Une blanche fumée s’échappait de ses lèvres bleuies par le froid. Sa respiration était lente, douloureuse et étouffée. Le feu de sa chevelure s’était peint de neige, comme des millions de fils d’argent constellés d’étoiles qui entourait son visage diaphane. Son cœur n’était plus qu’un murmure glacé dont les battements s’amenuisaient de seconde en seconde. Elle ne parvenait plus à bouger un muscle, totalement tétanisée. Le sortilège était en train de s’achever. Comment avaient-elles bien pu en arriver là ? Le monde était autrefois si beau.
Mais le cœur glacé d’Anna ne parvenait plus à se souvenir du chant cristallin des oiseaux, de la chaleur du soleil sur sa peau, de l’odeur subtile des fleurs, de la sensation de l’herbe grasse sous ses pas, ni du goût des fraises qu’elle aimait tant. Et pourtant, la nostalgie alourdissait son cœur glacé et une larme perla sur sa joue pâle. La gaieté qui animait autrefois son être s’était envolée, comme si ce sentiment n’avait plus lieu d’exister entre ses murs. Entre les murs de ce palais de glace qui n’était que l’œuvre de sa sœur Elsa. Le vent froid s’insinuait de partout, traversait le tissu de la robe d’Anna et la gelait jusqu’à la moelle. Tout était si vaste, si froid, si vide ici. L’enfance des deux sœurs avaient été riches et placée sous une bonne étoile, chaleureuse et aimante, alors pourquoi autant de froideur dans le cœur d’Elsa ? Où était donc passée cette parcelle de chaleur si précieuse que la jeune reine semblait avoir perdue ? Sa soif de pouvoir était-elle donc si grande pour qu’elle veuille prendre le sang de sa propre sœur afin d’obtenir la vie éternelle ?
Lentement, Anna détourna la tête et observa sa sœur, droite et fière, qui contemplait son royaume de glace depuis son majestueux balcon. Tout n’était plus qu’étendu d’argent et de nacre immaculé s’étirant jusqu’à l’infini mais nulle trace de vie. Et maintenant qu’Elsa venait de la retrouver et de la soumettre sous son pouvoir, son règne était imminent. Cet hiver deviendrait éternel. Comment avait-elle fait pour ne rien voir venir jusqu’au jour où Elsa s’était enfuie du palais et avait décidé d’asseoir sa suprématie sur le royaume ? Anna ne se souvenait que de deux enfants courant à travers des champs d’or et de lumière, et riant aux éclats. Mais ce souvenir lointain s’évaporait entre ses doigts comme si elle avait voulu emprisonner de la fumée dans la paume de sa main.
Et pourtant, elle ne voulait pas oublier. Elle savait qui était réellement Elsa et elle ne pouvait croire, qu’au plus profond de son âme blessée, il ne pouvait briller une lueur de bonté. La jeune reine était sur le point de commettre des actes irréversibles qui allaient détruire pour toujours la dernière part d’humanité qu’il y avait en elle. Anna ne pouvait se résoudre à l’abandonner. Elle l’aimait bien trop pour cela.

« Elsa… » souffla-t-elle presque dans un murmure. « Je t’en prie… »

Anna était en train de rassembler tout son courage et son amour afin de se libérer de l’emprise du sortilège et de ramener sa sœur à la raison. Elle était aussi la princesse du royaume, et elle se devait de le protéger de l’hiver éternel qui le menaçait. Elle ne pouvait condamner une population entière au malheur et à la glace. Il n’était pas question de sa survie, du moins, pas à ses yeux. La seule chose qui se jouait ici était la sauvegarde du royaume et le retour de sa sœur. Elle était prête à tout lui pardonner juste pour la revoir, souriante et forte à ses côtés.
La princesse se mit à fredonner, puis à murmurer et à chanter une ancienne comptine que les deux sœurs chantaient toujours lorsqu’elles étaient enfants. Et dans chaque mot qui s’échappait de ses lèvres glacées, elle s’appliquait à offrir plus d’intensité, plus de pouvoir et d’amour. Les protestations alarmées d’Elsa se firent bientôt entendre mais elle poursuivit. Plus rien ne pourrait l’arrêter tant elle était animée par cette bravoure soudaine, cet amour sans borne. Autour d’elle, elle sentait la magie qui enflait et se dressait contre le sortilège de glace. Elle le sentait peu à peu faiblir, en même temps que la chaleur reprenait possession de sa chair, de son sang et de son cœur. En proie à un pouvoir nouveau et grisant, Anna étendit sa magie par-delà les murs du palais. Elle gagna les monts et les vallées, les lacs gelés et les déserts de glace, les villages et les maisons grelotantes, balayant la neige sur son passage. Le printemps triomphait à une vitesse fulgurante de l’hiver et bientôt, il ne fut plus qu’un effroyable souvenir. Ses doigts étaient restitués à la Nature. La vie reprenait le dessus et le bonheur emplissait les cœurs. La douleur était jetée dans l’oubli, condamnée au néant.
Et puis Anna offrit tout son amour et tout son pardon à Elsa. Une Elsa qui retrouva bientôt le chemin de la lumière. Et plus elle la sentait revenir vers elle, plus elle parvenait à trouver la force d’oublier les péchés de la jeune reine. Le royaume était délivré de l’hiver, Anna était libérée de son sortilège et Elsa était libérée de son orgueil. Il lui fallait maintenant prouver qu’elle était digne de son pardon et la rousse ne voulait plus faillir à la tâche de prouver son. Elle fut, et elle avait toujours été la personne la plus importante de sa vie. Et dorénavant, elles marcheraient main dans la main, plus fortes et grandies par cette épreuve. Du moins, c’était ce qu’Anna avait cru.

Le monde fut soudain chamboulé et la princesse s’y perdit. Quel était donc ce nouvel endroit dans lequel elle avait été projetée avec Elsa ? A quel autre sortilège redoutable était-elle soumise ? Et pourtant, elle dut s’adapter bien malgré elle, se convaincant que c’était une chance pour elle de renouer complètement avec Elsa, dans cette réalité où tous les codes étaient modifiés. Mais que l’adaptation était difficile ! Et comme elle se sentait seule. Car même si elle avait le bonheur de se retrouver dans une pareille situation avec sa sœur, elle voyait bien que cette dernière faisait constamment des efforts manifestes pour ne pas laisser éclater encore sa réelle nature. Au plus profond d’elle-même, il semblait qu’elle courrait toujours derrière ses désirs d’éternité et de pouvoir. C’est pourquoi, sa présence la mettait mal à l’aise, bien qu’elle l’aimât de tout son cœur. Elle ne savait si le jour venu, elle pourrait arrêter Elsa dans ses ambitions délirantes comme elle l’avait fait dans leur monde d’autrefois. Tous les jours, elle se torturait l’esprit, angoissée à l’idée que sa part maléfique ne se réveille. Elle ne songeait plus qu’à cela.
Et puis, il y a quelques semaines, elle fit une rencontre qui bouleversa le cours de sa vie et qui éclaira son existence. Néanmoins, ils ne se parlèrent pas tout de suite. Mais lorsqu’ils s’abordèrent enfin, ils ne purent plus s’arrêter. Victor… il s’appelait Victor et manifestement, son histoire était tout aussi étonnante, causant l’admiration d’Anna. Même s’ils étaient beaucoup à avoir subi ce sortilège qui les avait tirés de leur ancien monde, il n’y avait qu’à ses côtés qu’elle ne se sentait pas seule ou désœuvrée. Le monde lui paraissait soudainement plus supportable, plus doux après cette rencontre qui fleurissait en une profonde amitié. Enfin…
Il y eut ce fameux soir. La fête, l’alcool, le trou noir et puis un réveil bien chaotique où ils découvrirent qu’ils avaient couché ensembles. Depuis, Anna est totalement perdue bien qu’elle soit consciente des sentiments très forts qu’elle éprouvait pour lui. Mais en était-il de même pour lui ? Après tout, il avait une ancienne vie et fiancée qui paraissait bien occuper ses pensées. La situation n’aurait pu lui paraître pire, jusqu’au jour où elle apprit qu’elle était enceinte, et ce, depuis maintenant plus qu’un mois. Depuis, les semaines s’écoulent sans qu’elle ne dise rien, ne sachant comment l’annoncer au jeune homme tant elle est anxieuse vis-à-vis de sa réaction et de ses sentiments envers elle. Il est son nouveau rêve.