Il ouvrit les yeux et sa première vision fut celle d'une ribambelle d'animaux, tous en train de le fixer. Il venait de naître et tout le monde s'était réuni pour l'admirer, mais il ne comprenait pas. Il ne savait rien, un esprit encore vierge de toute connaissance. Bien entendu, il y avait la chaleur réconfortante de sa mère contre lui, son seul point de repère. Mais il y avait les autres aussi, tous ceux qui le regardaient en souriant sans qu'il sache pourquoi. Il était craintif, il ne comprenait pas. Il est si beau. prononça l'une des personnes. Qui était beau, lui ? Il avait la tête qui tournait, car tout le monde s'était mis à parler et il n'arrivait pas à tout entendre. C'était quelque chose de nouveau pour lui, tous ces sons, mais il trouvait ça curieusement mélodique. Il perdit le fil, le hibou avec ses gros yeux lui faisait un peu peur au départ, mais finalement il lui sourit. Personne n'avait l'air de vouloir lui faire du mal. Sa mère éleva la voix et il entendit Bambi. Bambi ? C'était donc comme ça qu'il s'appelait ? Il aimait bien. Ça sonnait doux à ses oreilles. Alors il retomba petit à petit dans un sommeil profond, bercé de rêves où les oiseaux et les lapins tournaient autour de lui en piaillant de joie. Son premier jour dans ce monde fut court, mais réussi. Quel départ pour le jeune prince de la forêt, qui n'avait alors aucune idée de qui il était. Mais il était le plus heureux des faons.

Maman est morte, il pensa. L'hiver est presque fini et maman est morte. Ça tournait en rond dans sa tête, et à chaque fois qu'il croyait ne plus y faire attention, ça revenait droit sur lui, aussi violent que de se prendre un tronc d'arbre en plein dans le visage. Maman n'était plus là, tuée par une balle de chasseur. Il détestait les hommes, mais ne pouvait rien y faire, démuni face à leur puissance. Pendant un court instant, il avait cru mourir lui aussi, perdu seul dans la neige. Complètement affolé, il ne savait plus où regarder, il ne retrouvait plus sa mère. C'était là qu'il était arrivé ; lui le grand, le sage, le vrai prince de la forêt, son père. C'était lui qui lui avait appris la nouvelle. Ta mère ne reviendra plus. il avait annoncé de sa voix grave et sérieuse, en le regardant dans les yeux. Et malgré tout le chagrin qui l'avait envahi, il une partie du faon ressentait de l'admiration pour son père. Alors il le suivit, puisqu'il n'y avait maintenant plus que lui à qui se rattacher, le seul qui pouvait lui apprendre à devenir un cerf digne de ce nom.
Mais tout cela n'empêchait que maman était morte. Partie, plus là, plus de parole réconfortante comme elle savait si bien le faire. Plus rien sauf un grand vide que ni son père, ni ses amis n'arriveraient à combler. Et pourtant dieu qu'il essayait ; il écoutait les conseils du prince et buvait ses paroles comme s'il détenait la vérité et le savoir éternel, il passait le reste de son temps avec Panpan et Fleur. Tous les trois inséparables, leurs journées consistaient à arpenter la forêt de long en large, imaginer ce que serait leur vie plus tard, se lancer des défis plus bêtes les uns que les autres. En résumé, des amis. Les meilleurs que Bambi n'ait jamais eu. Mais tout ça ne lui faisait pas oublier sa mère. C'était ça son problème ; il ne comprenait pas qu'il ne devait pas l'oublier, mais juste accepter. Vivre avec. Son père avait dit que ça lui prendrait du temps, et comme d'habitude il avait raison. Donc, il laissait passer le temps, accompagné de ses deux amis, toujours là pour le soutenir. Parce que malgré tout, la vie n'était pas si horrible que ça, même sans maman. Surtout après avoir revu Féline.

Puis la peur. L'incompréhension. Soudain, Bambi pensa être retourné au jour de sa naissance, lorsque tout lui était inconnu et que son esprit n'arrivait pas à analyser ce qui se passait autour de lui. Mais non, il était un jeune cerf, plus un faon nouveau-né. Et pourtant. Sa tête se tourne de tous les côtés à chaque seconde, il a peur et ne sait pas quoi faire. Fuir ? Il semble encerclé par cet orage déferlant sur la forêt comme si tous les dieux du monde s'étaient déchaînés à cet endroit même. Sans oublier les flammes, qui s'attaquent aux arbres, à l'herbe, aux fleurs... Fleur ! il crie, en essayant de trouver la mouffette dans tous ces cris. Panpan ? continue-t-il, moins sûr de lui. Pas de réponse de la part du lapin. Aucun de ses amis n'est à l'horizon. Il est seul, horriblement seul, comme lorsque maman est morte. Père ! S'il y a bien une personne qui savait se montrer dans les moments où il en avait le plus besoin, c'était le prince de la forêt. Il ne pouvait pas le laisser comme ça, dans cet enfer qui était encore il y a moins d'une heure sa maison. Mais père n'est pas là cette fois-ci. Irrémédiablement seul. Ses cris restèrent sans appels et se firent de plus en plus espacés. Alors il se mit à courir de toutes ses forces, mais rien ne semblait y faire. Pas d'échappatoire. Personne n'arrivait à s'enfuir de ce lieu de ruines. Bambi trébucha, éreinté. Il n'eut pas la force de se relever et ferma les yeux, en pensant qu'il ne les ouvrirait plus jamais. Il allait rejoindre sa mère.