L'ennui avait pris le pas sur tout le reste. Lentement, il s'était immiscé dans sa vie, faisant jaillir son délicieux poison sur la vie de Zane. Il s'ennuyait, véritablement. Pourtant, parfois, il ne faisait guère la différence entre l'ennui et la mélancolie. Il lui arrivait de boire plusieurs heures, avant de s'arrêter, ivre, silencieux, posant un regard perdu et désespéré sur sa vie. Et au fond, il semblait si heureux que le mélange en venait à être tordu. Comme s'il était perdu et désireux du bonheur à la fois. Il arrivait un moment où il se posait des questions sur sa vie, sur lui-même, sur son passé, et même parfois sur son futur. Et depuis quelques jours, il était mélancolique. Ses pensées divaguaient vers son passé, vers Arthur, ce grand-père qu'il avait laissé contre son gré. Diablotins des temps modernes, ainsi avait-il pensé plusieurs fois. Il n'avait pourtant pas eu le choix. Et la vie était faite de telle façon que le choix s'imposait en maître sur tout le reste. Ses journées lui semblaient si longues qu'il se contentait de hocher la tête, ses pensées divaguant vers une blonde aux yeux d'argent, qui l'obnubilait quel que soit le moment. Il ne pouvait l'oublier, détacher son esprit de sa beauté. Semblable à une Muse à qui l'on avait percé le coeur, il se demandait comment elle faisait pour jouer autant de personnages alors que son corps était si frivole. Si fragile. Comment pouvait-elle se montrer cruelle avec tant de fragilité, de sensibilité ? Elle lui semblait frêle de haut en bas, et pourtant ses yeux pouvaient presque tuer, il l'avait déjà vu et vécu. Notamment quand il lui avait dit ce qu'il pensait d'elle, alors qu'il n'en pensait réellement pas un mot. Mais lesdits mots avaient jailli de sa bouche, traîtres, et l'avaient laissé en proie au désespoir, seul, assuré de ne plus jamais la revoir. Peut-être était-ce pour cela qu'il s'enfonçait de plus en plus dans un ennui certain ? Possible. Probable.

Il appuya légèrement son coude sur le bureau blanc, fixa l'homme dans les yeux et lui sourit tristement, honteux d'avoir à lui annoncer la mauvaise nouvelle. D'habitude, ce n'était pas à lui de le faire, mais l'infirmier qui devait s'en occuper était malade, lui laissant le délicieux soin d'annoncer la nouvelle. Il n'aimait pas ça. Il détestait. Au début de son service en tant que psychiatre, il s'en était occupé pendant un moment, et avait très rapidement demandé à changer de service, bien que son boss l'ait gardé dans un coin reclu de son cerveau « pour plus tard ». Et là, voilà qu'il se retrouvait à devoir annoncer la mort de son père à ce jeune homme gonflé d'espoir. Il tapota un paquet de feuilles, remit un stylo à l'endroit, par pur souci de stress. Il n'était pas bordélique mais pas non plus tellement maniaque du rangement ; il lui arrivait bien souvent de laisser traîner ses affaires un peu partout mais il les rangeait peu de temps après. Non, là, c'était plus après son stress qu'il courait. A dire vrai, il n'osait pas prononcer les mots. Maudits, qu'ils étaient. Il tenta l'approche douce, tentant de sourire au jeune homme pour lui montrer sa compassion, mais rien n'y fit et en quelques minutes, les larmes coulaient sur les joues du fils. On voyait nettement ses dents serrées, sa machoîre tendue. Il espérait encore. Zane soupira doucement, tendit un mouchoir et promit que s'il avait besoin de parler, il se tenait à sa disposition. Quelques minutes après, le jeune homme sortait, orphelin de père.

Il sortit rapidement de l'hôpital, monta dans sa voiture et se posa quelques secondes, observant les gens à travers la vitre. On y voyait de tout : des gens qui couraient, pressés pour une raison ou pour une autre, des gens qui couraient, puis s'arrêtaient pour vérifier leur route, sans doute stressés et perturbés à l'idée de se perdre ou d'arriver en retard, mais aussi des gens qui march aient, un sourire sur le visage, visiblement heureux. Zane observa une jeune fille qui marchait, plusieurs secondes, avant de finir par démarrer, perturbé. Elle ressemblait à Hydra. De loin, du moins. De près, il aurait été bien en peine de faire la comparaison. Il recula, et se dirigea vers chez lui, à moitié concentré sur le volant, se préoccupant plus de ses pensées qui divaguaient encore vers la belle blonde. Une obsession. Voilà ce qu'elle était pour lui. Une terrible obsession de laquelle il était impossible de se détacher. Elle vous broyait, vous maintenait en vie et vous laissait miroiter, observer jusqu'à votre dernier soupir. Il était encore perdu dans ses pensées quand il heurta la moto.

Il n'arriva pas à réellement savoir qui avait heurté l'autre, mais le fait est qu'ils s'étaient heurté. Doucement, il sortit de sa voiture, vérifiant qu'il n'avait rien de cassé et que son état mental n'était pas atteint. Puis il se dirigea vers la moto, jetant un regard au conducteur. « Et merde. » Un sourire malicieux se posa sur son visage, pas moqueur, juste malicieux. Et compatissant, sans doute. Il s'approcha du jeune homme, qui venait d'enlever son casque, et Zane dût le fixer quelques secondes pour que l'effet de déjà-vu prenne complètement effet. Ils s'étaient déjà croisés. Impossible de se rappeler où, mais il l'avait déjà vu, et il lui avait déjà parlé, au moins une fois. « Je suis désolé, c’est surement de ma faute, je faisais pas vraiment attention… » Il haussa les épaules, jetant un coup d'oeil à sa voiture bien cabossée. Au moins, il aurait une excuse pour l'amener chez le garagiste. « Vous en faites pas, c'est rien. J'étais perdu dans mes pensées aussi, donc partageons-nous la faute. » Il sourit, montrant qu'il n'était pas en colère du tout. Il aurait pu l'être mais bizarrement, non. Il ne l'était pas. Pas du tout. « Je…Hm, vous n’avez rien ? » Il s'approcha du conducteur de la moto, le regarda quelques instants et finit par se tâter chaque partie du corps pour lui montrer qu'il n'avait rien. « Physiquement, j'ai l'air d'aller pour le mieux. Et mon état mental n'a pas l'air transformé non plus, donc pourquoi s'inquiéter ? » Il sortit quelques billets de son portefeuille et les tendit à son interlocuteur. « Tenez. Pour payer les réparations. »