Dé-bor-dé! Mais surtout exténué. Je n'avais pas eu une minute à moi depuis que j'avais commencé mon après midi et l'un des serveur n'avait pas pu venir, ce qui faisait qu'à présent, nous étions plus que deux. Heureusement, le salon de thé n'avait que peu de client pour le moment si bien que cela permettait de s'occuper et du thé, et de la plonge sans être trop embêté.
Une cliente était entrée en compagnie de son mari et mon collègue m'ordonna d'y aller. Je lui fis de gros yeux tout en lui répliquant qu'il n'était pas celui qui prenait les décisions ici et que de toutes façons, c'était moi qui allait être propriétaire du salon dans peu de temps, juste le temps de fignoler quelques derniers papiers administratifs.

L'administration. La montagne de la terreur. La tour du Mordor, l'enfer existant. Je détestais l'administration et, malheureusement, il fallait passer par là pour acquérir mon bien. Comme si donner cash les sous que j'avais utilisés pour racheter le local n'avait pas suffit, il avait fallu que des gens arrivent avec des papiers pour nous pourrir la vie! Absurde, complètement absurde!
- C'est bien pour cette raison que tu vas y aller.
"Oooh ça crois moi, tu me le paieras."
Lui adressant un dernier regard aussi froid que le pôle antarctique, je me dirigeais vers la salle où les clients commençaient à s'installer. Executant un grand mais surtout faux sourire sur le visage, je me dirigeais vers les deux protagonistes afin de leur distribuer la carte.
"Tenez. Tenez."
Je ne voulais pas m'embêter avec des futilités dont j'avais du mal à faire preuve habituellement. Mais en tant que futur responsable du salon, il fallait bien que je donne envie aux gens de revenir sinon je n'allais pas tenir très longtemps. Néanmoins, je n'arrivais pas non plus à être un débile profond et surtout aussi hypocrite qui accueillait chaque client comme si c'était les meilleures personnes qu'il n'avait jamais vu et par conséquent, je restai un minimum moi même.
Je revint en cuisine afin de prendre un balais et de le frapper puisqu'il s'était marré comme un idiot après que j'eus cédé et j'eus le temps de nettoyer seulement une tasse que je revins en salle pour prendre la commande.

Lorsque je revins à nouveau en cuisine avec la première page du carnet rempli, mon collègue m'aspergea alors que je m'attelais à la préparation des ingrédients.
Et là, je vis rouge.

Sans que je pris conscience qu'un nouveau client s'était permis d'entrer dans le magasin sous un enthousiaste « BIEN LE BONJOUR ! », un énorme vacarme se fit entendre de la cuisine. On pouvait entendre des bruits de tasses et de petites assiettes en verre se briser et ma voix s'élever :
"ESPECE D INCAPABLE, TROU DE BALLE, TU TIENS SI PEU A LA VIE OU QUOI? MAIS QU EST CE QUE J AI FAIS POUR RESTER AVEC UN ABRUTI PAREIL? TIENS PRENDS CA DUCON!"
Un nouveau bruit de tasse s'éclatant contre un mur se fit entendre et j'apparus en salle trente secondes plus tard, les cheveux trempés et en repositionnant correctement ma cravate.
"Bien le bonjour monsieur." dis-je d'une voix absolument calme et posée. "Vous voulez du thé, du thé, du thé? Sachez que j'ai toooooute une gamme à vous proposer. Tenez, mettez vous là!" lui dis-je en lui prenant le bras et en le faisant asseoir à la table désignée.
Ma prestation ressemblait à une pièce de théâtre et pourtant, c'était ainsi que j'étais dans la vie de tous les jours, à peu près.
Je me retournai vers le couple de personnes qui me toisaient du regard avec les yeux grands ouverts.
- Je m'occupe de vous dans un instant messieurs dames! Et vous là, vous prendrez quoi alors? oh, je sais. Vous allez gouter ma toute dernière spécialité, le thé au coquelicot. Oh vous allez voir, c'est une mer-vei-lle! Je vous amène ça de suite!

Je me précipitais vers la cuisine avant de revenir immédiatement vers le dernier client, puis :
"Avec du sucre? oui, oui, avec du sucre bien sûr! Je reviens!"
Puis je reparti dans les tréfonds des marais qui me servait de cuisine. Je pris calmement une théière que je posais sur un plateau, des pochettes de thé de la toute dernière spécialité, un sucrier rempli de sucre en poudre, deux petites cuillères, une pour le sucre, une pour le thé et, évidement, une tasse sous une petite assiette. Le typique Tea Time britannique.
Je revins en salle, m'installa derrière le comptoir, fit couler de l'eau pour remplir ma théière avant de faire chauffer l'eau. Je préparai tout le rituel du thé avant de m'avancer vers le dernier client et le servir.
- Goutez moi ça et dites moi votre avis mon cher. Je ne sais pas pourquoi mais vous, je vous aime bien.
J'entendis geindre des personnes derrière et me rappela de la présence des deux moufles derrières. Je me retournais vers eux en soupirant.
- Oh oui c'est vrai que vous êtes là vous. Bon bin je reviens, inutile de faire la moue!
Dépité, je refis la même opération avec la commande demandée. Avec beaucoup moins d'enthousiasme, je leur servit le thé comme si c'était la corvée la plus difficile que j'avais eu à faire. Puis, après avoir rangé le tout restant, je me redirigeait vers mon petit client et je m'installais dans la chaise en face de la sienne. Je me penchai vers l'avant, posant mes coudes sur la table et l'observait avec une grande intensité, tel un enfant devant le père noël.
"Alors Monsieur?"

Il posa allégrement son chapeau sur la petite table avant décochant un grand sourire au serveur. « Mercury. Le prénom importe guère, je n'en ai pas vraiment. » Un bien sympathique personnage, il avait observé avec curiosité le petit manège qui s'était déroulé dans la cuisine. Il semblait faire la conversation seul, lui se contenta de sourire agréablement, avant de siroter le thé qu'il avait déposé devant lui. Il avait apprécié la franchise, et la façon dont il avait rétorqué aux autres clients. Il fallait avoir du cran, loin de cet énergie fadasse dont semblait être animé la majorité des gens. Non. « Délicieux ! » Il tapota le haut de son chapeau avant de jeter un coup d’œil à l'homme. « Première fois que je viens ici, étonnant que j'ai loupé un tel endroit ! Voyez vous, le thé et moi... c'est une longue histoire. » Il planta ses yeux dans le regard du serveur perplexe. « Et vous ? » Pourquoi lui avait t'on donner rendez vous ici déjà ? Le chapelier ramena la chaise en un grand grincement, scrutant le visage de l'individu. N'avait-t-il pas quelque chose à faire ? D'autres clients à servir ? Apparemment non. Il était à l'aise, presque confiant. Il ne devait pas être le gérant. Bellerophon s'empara d'une cuillère et la fit tinter contre la théière. Ce monde avait bien des surprises à offrir, c'est sans aucun doute. Et surement qu'un de ces individus en faisaient partis. Il était assez dingue, et c'était sans doute rassurant de voir des individus aussi francs. « Vous ne buvez pas avec moi ? » dit-t-il en riant.

Perplexe, il leva les yeux vers le visage de l'étrange énergumène. Il attendait patiemment la personne qui comptait le rejoindre, du moins les indications qu'on lui avait donné était tellement flous... il posa un regard émerveillé sur le salon de thé. Que de bons souvenirs lui venait en ce lieu ! Les odeurs de thé sans aucun doute, les théières éparpillés sur toutes les tables. Peut-être n'était ce que l'ambiance qui manquait. Une table en long aussi peut être. Quoi d'autre ? « Êtes-vous un spécialiste en thé ? Il ne me semble pas en avoir beaucoup dans le coin. » Il continua à siroter son thé, un grand sourire aux lèvres, pianotant nerveusement sur la table.

Mes yeux se posèrent sur le chapeau du client que je venais de recevoir, presque instinctivement. Mon regard se plissa avant de reprendre son aspect naturel. Un vague souvenir, rien de plus. Mon esprit s'était perdu, durant quelques secondes, dans la réminiscence de cette ancienne vie, dans cet étrange endroit que quelqu'un avait un jour nommé "le pays des merveilles". Celui où j'avais grandi, en quelques sortes. Cette ancien temps me paraissait bien loin à présent. Et pourtant, il m'arrivait parfois d'y repenser, lorsque je dormais et que toutes ces images me venaient.
Dans mes rêve, il y avait cette longue table remplie de services à thé dont la plupart étaient éclatées, mais aussi de gâteaux en tout genre et autres confiseries. Il y avait un petit homme avec un grand chapeau chapeau vert et une petite souris qui dormait au fond du théière et qui sortait entre rares occasions pour boire un peu de thé et chanter.. les joyeux non anniversaire ensemble. Ce n'était pas une souris, c'était un Loir. Un petit Loir effrayé dès qu'il entendait le mot "chat".

Je ne savais pas si j'étais le seul à avoir de telles pensées, d'autant plus qu'elles avaient plutôt tendance à m’étourdir. Je commençais même à me poser des questions à en devenir... beaucoup trop fou. Au fond, quelle a été ma "réelle" vie? Celle ci ou celle d'avant? Et si, en fait, le pays des merveilles n'avaient été qu'une conception de mon imagination, tout comme cette "Alice" l'avait autrefois pensé?
Je secouais légèrement la tête, faisant face au client. Il avait quelque chose que je reconnaissais. Mais mon attention se concentra sur le fait qu'il buvait ce que je venais de lui servir, après lui avoir présenté une brève éloge sur ce dernier. Je ne m'occupais guère plus de rien, bien trop préoccupé par cet étrange individu, d'autant plus que les gêneurs étaient à présent servis.
« Délicieux ! » commenta-t-il, paroles qui eurent pour effet de me redresser sur ma chaise en prenant un air amplement ravi. « Première fois que je viens ici, étonnant que j'ai loupé un tel endroit ! Voyez vous, le thé et moi... c'est une longue histoire. »
Peut être étais-ce moi mais il me semblait avoir les yeux plein d'étoiles à l'entendre dire. J'aimais qu'on me complimente sur mes dernières "créations", si on pouvait dire qu'inventer de nouvelles spécialités dans le thé pouvait en être. Une chose était sure, cet homme avait définitivement gagné ma sympathie, d'autant plus lorsqu'il me posa cette question : "Et vous?"
Le thé et moi... une longue histoire... c'était peu dire. Une frisson d'excitation à chaque fois que j'entendais le mot "thé". Comme si ce simple mot avait pour effet d'éveiller mes plus grand fantasme. Je vouais une obsession pour cette boisson, sans même savoir quelle en était la raison. J'aimais le thé plus que j'aimais tout autre chose et j'en buvais à longueur de journée... en me souhaitant non anniversaire à moi même, puisque je n'avais personne à qui le souhaiter. Du moins, plus depuis fort longtemps.
"Moi?" répétai-je de façon à la fois surprise et, presque, consternée. "Allons donc, mon cher ami - il était évident que je l'appelle ainsi - le thé et moi c'est... plus qu'une histoire."
Je devais paraitre bien déluré pour m'exprimer de la sorte mais ce n'était pas comme si j'y faisais attention. Bien que, depuis ma rencontre avec Leila, je sentais quelques changements sur moi et ma vision des choses, il demeurait pas moins que je restais fidèle à moi même à bien des occasions, en particulier, sur mon lieu de travail.

Il se mit à rire en me demandant si je ne voulais pas boire avec lui. J'ignorais s'il y avait quelque chose à comprendre, mais je fus enchanté suite à cette invitation. Ni une, ni deux, je pris une autre tasse et me servis à mon tour, comme la chose la plus naturelle du monde. C'était comme si, à présent, c'était moi le client, excepté le fait que je me servais tout seul.
"Assurément si, Monsieur" dis-je avant de tremper mes lèvres dans l'eau chaude et parfumée. Mais à peine le contact fait, je reposais immédiatement ma tasse sur la table et levais l'index.
"Du sucre! J'ai oublié, le sucre, très très important!"
J'attrapais ce dernier qui était à ma portée afin de corriger mon erreur et but de manière douce le liquide à l'intérieur. J'aimais tellement le thé que j'arrivais à un point où, je ne sentais presque plus son gout. En revanche, mon addiction était encore bien là.
« Êtes-vous un spécialiste en thé ? Il ne me semble pas en avoir beaucoup dans le coin. »
J'ouvris les yeux et reposais ma tasse suite à cette question. Je haussais les sourcils et hochai enfin la tête pour confirmer ses propos.
"Bien sur! C'est qu'il y en a très peu. Peut être sont-ils bien trop impressionné, je ne sais pas. En revanche, cet endroit m'appartiendra bientôt, aussi, il n'y en aura sans doute plus du tout. Serais-je le premier que vous rencontrez? Ou, attendez voir... l'êtes vous vous aussi?"
Je baissais le regard sur la table avant d'ajouter en relevant à nouveau les yeux : "Laissez moi deviner... vous attendez quelque chose... ou peut être quelqu'un? Vos doigts exprimeraient-ils cela? Moi même je le fais lorsque cela m'arrive... ou lorsque je suis perturbé... mais.. non, j'ai plutôt tendance à me gratter l'oreille dans ce cas là."
Tout comme je le faisais avant... lorsque j'en avais de grandes.

« Eh bien cher monsieur... il se trouve que l'impatience est ma plus grande qualité. » Oui oui, non pas défaut. Défauts en qualités et vice versa, c'était tellement plus commun du pays des merveilles. Le thé, le thé... ah seul son odeur et la vision d'une théière bien replète titillait ses souvenirs, et en évoquait en lui. Cette table longue, ces joyeux non-anniversaire, 364 jours par an. Quel délice ! Et aucun moyen de pouvoir en fêter dans ce monde tant les gens étaient pressés. Au pays des merveilles, le temps n'était pas pareil, ce n'était pas cette monnaie, cette contrainte. Il se déroulait à l'infini, alors que dans cet univers on comptait jusqu'aux secondes. En effet, il avait cette tendance à tapoter, car l'impatience devait être manifester, sinon quel intérêt ? Elle forçait le caractére et les relations, et cela ne le dérangeait pas il avait appris à composer avec, et il semblait étrangement qu'ici aussi on la traitait comme composante majeurs des sociétés. Fort curieux. Le lapin devait bien s'y sentir en fin de compte. Un monde où tout le monde était pressé, et si ce n'était pas le cas on se tenait à l'écart de cette effervescence enivrante. Oui il attendait quelqu'un. Cette personne qui lui avait mystérieusement donné rendez-vous ici, pour une quelconque raison qui a lui même était mystérieuse. « Quelqu'un en fait.. mais je ne sais point qui. C'est une douce et mystérieuse énigme que voilà, il semblerait que quelqu'un ait découvert mon point faible ! » Il adorait les mystères et autres, devinette folle et sans réponse, ou à réponse astucieuse. Et cette invitation avait titillé son intérêt. Une jeune femme, agréable et sympathique. Il devait se rendre à un salon de thé, jusque là... rien d'étonnant, quiconque le connaissait un peu savait qu'il aimait le thé. Mais qui devait-t-il rencontrer ? Ce moment se comptait en mystères, et en non réponses, et sa curiosité le rendait de plus en plus impatient. Son instinct de chapelier lui disait que dessous devait se cacher une délicieuse et douce réponse, voir une agréable surprise. Et sinon... si il ne s'agissait là que d'une sympathique farce, il aurait pu au moins apprécié une charmante tasse de thé et une agréable compagnie en ce serveur qui semblait partager un centre d’intérêt au moins. Il plissa les yeux. « Le thé... une grande histoire ? Mais mon cher monsieur, nous voilà ainsi fait pour nous entendre ! » s'exclama -t-il avant de reprendre goulument une gorgée de thé brulant. « Voyez-vous sans thé... je ne suis rien » Il adorait cette substance douce, parfois amer, la multitude de goût que l'on pouvait découvrir. A chaque fois qu'il buvait une tasse de ce délicieux et étonnant breuvage, il lui semblait le redécouvrir, et cela lui rappelait tellement le pays des merveilles. Une des seuls choses qu'il pouvait raccrocher à un monde qu'il avait quitté, arraché si brutalement. Évasive, il reposa la tasse de thé. « Mais je manque à mes manières, je me nomme Bellerophon Mercury, je tiens une petite boutique dans le centre. » Il tapota son chapeau pour indiquer sans un mot sa spécialité, à l'individu de déduire ou non l'objet de son commerce. Il soupira mélancolique, cela lui prenait parfois. Étrange et pesant ce sentiment, sur lequel on n'arrivait que rarement à mettre un mot. Il jeta un sourire à son interlocuteur.

Bellerophon porta une main à sa bouche. «Je ne vous connais que depuis quelques minutes à peine, mais mon cher ami... je vous apprécie. On trouve rarement personne de si bon langage et de si bonnes manières. « D'ailleurs je tiens à porter un toast ! C'est une petite tradition que j'avais... de là d'où je viens. » s'écria-t-il avec un sourire, enivré par le thé. Il se leva avec empressement et renversa un sucrier, mais il n'y pris gare ceci n'avait pas d'importance. « JOYEUX NON ANNIVERSAIRE ET TOUT MES VŒUX LES PLUS SINCÈRES. »cria-t-il, s'attirant surement le regard des quelques personnes, mais peu lui importait.