Aujourd'hui, c'est Halloween, et c'est le jour que je déteste le plus. Déjà, parce que cela me rappelle que ça fait une année de plus d'existence sur cette planète mais aussi parce qu'il y a toujours un guignol pour venir lier mon anniversaire, mon prénom et cette maudite fête. Quand tout le monde s'amuse, moi, je subis. Et la principale fautive, c'est ma mère.
Ma mère, elle ne m'a jamais aimé et je le lui rends bien. Avant même ma naissance, elle me détestait. Elle voulait avorter, mais elle est née dans une famille ou l'avortement est considéré comme un crime. Du coup, elle m'a gardé, contre son gré. Et quand bien même, elle aurait espéré pouvoir avoir un garçon, histoire de donner, peut être, une infime parcelle d'amour, eh bien non, le sort a décidé que je serais une fille et ça a été la cerise sur le gâteau pour elle. Elle était tellement pas heureuse de m'avoir pour enfant, qu'elle ne savait même pas quel prénom me donner. Mais il fallait, et à un moment donné, elle a prit le calendrier, a demandé à une sage femme le jour auquel nous étions et elle a choisi le nom inscrit dans la case. Halloween, la fête des cauchemar. Ça m'allait bien, finalement.
Quand j'étais encore qu'un bébé, c'est surtout ma grand mère qui s'est occupé de moi, ma mère ne voulait pas entendre parler de moi. Mais la mort l'a emporté et du coup, ma garde lui est revenue. Elle m'a nourrie, parce qu'elle ne s'est jamais résout à me tuer, ce serait effectivement un crime et elle aurait des ennuis avec la police. Avec elle, j'ai plus survécu que vécu, si vous voyez de ce que je veux dire. Plusieurs fois, elle a oublié de venir me chercher à l'école, elle me laissait seule à la maison pendant plusieurs heures et soupirait à chaque fois qu'elle me voyait. Elle me grondait fortement à chaque fois que je faisais une bêtise, aussi petite soit elle et jamais, ô grand jamais, je n'ai pu obtenir de l'amour de sa part. J'avais beau faire le nécessaire, ça n'était pas assez. J'imagine au fond que ça devait à voir avec mon père... que je n'ai jamais connu non plus. Elle ne m'en a jamais parlé. Et quand j'ai essayé d'en savoir plus, elle me renvoyait dans ma chambre en me punissant pendant plusieurs heures. En fait, c'était mieux ainsi. Pour m'occuper, elle m'avait acheté de la peinture lors de mon sixième anniversaire, parce que si je ne faisais rien, je lui était pénible. C'est comme ça que j'ai commencé à peindre très tôt. Je n'ai jamais montré mes toiles, et elle ne s'en est jamais intéressé. Et lorsque ses amies ou d'autres personnes venaient, elle disait de moi que j'étais bonne à rien, que j'étais mauvaise élève à l'école alors que ça n'était pas vrai. En fait, elle me jugeait si négativement que je faisais tout pour être son contraire. Comme je l'ai dit, j'ai essayé à multiples reprises de l'impressionner mais ça n'a guère fonctionner. Et quand un homme venait à la maison, l'un de ses nombreux amants, il ne fallait surtout pas que je sois dans les parages. Elle ne leur disait pas qu'elle avait un enfant, ne sait-on jamais, ça les ferait sans doute fuir. Du coup, je me suis perfectionner sans jamais atteindre mon but. Elle ne m'aimait pas, elle ne m'aimera jamais. Rien que de prononcer mon prénom la dégoûtait. La seule chose que je devais faire, c'était de me comporter comme une garçon, parce que ça masquerait au moins la honte pour elle d'avoir mis au monde une fille. Ouais, c'était peut être la seule chose qui l'intéressait chez moi. Sinon, je n'étais rien pour elle.

Et puis j'ai commencé à crier. Sortant de mes gonds, il fallait bien qu'à un moment je craque. L'immeuble a entendu nos disputes plus d'une fois. J'avais douze ans, quand elle m'a giflé pour la première fois de ma vie. A partir de ce moment là, c'en était fini. J'avais beau lui claquer la vérité au nez, elle me répétait qu'elle me détestait et que de me concevoir a été la pire erreur de sa vie. Comment voulez vous que l'on prenne ça venant de sa propre mère ? Je l'ai haï moi aussi, je la hais toujours. Elle est même la personne que je déteste le plus au monde. On m'apprendrait sa mort que ça me rendrais plus heureuse qu'autre chose. Ce serait même une délivrance.
Heureusement que j'étais bonne élève car j'ai tout fait pour sortir de là au plus vite. J'ai trouvé du travail et a commencé à vivre toute seule. Avec les aides financières et tout le bordel, j'ai pu et me payer une minuscule chambre d'étudiant, et aussi mes études. Il fallait dire qu'en tant que première de la classe, j'étais plutôt privilégiée. Je n'étais pas riche, mais je faisais la fierté de mon établissement. Il faut dire, qu'il était temps ! Au collège et au lycée, j'étais si infect que j'ai du changé plusieurs fois et j'étais contente que ça rendait furieuse ma mère. Elle me chantait le même refrain, comme quoi je ne ferais jamais rien, que je ne serais jamais rien. Mais qu'est ce que ça changerait ? J'avais beau travailler, même quand j'avais de bonnes notes, je n'étais rien. Alors bon, je m'en fichais pas mal. J'ai eu mon diplôme uniquement grâce à mes fortes compétences, et j'ai décidé de me calmer un temps soi peu lors de mes réelles études. Si je ne voulais définitivement être rien, il fallait que je me ressaisisse. C'était difficile, parce que comme vous vous en êtes sûrement aperçus, j'ai un problème avec l'autorité. Mais lors des études, on devient assez indépendant, ce qui a été un plus. Là aussi, j'ai eu mon diplôme sans trop de difficultés. Mais trouver un réel travail a là aussi été difficile, toujours pour ce problème de fierté personnelle. Les gens ne me supportaient pas. Il a fallu que je change plusieurs fois jusqu'à ce que je trouve enfin quelqu'un qui m'allait. En fait, j'étais comme j'étais. J'avais beau avoir été moi même (à comprendre : chieuse), la patronne a voulu tenté le coup. J'étais différente, disait-elle. Nous avons eu un entretien privé, juste elle et moi, et je me suis livrée à elle. J'ai été la pire des merdes à ce moment là, je me suis sentie très petite mais parler avec quelqu'un m'a fait du bien. Et comme elle a été là pour moi, j'ai décidé de bien la considérer. Je ne voulais pas la décevoir. C'était si rare ce genre de personne que pour la première fois depuis très longtemps, je décidai de me fier à elle. De faire ce qu'elle me disait, à commencer par me montrer douce avec le personnel.
Et puis elle m'a présenté les deux personnes avec qui j'allais devoir passer le restant de mes jours au travail. Deux gringalets. Un timide et attendrissant qui s'occupait du son. Lui, il s'appelle Greg et il est gentil. J'aime les gens gentils, ils m'attendrissent et me calment du coup, ça s'est bien passé avec lui. L'autre, c'était autre chose. Pour dire vrai, cet autre, c'est mon âme sœur dans le sens où nous sommes pareils, à quelques détails près. Il s'appelle Olly, raccourci d'Oliver, et il s'occupe de l'image, à savoir, sa la caméra. Tout comme moi, il a fort caractère et me l'a rapidement fait comprendre. Tout comme moi, il a pas un passé très joyeux mais ça, je ne l'ai su que plus tard. Si les premiers jours, ça pouvaient encore passer, au final, on a pas arrêté de s'engueuler. Greg au centre, ne savait pas quoi faire. Quand on partait sur le terrain, il fallait toujours que l'un de nous commence une dispute pour se dire les pires méchancetés. L'entente était donc difficile et la mission aussi. Mais on ne nous a jamais séparé pour autant, ce qui était étonnant.
Et ça aurait pu durer encore longtemps, si un soir de pluie, je n'avais pas essayé de mettre fin à mes jours. La raison pour laquelle j'ai voulu me supprimer a été le désespoir. En fait, je me rendais compte que je subissais plus de vivre qu'autre chose. Je ne voyais aucun avenir pour moi. J'étais détestable, personne ne m'aimait alors à quoi bon ? Je n'étais rien, comme me l'avait dit mère.

J'étais monté sur le toit de l'immeuble le plus haut du quartier dans lequel je vivais. Il faut croire qu'un voisin a compris mon intention, car il a alerté aussitôt la police en me voyant gravir les marches d'un pas décidé, les yeux rougis par les larmes et l'esprit semblant m'avoir quitté. J'étais vide, comme mon cœur. Là haut, je regardais le vide avec une dernière hésitation. Devais-je le faire ou bien cela était-il nécessaire ? Déjà, une petite troupe de personnes s'étaient rassemblées en bas pour me regarder. Les gyrophares des voitures de police arrivèrent et les hommes étaient sortis de leurs véhicules avec leur haut parleur afin de pouvoir me parler assez fort pour que je les entende. Et puis je me remis à pleurer. Au moment où j'allais sauter, la porte du toit s'était ouverte brusquement.
« Ne fais pas ça ! » avait dit une voix familière derrière moi.
J'ai tourné la tête pour apercevoir Olly. Il me regardait sérieusement et si je n'étais pas en si mauvais état, j'aurais pu lui montrer mon air étonné.
« Pourquoi ? Qu'est ce que ça peut te faire de toute façon, tu me détestes. » avais-je répliqué.
« Je ne te déteste pas Halloween. »
« Si, tu me l'as dit plusieurs fois. »
« Mais... je le pense pas vraiment... je suis comme ça avec tout le monde. En réalité, je déteste le monde entier, à quelques exceptions près. Mais.. je t'en prie, fais pas cette connerie ! »
Je tournai la tête vers le vide. Les gens étaient toujours là. La police avait du penser que j'étais revenue sur ma décision parce que je les entendit une fois de plus tenter de me convaincre eux aussi de ne pas me suicider.
« Il n'y a rien qui me rends heureuse Olly. Rien. Si je ne saute pas, qu'est ce qui m'assurera que je vais trouver le bonheur ? » lui avais-je demandé en reposant mon attention sur lui.
« Je vais m'en occuper. Je vais t'aider. On va s'entre-aider. » me convint-il alors.
J'étais encore plus étonné de ne pas ressentir le moindre scepticisme de ma part. Il était si déterminé que j'avais envie de le croire. Je voulais le croire. Il était ma dernière chance de survie. Et au fond de moi, je n'avais pas tant envie de mourir que ça. J'avais seulement besoin de quelqu'un, c'était tout. Le premier policier avait atteint le toit lorsque j'avais décidé de m'effondrer dans les bras de mon collègue. Je n'ai jamais pleuré comme ça, mais ça n'était pas vraiment de tristesse. L'émotion, tout ça. Je détestais pourtant paraître faible comme tel, et encore plus devant lui, mais ça a été un moment où j'avais perdu le contrôle de moi même. Lorsque ça s'est terminé, et que je m'étais calmé le lendemain (il avait refusé que je rentre chez moi et m'avait invité à passer la nuit dans son studio minuscule), je lui ai juré que s'il répétait ça un jour à quiconque, je lui ouvrirais le ventre et l'étoufferais avec ses tripes. Évidement, je n'étais pas sérieuse, et par derrière, on s'est écoutés. On a parlé de nous, on s'est livrés et notre rapport s'est amélioré. Au boulot, on s'envoyait toujours tes piques, mais ça n'était plus les disputes incessantes que nous connaissions. Ca a même soulagé Greg, il était content de nous voir nous entendre. Au moins là, il allait pouvoir travailler dans une atmosphère un peu plus paisible, même si nous gardions toujours nos caractère de merde.

Et puis on nous envoya faire un reportage en Amérique. On l'a déjà fait et c'était toujours un plaisir de sortir du pays pour aller voir ailleurs. On a mis notre matos – on est pas partis avec quelque chose de terrible non plus – dans le coffre de la voiture, puis on est parti. Notre mission consistait à reporter sur une manifestation près de Boston. Ce jour là, c'était Olly qui conduisait et nous parlions de notre dernier reportage ensemble. Il faut croire que nous nous étions un peu trop échauffé, car Greg poussa un grand « Attention ! » avant que la voiture ne vienne s'encastrer dans un arbre, le moteur complètement KO. Les airs bags nous ont sauvés la vie, mais Greg a perdu connaissance. On est sortis Olly et moi et l'avons extirpés du véhicule.
« Il faut une ambulance... »
« Mon téléphone s'est cassé dans l'accident. »
« Et j'ai oublié le mien à la maison.. »
A cet instant, nous avions entendu le bruit d'un moteur. Quelqu'un passa en voiture et nous amena jusqu'à la ville la plus proche, Fantasia Hill, où notre première escale fut l'hopital. Heureusement, Greg s'en est sorti sans trop de gravité et nous avons appelé Toronto pour leur expliquer notre incident mais qu'on ne pouvait pas partir tant que Greg ne s'en est pas tout à fait remis. Du coup, on ère ici le temps de trouver une solution. Le reportage est tombé à l'eau, mais on a quand même pu récupérer le matos dans le coffre de la voiture..