait se regarder. Il trouva son bonheur dans la première boutique qu'il croisa ou il dégota un grand miroir à pied. Jim Chéri et Darling en avaient un comme ça et ce constat fut le premier le déclic. Surpris et intrépide, il ne prenait que maintenant conscience de sa solitude. Lady, Scamp, les filles, Jim Chéri, Darling, Ange. Personne. Rien que lui. Et encore, pas tout à fait lui. L'homme qu'il découvrit dans le miroir était un inconnu en tout point. Cette chevelure blonde, ses yeux bleus glacier, cette silhouette et cette peau à laquelle le soleil avait donné une éphémère teinte caramel. Il était devenu humain, il  ignorait tout d'ou il était, de ce qui s'était passé et depuis des années, depuis sa rencontre Lady, il se retrouvait à nouveau seul. Sauf que là, c'était encore pire, car il savait ce que c'était d'avoir un foyer douillet et une famille. Les caresses de Darling lui manquaient, ainsi que les câlins enthousiastes de son fils. L'air des mauvais jours de son petit fripon lui manquait aussi, terriblement. Ils lui manquaient tous et ils lui manquent constamment.

La vie exige de nous qu'on s'adapte à tout et Tramp, devenu Charles en ce nouveau monde, a bien dut se résoudre à l'idée qu'il n'allait pas rentrer chez lui dans la seconde.  Dans un premier temps, il a cherché ardemment les siens, ne vivant que pour ça, puis la lassitude s'est installée et la perte d'espoir avec. Au bout de quelques temps, il a cependant retrouvé ses filles. Ses trois petites princesses, qu'il estime aujourd'hui être le seul vestige de sa vie. Lady et Scamp sont restés introuvables, cependant. Bien que la douleur lui broie le ventre à cette idée, Charles a finit par se convaincre qu'elle n'était pas là. Sinon, elle l'aurait retrouvé, ils se seraient retrouvés. Ils seraient ensemble. Elle n'a pas été prise par la malédiction, ou bien elle est décédée. Sa petite Lady. Quant à Scamp, ce petit fripon, il n'en sait rien, mais il a perdu là encore le goût de l'espoir. Son fils est susceptible de s'être mis dans de très mauvaises situations, qui lui ont peut-être coutés la vie. Ils lui manquent tellement, mais la douleur de cette absence est trop difficile à supporter alors il se figure le pire et ses songes deviennent aussi réels que ce qu'il a juste devant les yeux. Il mène sa vie, s'est trouvé un travail et vit depuis quelques mois dans l'appartement qu'il s'était déniché à son arrivée avec ses filles. Elles sont tout ce qui lui reste et il tuerait pour les protéger. Elles aussi cependant sont différentes en ce monde. Elles sont grandes, compliquées... Des adolescentes, quoi. La situation n'a rien de facile et c'est très éprouvant, alors Charles tient comme il peu. Pour cela, il se laisse aller à des penchants nuisibles, cédant à certains démons. Il fume plus que de raisons, a toujours un paquet de cigarettes sur lui et quand la douleur ressurgit avec intensité (ou non), l'alcool devient le meilleur des remèdes. Les bars sont devenus une seconde maison et Charles a conscience de filer un mauvais coton. Néanmoins, il n'estime pas avoir de nombreuses solutions. Il doit tenir et peu importe comment il s'y prend. Il fait au mieux, il s'occupe de sa progéniture et il continu à tenir le coup comme il peut. Souvent, il se rend à la Rhumerie. Un endroit qui lui est sympathique, mais il ne s'agit guère là de la première raison. Ce que Charles apprécie par dessus tout là-bas, c'est le personnel. Une charmante rouquine qui l'attire, incontestablement. Elle semble faite de force, mais aussi de douceur et ce mélange l'intrigue, le bouleverse. Elle a ce quelque chose qui l'attire. Ce sentiment, Charles l'exècre. Lady lui manque, plus que tout au monde et l'idée de lui faire des infidélités lui donne la nausée. Elle ne reviendra pas, il l'a acquit, cependant, son fantôme plane toujours. Elle est toujours là et il ne pourrait plus se regarder en face s'il avait le malheur de la trahir.