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 22h29 ✭ Wendy

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MessageSujet: 22h29 ✭ Wendy 22h29 ✭ Wendy EmptyMar 11 Sep - 12:57

21h17. Elle lui trotte toujours dans la tête, depuis près d’une heure. Peut-être plus. A chaque fois qu’il croyait la saisir, elle lui filait entre les doigts, le regard rieur et quelque chose d’impertinent figé sur les lèvres. Alors il se torturait l’esprit, il remuait le couteau dans la plaie, il brassait de l’air, somme toute. Sors de ma tête, empoisonneuse ! Insensée et évanescente, il ne la comprenait pas, mais il savait qu’elle avait éveillé quelque chose en lui. C’était déjà présent mais cela somnolait. Et maintenant, il avait pris conscience que cela venait d’émerger. Elle lui trotte toujours dans la tête, cette petite phrase anodine d’Oscar Wilde : « L’immoralité est un mythe inventé par les honnêtes gens pour expliquer la curieuse attirance qu’exercent les autres ». Il le savait, pourtant, qu’il ne faut pas lire une ligne de cet auteur génial dans les mauvais jours ! Mais le livre ricanait dans un coin de la bibliothèque, invitant à la lecture. Au début, c’est avec un sourire amusé qu’il tournait les pages, bercé par l’humour et le flegme des personnages principaux. Leur sens de la répartie, aussi. Et puis, son sourire s’était effacé, tandis que la fascination s’opérait. Il fronçait les sourcils en dévorant les lignes incendiaires, dont le tracé noir formait un contraste cruel avec le blanc de la page. Les pages crissaient insensiblement sous ses doigts, comme si elle aussi se mettaient à rire. Leur petit rire pointu avait quelque chose de démoniaque, dont Peter n’avait pas réellement conscience, mais ses flèches le transperçaient jusqu’au fond du cœur. Cela lui fit l’effet d’un alcool fort. Désagréable et brûlant à la première gorgée, mais, l’instant d’après, quelque chose de chaud et d’entêtant monte en vous, vous communique une sorte de vitalité nouvelle. Il s’aperçut qu’il avait bu la bouteille jusqu’à la lie lorsque cette phrase tomba. L’immoralité est un mythe inventé par les honnêtes gens pour expliquer la curieuse attirance qu’exercent les autres. Et cette phrase semblait répondre à tant de questions qu’il s’était posées ces derniers temps. Elle était la chute de tant d’introspections. Le paroxysme de l’absence de toute culpabilité. Et maintenant qu’il avait lu ceci, il savait qu’à jamais il serait irrécupérable.

Mais elle criait dans sa tête, tandis que le silence assourdissant qui régnait dans la chambre le tétanisait. Il se leva de son fauteuil en vacillant, ses jambes ne semblaient pas vouloir le soulever. Il chancela jusqu’à la porte de la salle de bain, trébucha, se rattrapa à la poignée. « Respire », s’ordonna-t-il intérieurement, comme il détestait ne pas être maître de lui-même. Il y avait de quoi devenir fou. Il se sentait ivre mort alors qu’il n’avait rien bu. A part un Coca. Mais ça ne compte pas, ça, n’est-ce pas ? Il entra dans la salle de bain, tâtonnant pour trouver l’interrupteur, et se posta devant le miroir qui surmontait l’évier. La lumière blanchâtre de l’ampoule dépourvue d’abat-jour projetait son ombre sur le mur derrière lui. Elle se découpait de façon approximative, comme si son contour avait été flouté. Il la regardait à travers le miroir, et il lui sembla qu’elle le regardait aussi. A présent, c’était comme si c’était elle qui prononçait la phrase. Sa voix démesurée de fantôme noir serra le cœur de Peter, qui, lui, était pâle comme la mort.
« Va t’en ! », lança-t-il à l’adresse de son ombre. Et sa propre voix lui semblait si lointaine, si grave, si rauque, qu’il faillit croire qu’elle venait de quelqu’un d’autre. « Laisse-moi tranquille… Va t’en ! », et cette fois il criait, grondait de façon menaçante.

21h36. Il éprouvait l’envie de se débarrasser de son humanité, de se débarrasser de tout ce qui l’entourait. Le coup partit. Celui qui menaçait de tomber depuis dix-neuf minutes. Le miroir se brisa. Poignardé en son centre, et maintenant, il saignait des éclats de verre poli. Le souffle court, Peter regarda son reflet craquelé dans ce qu’il restait de cette glace. Il s’observa longuement, et finit par se calmer, allant jusqu’à regarder avec indifférence l’individu monstrueux qu’il avait devant lui. Son reflet était difforme. L’ironie du sort voulut que cela lui fasse précisément penser au fameux Portrait de Dorian Gray, dont le héros éponyme avait vendu son âme au diable pour demeurer éternellement jeune et beau, tandis que le portrait qu’on a peint de lui vieillirait à se place, et prendrait les marques de sa cruauté. Le Miroir de Peter Shadow, ou reflet dans l’œil d’une ombre, en voilà un bon titre, n’est-ce pas ? Peut-être qu’un jour il l’écrirait. Peut-être que, sans le savoir, il était un héros tragique, après tout ? En parlant d’écriture, Peter pensa enfin à regarder sa main droite. Celle avec laquelle il avait brisé le miroir. Il avait gardé le poing fermé. Le jeune homme fut soudainement pris de panique. Ses doigts étaient criblés d’éclats de verre. La douleur arriva avec la prise de conscience de sa bêtise et la vue du sang. Peter se demanda s’il devait essayer de retirer les fins morceaux de verre lui-même ou s’il risquait d’aggraver les choses. Mais la pensée la plus terrible, celle qui l’obnubilait à présent, c’était l’écriture. Et s’il perdait en partie l’usage de la main ? Et s’il ne pouvait plus écrire ses idées de mise en scène ? Il les oublierait toutes, s’il ne les écrivait pas. Et alors, il ne pourrait jamais réaliser son rêve, et jamais il n’organiserait le plus beau spectacle de tous les temps… Et… Mais plutôt mourir ! Peter, au milieu de son désespoir, sentit bien cependant qu’il était entrain de se monter la tête et de se faire des frayeurs, alors qu’il était absolument nécessaire de se calmer et de garder la tête froide. Il retira en grimaçant les deux plus gros éclats de verre qui s’étaient enfoncés dans sa main, et décida de ne pas toucher aux autres. Il fallait qu’il se rende à l’hôpital.

22h12. Le taxi qu’il avait appelé (et permettez-moi de vous dire que taper un numéro sur son téléphone de la main gauche n’avait pas été chose facile pour Peter) le laissa devant la porte du Bothmond Hospital. Il taponnait le sang avec un mouchoir, pour éviter de laisser sa trace dans le hall d’entrée de l’hôpital, et se dirigea vers l’accueil. Une très jeune femme, qui semblait débordée et qui ouvrait des yeux grands comme des soucoupes, se trouvait derrière le comptoir. Peter l’interpela le plus aimablement du monde, et lui montra sa main ensanglantée. Il se doutait que la jeune personne qui se tenait en face de lui devait être une apprentie ou du moins une toute nouvelle infirmière, et il pria pour que quelqu’un d’un peu plus expérimenté ait le temps de s’occuper de lui.
« Je sais que ce n’est pas vraiment une urgence, dit Peter tranquillement comme s’il espérait ainsi apaiser un peu la jeune femme qui semblait toujours aussi effarée. Je peux attendre, mais vous seriez gentille de... »
« Monsieur vous avez des éclats de verre dans la main, c’est plutôt urgent, répondit la jeune femme d’un air assuré qui surpris agréablement Peter. Je vais faire appeler une infirmière de garde pour qu’elle s’occupe de vous ou qu’elle vous recommande à un médecin. Votre nom, je vous prie ? »
« Peter Shadow. »
Elle inscrivit le nom du jeune home sur une sorte de feuille de soins, et lui demanda de patienter quelques instants, tandis qu’elle bipait une infirmière ou un interne, donc. Elle faillit commettre l’impair de lui demander de remplir quelques formulaires, mais, se souvenant à temps de ce pour quoi il était là, elle lui posa plusieurs questions et nota elle-même les réponses. Lorsqu’elle sut son âge, son adresse, son numéro d’assurance, et lorsqu’elle fut assurée que le jeune homme ne prenait aucune drogue, elle désigna une jeune femme qui venait d’arriver, et dit à Peter que mademoiselle Darling allait se charger de lui. Peter se tourna vers ladite infirmière, et il ne pensa pas vraiment à regarder son visage, car il commençait à s’inquiéter réellement pour sa main.
« Pensez-vous que cela va nécessiter de… Hum, est-ce qu’il va falloir me… me recoudre ? »
Le dernier mot eu du mal à franchir ses lèvres, car il lui faisait mal. Il lui rappelait la fois où on l’avait recousu à Peter Pan, un soir, quand il était encore une ombre, dans la chambre à coucher des petits… Des petits Darling ! C’est alors que Peter leva le nez vers l’infirmière qui lui faisait face, et son cœur fit un bond.

22h29. Wendy ! Il écarquilla les yeux, se demandant quelle était la probabilité pour que, dans le plus grand hôpital de la ville, il tombe sur elle. Il devait y avoir une centaine de médecins et peut-être le double d’infirmiers, mais, celle qui allait devoir lui arranger sa main, c’était elle. Il fut trop abasourdi pour se mettre en colère ou pour maudire le destin. Et il se contenta de regarder le beau visage de cette petite peste, sans mot dire, partagé entre l’envie de rire jaune et celle de partir en courant.

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MessageSujet: Re: 22h29 ✭ Wendy 22h29 ✭ Wendy EmptyJeu 20 Sep - 16:37

Wendy frôla de ses doigts la première ligne de touches du clavier, hésitant sur certaines lettres, songeant à ce qu’elle pourrait créer là, maintenant, puis posa finalement son regard sur l’écran de son ordinateur portable. Pas une phrase, ni même un mot. La page blanche. Rien ne lui venait, elle ne savait pas par quoi commencer. Elle se sentait piégée par ce manque d’inspiration, prisonnière de sa vie sans pouvoir s’en échapper à l’aide d’histoires. Cela lui pesait, elle avait l’impression d’avoir un poids constant sur les épaules et elle avait perdu ce sourire, celui qu’ont nombre d’enfants heureux, auparavant omniprésent sur ses lèvres. Elle n’arrivait plus à le retrouver, elle ne parvenait plus à être pleinement comblée. Il y avait ce vide en elle, présent en tout lieu et toute heure, qui était apparu il y a de cela… Très longtemps, maintenant, un peu trop peut-être. Et jusqu’ici, seules ses histoires avaient eu le don de lui redonner un peu de ce sourire, mais… Le problème était que cela faisait un petit moment que plus rien ne lui venait à l’esprit. La conteuse en elle semblait s’être éteinte, étouffée par son quotidien répétitif et ennuyant… comme avant, comme à l’époque où elle était encore mariée à Edward. Depuis son plus jeune âge, elle avait en tête l’idée d’écrire des romans contant de fabuleuses aventures, ses aventures, mais son mariage arrangé avait fini par briser ce rêve, le réduisant à un simple désir d’enfant. Edward lui avait, à de nombreuses reprises, répété qu’elle était une adulte responsable à présent et qu’écrire ne ferait que ternir sa réputation, déjà bien entamée par les rumeurs qui la disaient… « excentrique », disons, pour les plus agréables. Se résignant, elle s’était alors dirigée vers quelque chose de plus sérieux. Elle avait fait de longues études, perdant au fil du temps de son sourire naturel. Elle était devenue infirmière dans un hôpital réputé et elle était contente de pouvoir aider les gens, mais… ce n’était pas sa vocation, elle le savait. Elle avait encore beaucoup trop de temps libre et ce temps, elle le passait à songer à du papier et de l’encre, ce qui la rendait profondément mélancolique, car elle savait que ces deux objets pourtant si faciles à obtenir lui étaient inaccessibles. Si Edward la surprenait ne serait-ce qu’à écrire une lettre, il entrerait dans une de ces crises de colère qui le rendaient si imposant et terrifiant et ça… Non, merci, elle avait déjà donné. Alors, durant de nombreuses années encore, elle avait enfoui au fond d’elle tous ses rêves et ses espoirs abîmés. Elle avait fait d’autres études encore, s’épuisant au travail, s’acharnant de nombreuses heures à la tâche, pour pouvoir devenir médecin et ainsi ne se laisser aucun répit pour songer à ce qu’elle voulait vraiment. Elle y était parvenue, elle s’était perdue, jusqu’à en oublier qui elle était vraiment. Elle avait suivi ce chemin qu’on lui imposait, rangeant sa fierté et son orgueil pour ne décevoir personne, s’abaissant à jouer un rôle qui ne lui convenait pas et qu’elle avait gardé jusqu’à ce qu’elle ait le courage de dire « stop », ce qui n’était arrivé que bien plus tard. Et alors, à ce moment, elle n’avait aucune idée de comment reprendre la situation en mains. Comment faire lorsque, durant toute notre vie, nous avions été une autre personne que nous même ? Elle ne savait pas ce qu’elle devait faire, n’arrivait pas à définir quelles sortes de réactions étaient appropriées à « l’ancienne Wendy ». Elle s’était remise en question et était passée par de nombreux stades, avant d’arriver à se stabiliser. A peu près. Puis le sort avait tout foutu en l’air. Il l’avait renvoyé à une époque où elle n’était personne, juste l’ombre d’elle-même, quelqu’un de docile, qui se pliait aux volontés des autres, qui faisait bien sagement ce qu’on attendait d’elle. A 21 ans, on lui avait déjà presque tout prit. C’était déstabilisant, mais elle avait vu en ce retour dans le passé une chance de tout refaire, de tout reconstruire, d’oublier et de pardonner. Et surtout, de ne pas refaire les mêmes erreurs, de ne plus se laisser guider par la peur de décevoir. Elle avait suivi ce mode de pensée durant trop longtemps, il était temps d’y mettre fin. Elle avait réussi. Elle était redevenue quelqu’un de forte et d’indépendante. Infirmière pour se donner du temps pour écrire et libre, sans attache aucune. C’en était presque parfait. Jusqu’au moment où elle s’était de nouveau laissé happer par cette routine qui lui plombait les ailes.

Son portable vibra, à côté de sa main gauche, juste sur son bureau. Elle regarda de qui venait l’appel et se résigna à décrocher lorsqu’elle vit que c’était l’une de ses collègues. Deux minutes plus tard et quelques paroles échangées, elle sortait déjà de chez elle, sa veste sur le bras. Ils avaient besoin d’elle à l’hôpital, ce qu’elle comprit aisément en arrivant sur les lieux. Tous les habitants de la ville et de ses alentours semblaient avoir décidé de passer faire un petit tour ici, l’endroit était plein à craquer. Elle se dirigea aussitôt vers les vestiaires où elle enfila sa blouse à la hâte. Puis, sans perdre une minute, elle se rendit dans le couloir. Aussitôt, Anna, une de ses collègues, se rendit auprès d’elle. « On a besoin de toi, à l’accueil. ». Wendy hocha la tête et slaloma entre plusieurs personnes afin d’atteindre l’entrée. Son regard n’eut aucun mal à détecter celui dont il allait falloir qu’elle s’occupe. Sa main était dans un sale état. Elle se dirigea vers lui et fit un mince sourire à Grace, qui s’occupait déjà du dossier, avant de porter son attention sur le jeune homme brun qui se tenait devant elle. Celui-ci lui demanda d’un air quelque peu préoccupé : « Pensez-vous que cela va nécessiter de… Hum, est-ce qu’il va falloir me… me recoudre ? ». Elle s’avança un peu vers lui et examina brièvement sa main. Il allait falloir qu’elle voit ça de plus près, mais d’un bref coup d’œil, au moins une des blessures allait nécessiter des points de suture. « J’en ai bien peur, mais ne vous inquiétez pas, tout se passera bien, j’ai l’habitude de ce genre de chose. ». Wendy releva les yeux, arborant un air confiant pour le mettre à l’aise, et remarqua alors qu’il la dévisageait étrangement. Elle songea qu’il avait peut-être la phobie des aiguilles ou un truc de ce genre, ça lui était déjà arrivé, mais bon… Il faudrait bien en passer par là et elle tenterait de le rassurer un maximum. Elle prit le dossier que lui tendait Grace et vint se placer aux côtés de l’homme. Elle posa alors sa main libre sur son épaule où elle y fit une légère pression et lui intima de la suivre. « Venez avec moi, ça devrait aller plutôt rapidement. ». Elle le conduisit jusqu’à une salle proche encore inoccupée et le fit s’asseoir sur un siège médical, recouvert de papier bleu. Puis, elle jeta un coup d’œil au dossier. Son cœur manqua un battement. « Peter Shadow ». Elle cilla, une fois, puis encore. Ce n’était pourtant qu’un nom… Mais, cela faisait ressurgir en elle des souvenirs qu’elle tentait généralement d’enfouir lorsqu’elle bossait, ne souhaitant pas vraiment prendre le risque de se faire déconcentrer. Et pourtant… Parce que lorsque le nom de Peter était mis sur le tapis, elle pensait forcément à Peter Pan. Un peu désarçonnée, elle jeta un coup d’œil à ce Peter. Il était grand, brun, mignon. Néanmoins, la comparaison s’arrêtait là, il lui semblait. Bon, peu importe. Il fallait qu’elle se reprenne sinon, à ce rythme, il allait se vider de son sang devant elle. Elle étouffa un toussotement et se redressa, espérant se redonner un peu de contenance, avant de poser le dossier sur une table métallique et de se diriger vers une commode. Elle ouvrit les portes de celle-ci et se mit à chercher son matériel. Elle posa la main sur ce qu’elle cherchait et revint alors rapidement vers lui en lui demandant, un peu mal à l’aise de s’être laissée emportée de cette façon : « Vous permettez que je vous appelle Peter ? ».

Puis, elle tira une chaise vers elle et s’assit de façon à pouvoir atteindre sa main. « Bon, je vais prendre votre main, ce qui risque déjà d’être… un peu douloureux. Mais, il faut que je retire les derniers morceaux de verre qui s’y trouvent, sinon je ne pourrais pas recoudre. ». Elle lui fit un sourire encourageant et vint chercher sa main. Elle ne savait pas ce qu’il avait fait, mais il y avait mis de la force, en tous cas. Il restait quelques épines de verre assez minces, ainsi qu’un bout plus large, d’apparence profondément enfoncé sur le côté de sa paume, même si c’était plutôt difficile de distinguer quoique ce soit avec le sang qui s’écoulait de la plaie. Elle prit une serviette qu’elle mit sur une petite table d’acier à roulettes et posa la main blessée dessus. Elle s’empara ensuite de deux gants en plastique, les enfila, se saisit d’une pince à épiler et se mit à détacher de la peau les bouts de verres qui s’y étaient enfoncés. Lorsqu’elle vint au plus gros, elle lui jeta un regard, l’encourageant silencieusement, avant de le retirer prudemment. Elle nettoya aussitôt la plaie, avant de la désinfecter à l’aide de compresses imprégnées d’alcool. « Désolée, ça brûle un peu. ». Une fois chose faîte, elle se leva ensuite et alla chercher ce qu’il lui fallait pour la seconde étape. Alors qu’elle remplissait une seringue du produit qui lui serait nécessaire à l’anesthésie locale, elle lui posa une des questions qui lui brûlait les lèvres depuis qu’elle l’avait vu. « Sans vouloir être indiscrète, je peux savoir comment vous avez réussi à vous faire ça ? ». Elle tapota sur l’extrémité de l’aiguille, faisant s’écouler un peu de liquide, avant de revenir vers lui, curieuse d’en savoir plus sur ce Peter Shadow.
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MessageSujet: Re: 22h29 ✭ Wendy 22h29 ✭ Wendy EmptyDim 23 Sep - 15:41

Elle lui dit de s’asseoir sur un de ces sièges recouverts d’un tissus plastique qui couinent lamentablement dès qu’on appuie dessus. Peter s’exécuta sans mot dire, laissant donc le fauteuil se plaindre à sa place. Wendy Darling. Infirmière. Ca lui va comme un gant, elle a toujours adoré jouer les Mère Theresa. Elle n’avait pas changé. Toujours à vouloir recoudre des trucs cassés. Peter se demandait si elle était profondément gentille et désintéressée ou si elle avait précisément choisi cette profession parce que son égo appréciait qu’on lui dise « merci ». Trouver des défauts ignobles aux personnes qui ont l’apparence des plus doux anges était un des passe-temps préférés de notre ami. Nous n’irons pas jusqu’à le psychanalyser mais sans doute (et il le soupçonnait sans se l’avouer réellement) que cela avait à voir avec un complexe d’infériorité… Ou de supériorité, peu importe. Néanmoins, il se ravisa bien vite et décida qu’il chercherait des défauts à Wendy un peu plus tard, car celle-ci venait d’enfiler des gants élastiques et poudreux et de se saisir d’une seringue. Oui, il ferait le malin plus tard, cela valait mieux. « Vous permettez que je vous appelle Peter ? ». Non, je ne permets pas.
« Je vous en prie », répondit-il sagement en regardant l’aiguille de la seringue.
Il faut être courageux mais pas téméraire, n’est-ce pas ? Wendy s’assit en face de lui, un plateau de fer à roulette les séparaient. Elle lui prit la main et la posa dessus. S’il avait mal, il ne le montrait pas. Non qu’il voulût jouer les hommes forts, mais c’est seulement qu’il était trop obnubilé par la pensée que Wendy Darling était assise face à lui pour songer aux éclats de verre qu’il avait dans la main. Elle se servit d’une pince de métal pour détacher les fragments de miroir de sa peau. Elle était calme et méticuleuse. D’une douceur parfaitement dépourvue de tendresse. La douceur froide et rassurante qu’on réserve aux patients, sans doute. Elle ne devait pas même y songer. Peter se dit qu’elle avait l’air d’une gentille automate, assise sur son tabouret pivotant. Que fais-tu ici ? Est-ce que Pan sait que tu es là ? Tant de questions que Peter garda pour lui, au moins pour le moment. Il eut une impression de brûlure sur la main, qui, à bien y regarder, n’était pas du tout une impression. La dame en blanc venait de désinfecter une de ses blessures avec une compresse alcoolisée. Elle lui adressa un sourire qu’il n’arriva pas vraiment à analyser, et qu’il perçut comme l’expression muette d’un mélange de « Désolée » et de « Courage ! ». Et puis la question tomba. Celle qu’il voyait courir depuis cinq bonnes minutes sur les lèvres au tracé délicat de l’infirmière. Peter lui adressa un sourire légèrement confus.
« Comment j’ai réussi à… ? Mais vous êtes trop gentille de parler de réussite dans une pareille circonstance ! En réalité c’était plutôt un fiasco total… Je finissais mon propre déménagement et le dernier objet que je devais emporter était un miroir, sauf que je suis tombé avec dans les escaliers de l’immeuble et qu’il s’est brisé dans sa chute. Et moi, au lieu de le lâcher, je crois bien que je me suis désespérément cramponné à lui et c’est ainsi que j’ai réussi à faire s’incruster des morceaux de miroir dans ma main et que j’ai réussi à passer pour le plus grand des maladroits auprès de tous les habitants de l’immeuble… et auprès de vous à présent, il me semble. »
Allons, ce n’est pas trop mal comme joli mensonge, ça ! Oui bon, finir un déménagement à 21h30 ça paraît un peu étrange, mais après tout pourquoi pas… Et puis de quoi je me mêle, d’abord ? Décidément elle n’avait pas changé ! Toujours à se mêler des affaires des autres… Ah ! Comme elle était agaçante ! Malgré tout, Peter ne laissa rien paraître de son indignation, et, bien au contraire, conserva son petit air gêné, sans quitter des yeux la pince dont se servait la jeune infirmière.
« En chemin je me suis dit que j’aurais dû inventer une histoire un peu plus glorieuse, lui confia-t-il. Je ne sais pas trop… Que dites-vous de cela : j’étais dans un magasin lorsqu’un homme a essayé de braquer la caisse, et moi, je lui ai courageusement sauté dessus pour le faire tomber, mais, dans notre chute, nous sommes passés à travers la vitrine du magasin… Alors ? Ce serait plus héroïque, non ? »
C’est effrayant comme il parvenait à parler spontanément pour ne rien dire ! C’est un don de la nature, que voulez-vous ? Peter avait décidé de discuter pour tenter de ne pas penser aux points de suture qui allaient forcément, à un moment ou à un autre, arriver sur le tapis. Le jeune homme n’avait pas la moindre envie de voir Wendy armée d’une aiguille de nouveau. Remarquez, ici, au moins, elle avait du faire des études assez longues pour avoir cette prérogative. C’était légèrement rassurant. Mais à peine. Peter quitta son sourire amusé et son visage se rembrunit un peu. Il prit une longue inspiration.
« Ecoutez, mademoiselle, je sais que vous devez bien connaître votre métier, mais croyez-vous vraiment que les points de suture soient absolument nécessaires ? Ne pourriez-vous pas… utiliser des agrafes chirurgicales, par exemple ? Je vous l’accorde, cela aura un petit côté Frankenstein, mais peut-être qu’il y a des filles qui aiment bien les monstres verts informes après tout ? Rendez-vous compte : vous pourriez peut-être m’aider à séduire quelqu’un, avec ces agrafes !... Oh, je ne vous sens pas très enchantée par cette idée… »
Il essaya de ne pas rire, et, pour étayer son argumentation, il prit un air pitoyable de pauvre monstre presque vert à qui l’on ne veut pas donner d’agrafes. Wendy n’avait pas vraiment l’air de vouloir faire un travail vite fait bien fait. Il allait donc falloir en passer par le fil et l’aiguille ! Le jeune homme songea qu’il avait la chance d’être seul en présence d’une de ses ennemies, et qu’il ferait donc bien de se concentrer là-dessus, mais il n’arrivait pas à s’enlever l’aiguille de la tête. Pourtant il continuait de se poser des questions au sujet de la demoiselle. Qu’était-elle devenue ? C’est un métier ingrat, infirmière. Elle devait travailler jusqu’à épuisement et vivre dans un deux pièces exigu. Et l’enfant, où était-elle ? Celle qui racontait des histoires au bord de la fenêtre ? Comme ce monde nouveau était bien fait, finalement ! Les insupportables enfants des contes avaient finalement reçus ce qu’ils méritaient. Quoique Peter n’était pas certain que ce soit tout à fait un juste retour des choses, car, après tout, Wendy n’avait jamais été aussi exécrable que Pan, et, pourtant, elle semblait plus malheureuse que lui aujourd’hui. Mais bon, Peter décida qu’il fallait qu’il voit les choses de façon manichéenne, parce que s’il commençait à mettre les choses en balance et à se demander ce qui, au fond, était réellement juste, il n’allait pas s’en sortir. Et puis peut-être qu’il se mettrait même à culpabiliser, alors, ça, ce serait le comble de l’abomination ! Bon, pensons à autre chose. Il avait remarqué un frémissement, ou plutôt un très léger et presque imperceptible mouvement de surprise de la part de Wendy lorsqu’elle avait lu son nom sur la feuille de soin. Parce que, avec ce côté romantique qui lui collait à la peau, dans l’esprit de la jeune femme, tous les Peter devaient être en quelque sorte Peter. Le fameux. Roh, faites un effort de compréhension, vous ! Peter Pan, voilà. Toujours lui, oui, qui d’autre ? Et c’est cela qui blessait profondément le Peter qui gigotait nerveusement sur son fauteuil plastifié. Pourquoi lui et pas moi ? Pourquoi lui, même quand il n’est plus que l’ombre de lui-même ?
« Et vous, alors ? dit Peter à Wendy d’une voix plus grave que précédemment. Etes-vous du genre à aimer les monstres verts ? »
Oui, oui, le monstre vert dans l’esprit de Peter, c’est l’autre farfadet. Mais Wendy ne comprendrait peut-être pas l’allusion. Certainement pas, en fait, puisque, aux dernières nouvelles, elle n’avait d’yeux que pour lui. Mais alors, que signifiait cette petite lueur éteinte au fond de ses grandes iris limpides ? Pourquoi n’était-elle pas aussi rayonnante de gaieté que jadis ? Aussi irritante, avec ses sourires ravis d’enfant heureuse ? A vrai dire, la Wendy que Peter avait face à lui lui plaisait bien plus que la gamine écervelée qu’elle était dans le conte. Elle semblait plus… moins… Un peu comme ces morceaux de verre, là, qu’elle venait d’empiler dans une petite cuve en inox après les avoir retirés de sa main. Oui, elle était définitivement bien plus agréable, presque… charmante.
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MessageSujet: Re: 22h29 ✭ Wendy 22h29 ✭ Wendy EmptyDim 14 Oct - 19:48

« Comment j’ai réussi à… ? Mais vous êtes trop gentille de parler de réussite dans une pareille circonstance ! En réalité c’était plutôt un fiasco total… Je finissais mon propre déménagement et le dernier objet que je devais emporter était un miroir, sauf que je suis tombé avec dans les escaliers de l’immeuble et qu’il s’est brisé dans sa chute. Et moi, au lieu de le lâcher, je crois bien que je me suis désespérément cramponné à lui et c’est ainsi que j’ai réussi à faire s’incruster des morceaux de miroir dans ma main et que j’ai réussi à passer pour le plus grand des maladroits auprès de tous les habitants de l’immeuble… et auprès de vous à présent, il me semble. ». Un léger sourire se dessina sur les lèvres de Wendy, lorsque son patient lui fit part de son récit. Il paraissait être un bon conteur, en fait, il en était même un excellent ; il n’avait pas fait une seule erreur qui aurait pu permettre, à une autre personne de moins qualifiée qu’elle, de s’apercevoir qu’il la baratinait, que toute cette histoire ne reposait que sur des édifices tremblants. Car, en tant qu’infirmière, elle avait du mal à imaginer un jeune homme d’une vingtaine d’années tomber dans les escaliers, un miroir à la main, pour cause d’un déménagement plus que tardif, pour se relever ensuite avec seulement une blessure à la main. En général, les personnes qui chutaient dans les escaliers arrivaient avec beaucoup plus de contusions, voir des traumatismes pour les plus malchanceux, ou des membres cassés. De plus, avec un tel objet dans la main… Les morceaux de verre ne se seraient pas contentés de pénétrer dans sa main, il y aurait eu de bien nombreuses coupures. Cependant, s’il avait décidé de ne pas lui faire part de sa véritable histoire, c’était son droit. Elle, elle était là pour recoudre et rassurer. Même si elle devait s’avouer qu’elle était plus qu’intriguée par ce jeune homme à la parole facile, ce Peter. Il était, par ailleurs, étrange de songer à ce prénom en visualisant un autre visage. Elle n’avait que peu l’habitude. La dernière fois qu’elle avait prononcé ce prénom, elle s’était ensuite permise de… Non, elle préférait ne plus y penser. Inutile de se torturer davantage. Elle reporta alors son attention sur le brun et lui répondit d’une voix détachée et légère : « Si je préfère ne pas parler de fiasco, c’est parce que ce terme me déprime. Avouez-le, « réussite », ça dédramatise tout de suite la situation, non ? Un peu d’optimisme, s’il vous plaît. Et puis, vous avez une grande chance de vous en être tiré avec une simple blessure à la main. Habituellement, les chutes dans les escaliers font beaucoup plus de dégâts. Concernant votre maladresse, je crains fort que vous entendiez parler de cet incident pendant une semaine ou deux dans votre immeuble, mais les gens finiront tôt ou tard par se lasser et se trouver un nouveau sujet de commérage, ne vous inquiétez pas, je sais de quoi je parle. ». Sa voix, lors de sa dernière phrase, devint légèrement plus moqueuse, un brin amère. Toute sa vie, elle avait été la victime des rumeurs et des ragots, alors elle était bien placée pour savoir que ce genre d’incident ne perdurerait pas longtemps dans l’esprit des commères. Car après s’être rassasiées de cette petite histoire, leur faim ressurgirait plus fortement encore qu’avant et leur appétit pour ces petites choses croustillantes qui marquaient la vie des gens demanderait, à nouveau d’être apaisé, mais par un événement plus violent et intéressant encore, cette fois. L’histoire de Wendy et Edward aurait captivé ces personnes qui se nourrissaient du malheur d’autrui, elle en était intimement persuadée.

Elle ferma brièvement les yeux et secoua doucement la tête, en laissant un petit sourire mécanique reprendre place sur ses lèvres. « Quand à moi, je n’ai aucun jugement à tirer. Non, je ne vous connais pas assez pour ça. ». Wendy coinça une écharde de verre entre les deux petits battants métalliques de sa pince et tira pour l’extraire de la chair moelleuse du jeune homme, alors que celui-ci gardait son regard fixé sur l’opération. « En chemin je me suis dit que j’aurais dû inventer une histoire un peu plus glorieuse, lui confia-t-il. Je ne sais pas trop… Que dites-vous de cela : j’étais dans un magasin lorsqu’un homme a essayé de braquer la caisse, et moi, je lui ai courageusement sauté dessus pour le faire tomber, mais, dans notre chute, nous sommes passés à travers la vitrine du magasin… Alors ? Ce serait plus héroïque, non ? ». Wendy laissa lui échapper un petit rire, face à ce nouveau récit. Il lui semblait qu’elle venait de trouver quelqu’un avec le même goût qu’elle pour les histoires. « Vous trouvez ça héroïque, vous ? Vous savez, le héros n’est qu’une personne désespérée, qui n‘a plus rien à perdre et… Enfin, celui qui ferait ça aurait une nette tendance à vouloir prouver sa valeur aux yeux des autres, ou même simplement à se prouver quelque chose. Alors, oui, cela nécessite du courage, mais… Je crois que je trouve ça plus triste qu‘héroïque. ». Après sa réponse, elle baissa aussitôt les yeux, ses joues s’empourprant légèrement, alors qu’elle venait de se laisser emporter par ses propres idées. Elle n’avait jamais fait part de sa conception du héros à qui que ce soit, car c’était là une vision un peu particulière de ceux qui étaient adulés de tous. Toutefois, elle n’avait plus à réprimer ses idées, elle n’avait plus à faire attention à ses paroles, elle n’avait plus à craindre qu’il ne lui arrive quelque chose si son mode de pensée ne suivait pas le courant… Elle était libre. Elle pouvait enfin affirmer des choses, sans devoir baisser la tête. Alors, elle releva les yeux vers Peter Shadow et assuma ce qu’elle venait de dire, en concluant le tout d’un sourire déterminé et franc.

« Ecoutez, mademoiselle, je sais que vous devez bien connaître votre métier, mais croyez-vous vraiment que les points de suture soient absolument nécessaires ? Ne pourriez-vous pas… utiliser des agrafes chirurgicales, par exemple ? Je vous l’accorde, cela aura un petit côté Frankenstein, mais peut-être qu’il y a des filles qui aiment bien les monstres verts informes après tout ? Rendez-vous compte : vous pourriez peut-être m’aider à séduire quelqu’un, avec ces agrafes !... Oh, je ne vous sens pas très enchantée par cette idée… ». Qu’il essaye de l’amadouer de cette façon l’amusa. Elle en était sûre. Dès au premier coup d’œil, elle l’avait cerné ; il paraissait ne guère apprécié les aiguilles. Cependant, la blessure étant au niveau d’une partie mouvante, qui se plissait régulièrement, elle n’avait donc d’autre chose que le fil et la couture, qui allait avec ! « Je suis navrée, mais les agrafes ne seraient guère utiles pour cette coupure, alors… L’aiguille n’est pas en option, mais cela se déroulera très rapidement, il ne faut pas que vous vous inquiétez. Et puis, vous aurez sans doute une petite cicatrice et je vous ferai remarquer que beaucoup de filles aiment ça. ». Elle lui asséna un petit sourire amusé, avant de planter l’aiguille de la seringue près de la blessure. Elle poussa le piston et vit que l’anesthésiant pénétrait dans sa paume, comme elle l’avait prévu, coulant dans son réseau de veines pour l’épargner de la douleur qu’occasionnerait le fil qui rassemblerait les deux parties de sa coupure profonde. Parfait. Elle retira la piqure et la reposa sur la table métallique, avant de saisir son matériel. Elle s’avança ensuite, de nouveau, vers lui et s’assit en face, pour avoir un accès facile à la main. Elle stérilisait l’aiguille et préparait la bobine de fil spécial, lorsqu’il lui fit une remarque dérangeante. « Et vous, alors ? Etes-vous du genre à aimer les monstres verts ? ». Elle releva aussitôt les yeux vers lui, tentant de le sonder d’un regard, alors qu’un frisson glissait le long de son échine. C’était comme une alerte qui s’était déclenchée soudainement, comme un mauvais pressentiment. Cette phrase, prononcé d’un ton plus sérieux… c’était comme s’il tentait de parler de quelqu’un de précis. « Les monstres verts. ». Non, elle en était persuadée, ce n’était pas une simple référence à un film. Mais, quoi alors ? Quelque chose la dérangeait, il la mettait mal à l’aise, à présent. Lui et son regard perçant. Lui et ses mensonges. Lui et cette lueur d’intelligence maligne qui faisait briller ses yeux sombres. Elle cilla et laissa l’aiguille lui faufiler entre les doigts. Elle entendit à peine le cliquètement métallique, happée par quelque chose de plus fort. Il y eut un instant de flottement. Elle entendait ce bourdonnement à ses oreilles, son cœur battait trop fort contre sa poitrine et sa vision se brouilla, l’espace de quelques secondes. Puis, elle cligna des yeux, une fois encore, et tout redevint comme avant. La réalité s’imprima dans son crâne avec plus de netteté et de précision qu’auparavant : elle était là, devant quelqu’un qui avait besoin de soin. Elle n’avait guère le temps de songer à cette autre époque, celle d’où elle venait. Car, c’était toujours cet effet de flou, de brume, qui resurgissait lorsqu’elle songeait à sa vie antérieure. « Euh… Si j’aime les… ». Faible balbutiement, qu’elle s’empressa d’effacer de ses souvenirs d’un mouvement de tête. Les sourcils froncés, elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait et pourquoi elle se mettait dans des états pareils. Ce n’était pas dans ses habitudes de se montrer si démunie et perdue, devant un patient. C’était comme lorsqu’elle pensait à… Oui, l’image de Peter, Peter Pan, s’imprima sur ses rétines. Se pourrait-il que cet inconnu parla de lui ? Et si c’était le cas, alors quelle serait sa réponse ? Non, elle était catégorique ; elle se laissait simplement submerger par ses émotions, il était impossible qu’il le connaisse. Il fallait qu’elle se reprenne.

Elle lâcha alors un léger soupir et reprit l’aiguille d’une poigne plus déterminée, avant de répondre d’un ton vif : « Cela dépend de votre définition de « monstre vert ». Je suppose que, s’il est aimable, je ne pourrais que l’apprécier. Dans le cas contraire… Je n’ai pas tendance à détester qui que ce soit, plutôt à montrer une froide indifférence. ». Elle prit ensuite l‘aiguille, y attacha le fil, et sans plus attendre, transperça de la pointe la chair de Peter. Elle haussa un sourcil et reprit tout de même, sans quitter son travail des yeux, mais pour atténuer son propos : « Enfin, je le conçois, tout n’est pas toujours tout blanc ou tout noir. ». Elle retira l’aiguille, pour mieux la replanter dans l’autre bord et tenta de lui offrir un piètre sourire, qui se termina en une grimace d’amertume. « En fait, non. Il n’y a jamais rien d’aussi catégorique. Tout est toujours trop compliqué. ». C’était juste sa maudite question qui l’avait désarçonnée plus qu’elle n’aurait dû le faire. Elle inspira finalement profondément, puis s’enquit enfin de l’état du jeune homme : « J’ai cru comprendre que vous n’appréciez pas les aiguilles… ça va, vous tenez le coup ? ».
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MessageSujet: Re: 22h29 ✭ Wendy 22h29 ✭ Wendy EmptyLun 15 Oct - 22:06

Il écoutait le tic tac mécanique de l’horloge pendue au mur du fond. Wendy était imperturbable, tout comme l’aiguille poursuit sa course, inlassablement, désespérément. Après quoi court-elle, cette insensée ? Après elle-même, car aucun obstacle ne viendra l’arrêter, et chaque nouveau tour de cadrant ressemblera au précédent. Le regard sombre de Peter se posa sur Wendy, qui, elle, ne le regardait pas, jamais, qui s’affairait sans entrain, qui souriait sans âme. Lui, il souriait doucement, l’ombre d’une idée accrochée au coin des lèvres. « As-tu besoin que quelqu’un arrête ta course, Wendy ? ». Voilà ce qu’il voulait lui demander. Il pourrait être cette personne. Si elle avait besoin d’un élément déclencheur, il pourrait l’incarner. C’est ce qu’il faut à toute histoire pour qu’elle vaille la peine d’être racontée. Nous en étions là, c’était la mise en situation, paisible, dont la monotonie doit être brisée par un problème qu’il faudra par la suite dénouer. Oui, Peter souriait parce qu’il songeait : « Je puis être le problème de ton histoire ». Mais il fallait qu’elle le veuille, qu’il sente que cela en valait le coup. S’il lui ouvrait les bras, déciderait-elle de s’y jeter, ou se contenterait-elle de faire un pas de côté et de reprendre son chemin en cercle ? Quel sens veux-tu donner à ton existence ? Pour l’heure elle parlait, rebondissait sagement sur les récits enchâssés du jeune homme, sans surprise, comme habituée à emprunter ce ton de voix posé pour s’adresser aux patients. Mais Peter n’était pas une étiquette que l’on colle sur un dossier de feuilles cartonnées et qu’on range dans un tiroir métallique. Il n’était pas un patient. Enfin, il ne voulait pas être un patient. Les patients souffrent, se plaignent, gémissent, se font recoudre et s’en vont. Les hommes comme lui souffrent, en rient, persistent, se font du mal, et s’accrochent. Il la laissa parler, hochait la tête au bon moment, lui adressait de petits sourires, mais ne répondit rien jusqu’à ce qu’elle lui parle du héros. La réponse qu’elle lui fit fut déprimante. En d’autre circonstances, Peter aurait renchéri, aurait dit quelque chose de bien senti sur le fait que la société créé des héros stéréotypés pour se donner de l’espoir mais qu’au fond l’espoir est vide de sens… Il aurait été ce qu’il est le plus volontiers : cynique et pessimiste. Mais deux pessimistes qui se rencontrent ne trouvent aucun intérêt dans la compagnie de l’autre. Et Peter aimait être quelqu’un d’intéressant. Il avait un grand sens de la conversation et détestait avoir l’air ennuyeux. « Je crois que je trouve ça plus triste qu’héroïque ». La formulation fit rire sous cape le jeune homme. « Je crois que je trouve », en voilà de l’assurance ! Peter inclina la tête de côté, se pencha très légèrement sur son siège qui poussa encore un petit couinement plaintif. Il chercha le regard de Wendy pour y mêler le sien, pour y diluer un peu de sa chaleur obscure. Mais Wendy semblait trop accaparée par son ouvrage pour daigner lever les yeux vers lui. Quoique ce que Peter prit pour de l’indifférence au départ s’avéra plutôt être de la gêne, car la demoiselle rougit légèrement, et chercha à se donner contenance en s’intéressant à sa seringue.
« Est-ce vraiment ce que vous pensez ? », demanda-t-il d’une voix étonnamment douce, presque soufflée, avec ce quelque chose de rauque et de traînant dans l’intonation qu’on ne lui entendait que lorsqu’il parlait sérieusement.
Il avait insisté de façon à peine perceptible sur le mot « vraiment », comme s’il tenait à ce que la jeune femme en vienne à se demander si elle ne se berçait pas elle-même d’illusions. Si elle ne s’était pas perdue en chemin. Parce que Peter se souvenait d’une Wendy qui inventait des héros hauts en couleur, défenseurs d’idéaux nobles, et qui, à la fin de l’histoire, laissaient la dernière page se tourner sur une victoire. Elle leva enfin les yeux vers lui, un sourire de détermination sculpté sur le rose de ses lèvres. Une chose était certaine : c’était vraiment ce qu’elle croyait penser. Et elle semblait contente de l’assumer. Peter se demanda si, au fond, elle ne préfèrerait pas avoir un autre point de vue sur la question, mais, ne voulant plus l’importuner à ce sujet, il choisit de lui rendre un sourire en coin et de se taire. Enfin juste pour quelques instants. Il décida de relancer la conversation au sujet du « monstre vert », sous une forme apparemment inoffensive. Cependant, la jeune femme fit la tête de quelqu’un qui vient de recevoir un électrochoc. Elle laissa tomber l’aiguille qu’elle tenait entre ses doigts effilés, et Peter constata que l’iris de ses yeux sembla vaciller un seul instant, tandis qu’elle balbutiait quelque chose d’hésitant. Aurait-il fissuré le masque de tempérance qu’elle avait posé sur son joli visage ? Wendy se reprit bien vite cependant, et répondit quelque chose de fort raisonnable et de balancé sur la question de son amitié vis-à-vis d’un potentiel monstre vert. Sur ce, elle piqua Peter d’un coup d’aiguille un peu trop franc, qui fit serrer les dents au jeune homme, avant de reprendre l’assurance de ses gestes méticuleux et calmes.
« Les choses sont en fait très simples, si vous permettez que je vous contredise, répliqua Peter en regardant autour de lui comme s’il cherchait un objet pour focaliser son attention ailleurs que sur l’aiguille ensanglantée. C’est l’esprit humain qui complique tout, qui se cherche des problèmes… Dites-moi, Wendy, est-ce que vous répondez toujours des choses aussi conventionnelles à toutes les questions que l’on vous pose ? »
Il stoppa son discours sur cette question qui en réalité était plutôt rhétorique, car il lui fallut prendre une longue inspiration pour ne pas bondir hors du fauteuil sur lequel il était si peu confortablement installé. Malgré lui, il regardait l’ouvrage de la jeune infirmière, et d’affreux souvenirs lui revenaient en mémoire. Il avait l’impression que tout le sang que contenait son corps venait de se répandre en une petit flaque sur le carrelage blanc à ses pieds et que, quant à lui, il était laissé pour mort. Et en effet, il était devenu livide à tel point qu’on aurait pu le croire en pleine crise d’hypoglycémie. Il s’enfonça dans son siège et aligna sa tête à son buste dans une position rigide, s’obligeant à regarder droit devant lui. Il regardait précisément cette horloge impassible à la régularité inextricable. Il voulait la marteler à coups de poings jusqu’à la briser et lui arracher son dernier cri ridicule de rouages éclatés. Oh, cette idée le calma, l’apaisa, et il se concentra dessus pour essayer de ne plus songer au fait que Wendy était entrain de le… non, ne prononcez même pas le mot dans votre tête, lecteur, ou il en deviendra fou !
« Mademoiselle, puisque je dois rester sage (je suppose qu’il le faut absolument, n’est-ce pas ?), et que je vous vois comme une aimable tortionnaire qui, quoique charmante, est en possession d’un abominable objet, j’estime avoir le droit d’exiger de vous en retour que vous jouiez avec moi à un petit jeu tout simple, pour m’aider à porter mon attention sur... autre chose… Le voulez-vous bien ? Oh, il faut que vous le vouliez, car, dans votre miséricorde, il est nécessaire que vous me preniez en pitié, sans quoi je crois bien que je pourrais défaillir, et mon image dorée de héros sans peur s’en verrait considérablement ternie ! »
Il exagérait un peu dans le registre du pathétique, pour que son petit discours soit plus divertissant… mais à peine. Parce qu’il n’en menait vraiment pas large. Il adressa à la jeune femme un petit sourire résigné, et, lui abandonnant sa main, il réfléchit audit petit jeu. Vite, quelque chose ! N’importe quoi ! Mais, si possible, quelque chose d’utile. Quelque chose qui lui laisserait encore entrevoir ce qu’il y avait derrière le masque de Wendy. Il lui lacèrerait ce visage d’argile jusqu’à ce qu’il puisse contempler la véritable Wendy Darling.
« Alors… Hum, disons que je vais vous poser une question, et que vous allez devoir y répondre très vite ! Mais attention : interdiction de me servir une froide réponse dictée par la Raison et le bon ordre établi par notre délicieuse Société ! Vous devez me dire la première chose qui vous viendra à l’esprit, qu’importe sa folie ou son manque d’organisation. Après, vous aurez le droit de m’en poser une à votre tour. D’accord ? »
Il lui jeta un coup d’œil qui semblait demander : « Prête ? ». Puis, toujours blême, toujours souriant d’un air mi-courageux mi-malicieux, il demanda :
« De quoi auriez-vous envie, maintenant, tout de suite, si vous étiez en mesure d’exiger n’importe quoi ? »
C’est alors qu’en bout de course, en panne de cœur, l’horloge au fond de la salle jeta son dernier « tac » en un râle retentissant auquel fit écho le plus violent silence. Peter aimait croire à la malice du Hasard. Il n’était pas superstitieux. Et vous ?
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MessageSujet: Re: 22h29 ✭ Wendy 22h29 ✭ Wendy EmptyDim 28 Oct - 16:57

« Est-ce vraiment ce que vous pensez ? ». Wendy se demanda pourquoi il désirait la confirmation de ce qu’elle venait de lui avouer. Peut-être parce qu’il avait perçu sa gêne et qu’il avait prit cela pour de l’incertitude. Il est vrai que, lorsqu’elle commençait à parler de choses personnelles, elle n’avait jamais l’air vraiment assuré, mais… elle était tout simplement comme ça. Sa personnalité avait été réprimée et étouffée durant si longtemps… De trop nombreuses années où elle avait dû apprendre à se taire et à suivre délibérément les ordres, pour qu’on lui colle une étiquette au dos, celle de « bonne épouse », celle qu’elle n’avait jamais voulut porter. Alors, lorsque la liberté l’avait rattrapé, lui laissant une seconde chance, elle avait bondi sur l’occasion, ne songeant pas un seul instant à ce qu’allait être la réadaptation à la vie normale. Il lui avait fallu retrouver son caractère, celui qui la définissait si bien, celui peut-être un peu trop impulsif et franc. Toutefois, même si elle l’avait « retrouvé », rien ne serait plus jamais comme avant. Elle gardait certains réflexes, ceux qu’on lui avait inculqués par la force. Comme baisser la tête, si une chose qu’elle n’aurait jamais dû dire avait traversé inopinément ses lèvres. Elle avait réellement envie de se débarrasser de cette mauvaise habitude, qui lui rappelait son ancienne vie, celle qu’elle tentait désespérément d’oublier, mais rien n’y faisait, pour le moment. Il fallait simplement qu’elle se rattrape, car c’était là ce qu’était devenue la vision d’un héros, pour elle. Il n’y avait plus de ces héros qui se battaient courageusement, juste pour aider les autres, parce qu’il n’avait que ça comme objectif. Pour elle, le temps où ces « héros » existaient s’était envolé. Il ne restait, à présent, plus que des êtres désabusés, qui luttaient pour des causes perdues ou qui tentaient de s’acheter la rédemption qu’il n’obtiendrait jamais. Univers sombre, il fallait l’admettre, qui la démoralisait quelque peu. Cependant, elle releva la tête et sourit au jeune homme, pour lui confirmer que c’était là vraiment ce qu’elle pensait du héros moderne. Elle assumait cette vision peu orthodoxe, peu lui importait si d’autres personnes ne partageaient pas cet avis.

Toutefois, le sourire mécanique qu’elle arborait sur ses lèvres se fana, à l’entente de la question sur le « monstre vert ». Elle perdit de cette belle assurance professionnelle qu’elle aimait adopter, celle qui lui faisait croire qu’elle tenait encore debout. L’aiguille se faufila entre ses doigts tremblants pour retomber sur la table et elle se laissa, durant un instant, happer par un tourbillon de souvenirs qui soulevait toujours en elle de nombreuses questions. Elle eut du mal à se reprendre. Peter Shadow avait ce don si particulier que peu de gens possédaient ; il avait le pouvoir de la déstabiliser en une phrase. Elle qui était habituellement si indifférente, si posée et maîtresse d’elle-même… Voilà qu’il se jouait d’elle, s’amusant à la bousculer et à troubler ses pensées. Et lorsqu’il le faisait, il gardait ses yeux posés sur elle, la transperçant de son regard sombre sans ciller, alors qu’elle se voyait obliger de détourner les yeux, pour échapper à cette torture visuelle. Elle n’aimait pas cette faiblesse qu’elle ressentait face à lui, qu’il lui imposait par force, sans même qu’elle ait le temps dé réagir. C’est sans doute ce pourquoi elle eut du mal à réagir avec calme. Néanmoins, elle se reprit rapidement, espérant qu’ils ne reviendraient pas sur ce passage étrange. Il était son patient, elle l’infirmière. Elle détenait le pouvoir, elle n’avait pas à se laisser impressionner, de cette façon. « Les choses sont en fait très simples, si vous permettez que je vous contredise. C’est l’esprit humain qui complique tout, qui se cherche des problèmes… Dites-moi, Wendy, est-ce que vous répondez toujours des choses aussi conventionnelles à toutes les questions que l’on vous pose ? ». Elle leva, un instant, les yeux de son travail de couture et un petit sourire amer traversa ses lèvres, l’espace d’une seconde, avant qu’elle ne l’étouffe sous un sourire plus maîtrisé. Elle aurait tant aimé lui répondre qu’il se trompait, que l’esprit n’était là que pour ramener l’Homme à la raison, qu’il n’était là que pour réfléchir sur telle ou telle chose qu’on lui imposait. Oui, elle aurait aimé lui répondre que c’était les sentiments, le cœur, qui compliquaient les choses, ainsi que cette incapacité que les gens ont à faire face à leur propre passé, mais… Cela aurait été lui offrir une réponse bien trop personnelle et il restait, après tout, un inconnu à ses yeux. Elle cherchait à lui offrir une réponse plus adaptée, lorsque la dernière partie de sa remarque lui revint en mémoire. Elle se figea, un instant, déstabilisée. Avait-elle vraiment l’air d’un automate bien réglé, qui répondait aux questions avec une performance non égalée dans le domaine de la froideur et de l’indifférence ? Il est vrai qu’elle posait souvent un mur entre elle et son interlocuteur, mais ce qu’il venait de lui dire lui faisait s’apercevoir de l’ampleur et de la hauteur de ce mur. Elle s’était éloignée de tout, elle s’était perdue, s’imposant une solitude glaciale qui la laissait, à présent, tremblante. Comment en était-elle arrivée à ce stade ? Agir, comme un parfait petit robot, en veillant à ne faire aucun faux pas ; quand avait-elle désiré être comme ça ? Elle déglutit et tenta d’ignorer cette migraine douloureuse qui lui vrillait les tempes. Son crâne allait exploser sous le trop plein de questions qui surgissaient soudain du coffre dans lequel elle les avait prudemment enfermées, il y a quelques années déjà. Et son cœur à vif, son cœur qui battait trop fort, là, juste sous cette carapace qu’elle s’était forgée, dans cette prison d’os, de chair et de muscles. Cette apparence impeccable qu’elle avait mit tant de temps à faire… Elle allait étouffer.

« Mademoiselle, puisque je dois rester sage (je suppose qu’il le faut absolument, n’est-ce pas ?), et que je vous vois comme une aimable tortionnaire qui, quoique charmante, est en possession d’un abominable objet, j’estime avoir le droit d’exiger de vous en retour que vous jouiez avec moi à un petit jeu tout simple, pour m’aider à porter mon attention sur... autre chose… Le voulez-vous bien ? Oh, il faut que vous le vouliez, car, dans votre miséricorde, il est nécessaire que vous me preniez en pitié, sans quoi je crois bien que je pourrais défaillir, et mon image dorée de héros sans peur s’en verrait considérablement ternie ! ». Lorsqu’il reprit la parole, Wendy prit une profonde inspiration. C’était comme si elle avait attendu tout ce temps, attendant qu’il parle de nouveau, pour enfin s’autoriser à respirer. Elle déglutit difficilement et transperça, une nouvelle fois, la chair de Peter. L’aiguille continuait inlassablement sa course, traversant la peau du jeune homme avec une facilité déconcertante. Elle avait un chemin tout tracé et Wendy en venait presque à l’envier. Elle, elle ne savait guère quand elle allait s’arrêter. Oui, quand prendrait-elle le temps de souffler et de vivre enfin comme elle l’entendait ? Elle stoppa sa couture, un instant, et braqua son regard sur son patient si inhabituel. Il ne paraissait jamais vraiment sérieux, alternant entre mensonge et grande tirade mélodramatique. Qui était-il vraiment ? Elle n’arrivait même plus à s’amuser de ses répliques. Elle aurait aimé le cerner, mais elle n’y arrivait pas et c’est cela qui la laissait démunie. Toutefois, lorsqu’elle remarqua qu’il se tenait dans une posture rivalisant avec la raideur d’un mort et qu’il était aussi pâle qu’un cachet d’aspirine, elle se détendit. Il ne semblait vraiment pas apprécier la situation dans laquelle il se trouvait. Les aiguilles étaient son point faible. Voilà au moins une chose sur lui qu’elle savait et, d’un côté, elle en était rassurée. Il était comme elle, comme les autres ; il n’était pas indestructible. Elle finit alors par sourire et haussa doucement les épaules. « Eh bien, écoutez… dans sa grande bonté, la tortionnaire que je suis accepte ce petit jeu. Bien que cela soit imprudent de votre part ; un instant de déconcentration de mon côté, l’aiguille qui dérape et… votre image de héros sans peur définitivement ternie. ». Voilà une chose qui n‘était peut-être pas professionnelle, mais Peter Shadow n‘était pas un client conventionnel. Alors, elle s‘était autorisé à reprendre sa phrase pour le taquiner sur sa peur des aiguilles et, ainsi, à son tour, le déstabiliser un peu. « Toutefois, je vous écoute. Qu’avez-vous à me proposer ? ». « Alors… Hum, disons que je vais vous poser une question, et que vous allez devoir y répondre très vite ! Mais attention : interdiction de me servir une froide réponse dictée par la Raison et le bon ordre établi par notre délicieuse Société ! Vous devez me dire la première chose qui vous viendra à l’esprit, qu’importe sa folie ou son manque d’organisation. Après, vous aurez le droit de m’en poser une à votre tour. D’accord ? ». Et voilà qu’il lui resservait son attitude de robot. Elle reprit lentement son souffle et se concentra ensuite sur le reste de sa réponse. Bon, puisqu’elle avait donné son accord un peu plus tôt, il n’était plus temps de se rétracter. Aussi, lorsqu’i lui lança un regard, elle hocha la tête avec un sourire assuré. Alors, vint la première question. « De quoi auriez-vous envie, maintenant, tout de suite, si vous étiez en mesure d’exiger n’importe quoi ? ». Aussitôt, elle arrêtât l‘aiguille, puis répondit, son regard ancré au sien. « Partir, m’évader. Peut-être de l’inspiration, pour que je parvienne à le faire. Quelque chose de ce genre, en tout cas. ». De suite, elle s‘en voulut. Elle se mordit la lèvre inférieure et tenta de se rattraper. « Enfin, pas partir de cette salle et vous laissez vous vider de votre sang, mais… Prendre un peu de recul et… » Vivre. Elle ne dit pas la fin de sa phrase, préférant taire ce dernier mot dont elle ne reconnaissait plus le sens. Et puis, cela aurait sans doute parut trop étrange pour Peter, aussi préféra-t-elle directement enchaîner sur sa question. « Comment vous êtes vous fait cette blessure ? ». Une parmi tant d’autre. Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ? Cela vous amuse-t-il de venir tout chambouler en moi ? D‘où venez-vous ? Est-ce que nous nous connaissons ? J‘en ai la terrible impression. « Et je voudrais la vérité, cette fois. Pas une simple histoire. ».

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MessageSujet: Re: 22h29 ✭ Wendy 22h29 ✭ Wendy EmptyJeu 1 Nov - 13:07

« J’ai mis un coup de poing dans un miroir. »
La vérité, c’est qu’il se moquait éperdument de la vérité. Ce qui l’intéressait, c’est ce qu’il y avait derrière. Pour Peter, un mensonge reflétait beaucoup plus le réel que ne saurait le faire une vérité stérile comme celle qu’il venait de servir à la jeune femme. Il avait mis un coup de poing dans un miroir. Et quoi ? Rien. Il n’y avait pas à en discuter, c’était clair, lisible dans le sourire franc et détaché qu’il adressait à Wendy Darling. Et ses yeux noirs lui disaient : « Je n’ai rien à vous dire de plus ». Peter plaquait sur son réel un décors de carton pâte au gré de sa fantaisie. C’était faux, tout cela. Du toc, du clinquant, une simple couche de vernis sur un meuble vide et craquelé. Et cette vérité devenait un mensonge par omission bien moins intéressant que son petit récit fictif de tout à l’heure. Ce qui était spécialement intéressant, en revanche, c’était la réponse de Wendy à sa précédente question. Partir. Voulait-elle voyager ou simplement s’absenter de son existence ? Y mettre un stop ? Un cessez le feu ? Peter, lui, voulait voyager. Avec Kiara, de préférence. Aïe, non, ne pas songer à Kiara. Pas après… mais à cela non plus il ne faut pas songer. A rien, chut, taisez-vous, pensées déroutantes ! Sa propre voix dans sa tête avait parfois le don de l’exaspérer. Il aurait bâillonné son imbécile d’esprit pensant et aurait écouté le silence du vide. Mais c’est une constatation philosophique qui vise à montrer que, quand on fait abstraction de tout, il reste toujours au moins une chose : la voix qui pense au fond de soi. Et Peter pensait, sans pouvoir s’en empêcher, que Wendy devait effectivement avoir besoin de vacances.
« Votre horloge a rendu l’âme », constata-t-il simplement en désignant le mur du fond.
Etait-ce de ce fait un instant en dehors du temps ? Est-ce que ce qu’ils se disaient à huis clos échapperait aux infâmes secondes qui avaient cessé de courir sur le cadrant noir sur blanc qui lui faisait face ? Wendy continuait son travail de couture inextricablement. Peter ne voulait pas regarder. Il chercha de nouveau les yeux de la jeune femme pour y fixer les siens.
« Pourquoi ne partirions-nous pas ? demanda-t-il doucement. C’est vrai : finissez donc de me torturer et enfuyons-nous par cette fenêtre. Nous ne nous ferons pas mal à l’atterrissage puisque nous sommes au rez-de-chaussée. »
Le clair de lune tombait en oblique sur le carrelage désinfecté de la salle. Si l’on regardait très attentivement au travers, on pouvait y distinguer de petites particules de poussière, qui dansaient dans ce rayon d’argent comme un millier de fées microscopiques. La fenêtre était entrouverte (oubli d’une infirmière ou hasard heureux, peu importait). Et le regard de Peter semblait dire à Wendy : « Souviens-toi, il y a longtemps, souviens-toi de la fenêtre ouverte ! ». Il s’attendait à ce qu’elle se lève mécaniquement pour aller la refermer. Il aurait aimé qu’elle ne le fasse pas, mais il ne connaissait plus cette personne digne, et ses réactions lui semblaient dictées uniquement par la raison. Alors peut-être… s’il l’aidait un peu…
« Nul besoin de poussière de fée, cette fois. »
Et sa voix n’était qu’un murmure qui semblait venir de très loin, et ses yeux projetaient des ombres du passé dans la salle blanche, pauvres hologrammes souriant jetés aux oubliettes. Il n’avait pas oublié, lui. La chambre des petits Darling, le tiroir de la commode où il était resté enfermé, Clochette, Pan, Wendy. En était-elle venue à s’oublier elle-même ?
« Wendy… »
Il s’arrêta, comme hésitant, le ton de sa voix n’était plus celui de l’inconnu poli. Il ne savait pas pourquoi il s’apprêtait à parler du passé avec la jeune femme. Il aurait pu faire semblant, encore. Mais il venait de se souvenir de la signification grecque du mot « hypocrite », et elle ne lui plaisait pas beaucoup.
« Tu me connais depuis un siècle, mais je ne t’en veux pas de ne pas me reconnaitre… J’était pour ainsi dire invisible. Je ne veux pas te faire peur, dit-il en regardant anxieusement l’aiguille qu’elle tenait à la main (un mouvement de surprise et elle pourrait tout arracher !), mais la vérité… Ce n’est pas la première fois que tu me recouds, en fait. »
« Hypocrite » était le nom que l’on donnait aux acteurs de l’Antiquité. Cela signifie « sous le masque ». Peter n’était pas un acteur, il était metteur en scène, autrement dit, celui qui tire les ficelles. Dans l’ombre. Et l’ombre n’est pas un masque, elle est seulement un manteau rassurant. Les masques sont grimaçants et déforment le réel. Peu importe. Il retenait son souffle, guettant la réaction de la jeune femme. Et si elle le frappait ? Ne sois pas idiot ! Et tais-toi, toi, voix dans ma tête ! Non, je suis là j’y reste. Et si elle criait ? Ou pire : si elle ne disait rien du tout ?... Bon, tu ne dis plus rien, toi ? Non, je ne sais pas quoi dire. C’est ainsi que le narrateur de ses pensées resta bredouille, l’esprit mâchonnait nerveusement des idées dont il fit de la bouillie. Peter n’en pouvait plus : il fallait qu’il se passe quelque chose. Il devait faire quelque chose. Doucement mais avec quelque chose de fébrile dans le geste, il prit la main de Wendy, celle qui tenait l’aiguille, et lui fit reposer le poignet contre la tablette de fer blanc.
« S’il te plait, fais une pause, juste une minute, c’est insupportable. »
Il lui lâcha la main et se renfonça dans son siège en arborant une mine un peu plus détendue. Il n’avait plus le courage de trouver le mot pour rire. Les mots tournaient dans sa tête comme un millier de feuillets gribouillés semés au vent. Il priait intérieurement n’importe quelle entité abstraite de l’empêcher de s’évanouir (quel triste spectacle n’aurait-il pas offert !), mais il n’aurait pas dit non à une tasse de chocolat chaud et… Le chocolat c’était Daphné, toujours. Le réconfort en général. Il voulait se débarrasser d’elle, l’abandonner au bord de la route et partir sans se retourner. La laisser à la merci des bêtes sauvages. Il sentait qu’il avait réellement besoin d’une gifle, de quelque chose qui le ramène à la réalité. Il y avait ce je ne sais quoi d’hermétique dans cette pièce, d’étouffant, qui allait finit par lui causer une crise de claustrophobie. Comme le tiroir de la commode…
« Wendy, il faut partir. Je veux… C’est vital, tu comprends ? »
Il posait sur elle un regard d’effroi. Besoin d’air. Il ne savait pas si une ombre pouvait avoir une enfance, mais à cet instant il se sentit comme il avait été il y a si longtemps… Perdu et effrayé. En colère aussi. Révolté. Mais c’était l’angoisse qui prenait le dessus sur le reste. Il s’accrocha au regard de Wendy, espérant y trouver quelque chose d’autre que cette froide politesse. Il fallait qu’elle comprenne à quel point il voulait s’en aller. Peter n’avait pas l’habitude de se contraindre à demeurer là où il se sentait mal. Pourtant Wendy le tenait assis là et il ne pouvait pas exactement partir sans son accord. Mais parle vite, par pitié ! Dehors tout irait mieux. Il regardait la fenêtre, à présent. L’air frais du soir l’appelait. Il demeura absolument figé, ne voulant pas faire de mouvement brusque qui aurait pu faire peur à la jeune infirmière. Il ne voulait pas qu’elle le déclare en proie à la folie furieuse et le fasse attacher à un de ces lits aux barreaux de fer. Il était libre à présent, mais quelque chose lui disait, qu’au fond, Wendy serait toujours celle qui aurait le pouvoir de l’emprisonner. Et pour cela il serait prêt à la voir morte à ses pieds. C’est pourquoi tout en lui semblait crier sans mot à la jeune femme « Laisse-moi m’en aller ! ». Le temps lui paru infini jusqu’à ce qu’elle ouvre la bouche. Il eut le temps de se voir dix-mille fois courir à la fenêtre et disparaître dans la nuit.
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MessageSujet: Re: 22h29 ✭ Wendy 22h29 ✭ Wendy EmptyJeu 8 Nov - 2:41

« J’ai mis un coup de poing dans un miroir. ». Wendy jeta un bref regard à Peter, s’attendant à recevoir la suite de l’histoire, mais il ne dit rien d’autre à ce propos. Il se contenta de répondre à sa question de manière concise et directe, écartant toutes explications, semant doutes et questions troubles dans son esprit. Qu’est-ce qui l’avait mis dans un état tel qu’il en était venu à se blesser lui-même ? Pourquoi avoir inventé tous ces mensonges, pourquoi avoir brodé son récit de héros et de chutes ridicules pour couvrir cette blessure ? Ne pouvait-il supporter la vérité ? Peut-être que les histoires qu’il racontait aux autres étaient sa carapace. A l’égal de Wendy avec son attitude froide et détachée, s’inventer un monde lui permettait peut-être de décrocher de ses problèmes, l’espace de quelques minutes durant. Elle ne pouvait que supposer et imaginer des théories, puisqu’il ne semblait pas vouloir lui dire un mot de plus à ce sujet. Il possédait la retenue qu’elle aurait aimé avoir ; savoir s’arrêter dans ses confidences au moment propice. En dire, mais pas trop. Elle, lorsqu’elle commençait, elle avait tendance à ne plus s’arrêter. Elle disait ce qui lui passait par la tête, sans rien retenir, comme si le filtre à paroles que les autres détenaient lui faisait défaut ou était endommagé, brisé en même temps que son esprit par son mariage défaillant. Tout comme lorsqu’elle avait revu… Non, elle se refusait d’y songer. Et pourtant, il était trop tard. Il était là, ce léger sourire, aux coins de ses lèvres, dont le sens en serait insaisissable pour les autres. Mystérieux pour le reste du monde, inévitable pour elle. « Votre horloge a rendu l’âme ». Wendy releva les yeux, une nouvelle fois encore, et se détourna de son travail pour porter son regard sur la dîtes horloge. « Ah, en effet. ». Les aiguilles, maigres symboles du caractère éphémère de la vie, s’étaient effectivement arrêtées. Le compte à rebours qui, à son tout dernier écho, mènerait à la mort, avait cessé. Une trêve dans le temps, un court moment de répit, une illusion destinée à les rassurer, qui ne réussissait pas à la tromper. Aucun d’eux ne serait épargné. « Dans cet hôpital, rendre l’âme est plutôt chose courante… ». Murmure sombre, empreint d’un pessimisme qui traduisait parfaitement ce qu’elle ressentait, à cet instant. Elle détestait le réel, oui, elle haïssait la réalité cruelle dans laquelle elle vivait actuellement, elle ne supportait plus toute cette absurdité dans laquelle elle baignait, pieds et poings liés. Il lui semblait que tout ce qu’elle faisait était voué à l’échec. Un échec cuisant et permanent, qui persistait à vouloir lui détruire sa vie. C’était ça, en fait ; elle n’arrivait plus à vivre correctement. Elle ne parvenait plus à trouver de sens à son existence. Elle savait que, peu importe ce qu’elle ferait, cela serait destiné à n’avoir aucun impact, aucun retentissement. Ce serait juste une pierre de plus jetée à la mer, dont les ronds parfaits froissant la surface aqueuse troubleraient les plus proches nageurs, avant de disparaître dans l’oubli. Alors… Pourquoi encore même essayer d’exister ?

« Pourquoi ne partirions-nous pas ? demanda-t-il doucement. C’est vrai : finissez donc de me torturer et enfuyons-nous par cette fenêtre. Nous ne nous ferons pas mal à l’atterrissage puisque nous sommes au rez-de-chaussée. ». Wendy releva le menton de son ouvrage et plongea ses yeux clairs dans le regard sombre de Peter, se noyant dans ses deux abîmes d’obsidienne. Pourquoi ne le ferait-elle pas, oui ? Elle tourna la tête et un léger sourire effleura ses lèvres, alors qu’elle contemplait cette obscurité profonde, uniquement troublée par ce bel astre lunaire d’un blanc laiteux. Comme il serait simple de bousculer sa vie, de renverser toutes ces choses insignifiantes auxquelles elles s’agrippaient sans raison, de casser ses codes de bonne aristocrate. Il lui suffirait de saisir la main de cet inconnu et de le laisser mener la danse. Non, leur atterrissage ne ferait pas mal, mais la chute de cette histoire rêvée causerait bien plus de douleurs. Elle secoua presque imperceptiblement le visage, clignant plusieurs fois des paupières, comme si elle venait de s’éveiller, tirée brutalement d’un merveilleux songe par la sonnerie stridente du réveil. S’enfuir par une fenêtre lui avait déjà causé beaucoup d’ennuis, par le passé, beaucoup de souffrance. Elle avait goûté du bout des lèvres à un bonheur inaccessible, elle l’avait touché de son ongle, pour ensuite être replongée dans ce monde aux contours durs et mauvais, arrachée de son petit nuage avec trop de brutalité pour qu’elle n’en souffre pas. Par ailleurs, Peter semblait connaître les détails de cette histoire. Il avait dit les mots exacts, ceux qui avaient éveillés en elle de vieux souvenirs. Elle n’y avait pas fait attention de suite, ces paroles éclipsés par sa proposition alléchante et sa petite plaisanterie, mais… « Nul besoin de poussière de fée, cette fois. ». Wendy se figea, comme les aiguilles de l’horloge un peu plus tôt. Elle arrêtât tout mouvement, retenant jusqu’à son souffle, pour ne pas faire vaciller et éteindre complètement ce murmure qui recelait un secret inavouable. Ce soupir, cette phrase, qu’un simple patient n’aurait jamais dû prononcer. Elle n’osait pas même relever les yeux vers lui, gardant son regard obstinément arrêté sur les fils qui pénétraient peau et chair. Comment pouvait-il savoir… Non, il ne le pouvait pas. Il s’appelait Peter, mais… Elle avait déjà revu Peter Pan, un peu plus tôt. C’était impossible qu’il y en ait un autre, car… Pourquoi donc, au juste ? « Wendy… ». Cette fois, elle releva brusquement la tête, fouillant sa mémoire pour retrouver à quel moment elle lui avait donné son prénom. Le problème était qu’elle ne l’avait pas fait. A aucun moment elle ne lui avait dit s’appeler ainsi et ce nom était loin de courir les rues. Un entrelacs de peur et de méfiance s’insinua sous son épiderme frissonnant, soufflant à son cœur un sentiment de confusion et insufflant dans son crâne des pensées d’insécurité. Elle voulut lui demander comment il pouvait savoir, comment il avait trouvé ces renseignements sur elle et son passé, mais les mots s’étranglèrent dans sa gorge, lui laissant un goût amer de non-dits et d’interrogations non résolues sur la langue, lui brûlant les lèvres de nouvelles questions.

« Tu me connais depuis un siècle, mais je ne t’en veux pas de ne pas me reconnaitre… J’était pour ainsi dire invisible. Je ne veux pas te faire peur, mais la vérité… Ce n’est pas la première fois que tu me recouds, en fait. ». C’était trop. Lorsqu’il avait repris la parole, elle avait pensé qu’il s’agissait peut-être d’une personne de son passé, qui venait comme elle d’un conte, mais elle en était sûre, à présent. Et elle savait qui se tenait face à elle. L’Ombre de Peter Pan, que ses fins doigts souples et habiles avaient recousu à son propriétaire, dans sa petite chambre d’enfants qu’elle partageait avec ses frères, il y longtemps de cela maintenant. Elle ne lui avait jamais parlé, jamais vraiment considéré comme une personne à part, elle devait se l’avouer ; elle n’avait pas songé un instant qu’une silhouette sombre s’allongeant sur un mur puisse être dotée de parole et… qu’elle vive, tout simplement. Bien sûr, son ombre s’était montrée mesquine et peu encline à être attachée de nouveau à Peter, mais… C’était vraiment trop. Elle n’avait pas songé qu’il puisse y avoir d’autres personnes qui soient présentes et surtout pas… Wendy déglutit difficilement et songea qu’à chaque fois que l’action arrivait dans sa vie, elle ne s’y attendait guère. Elle vivait des aventures, s’échappait de son existence morne et répétitive, puis retombait sur terre, les ailes coupées, les jambes brisées, avec de nouveau le sentiment d’être prisonnière d’un rôle, de ne pouvoir s’échapper. Alors, non, elle ne voulait plus laisser qui que ce soit la manipuler, de cette façon. Elle ne voulait pas que ce Peter-ci vienne chambouler son quotidien, il n’en avait pas le droit et… Elle fronça les sourcils, alors qu’elle braquait son regard sur l’aiguille qu’elle tenait entre ses doigts. Sa main tremblait, juste au-dessus de la blessure, mais elle devait continuer à coudre. Peut-être que si elle le soignait, il s’envolerait hors de cette pièce, sans faire plus de vagues. Elle ne voulait plus souffrir, ni s’ennuyer, ni ressentir ce sentiment d’étouffement. Elle ne savait pas vraiment ce qu’elle voulait, en réalité. Elle était paumée. Elle pensait avoir réussi à s’adapter, mais elle n’avait jamais fait que se leurrer. Fermer les yeux et avancer à l’aveuglette, en se convainquant que c’était là la meilleure des solutions.

Ses dents s’enfoncèrent dans sa lèvre inférieure et elle baissa un peu plus la tête, espérant que ses mèches réussissent à dissimuler ses yeux brillants de larmes contenues. Elle approcha l’aiguille de la blessure et essaya d’empêcher ses doigts de trembloter de cette façon. Sans succès. Toutefois, elle devait le faire. Comme si elle n’avait rien entendu, comme si rien ne s’était passé. « S’il te plait, fais une pause, juste une minute, c’est insupportable. ». Son cœur bondit dans sa poitrine, lorsqu’elle sentit les doigts chauds de Peter se presser contre sa peau glacée, pour qu’elle baisse la main. Il était bel et bien devant elle, réel, fait de chair et d’os. Non plus de ce noir insaisissable, vaporeux, qui se faufilait entre vos doigts et qui se devait d’échapper à la lueur du soleil pour continuer d’exister, mais de cette chaleur humaine, de ces muscles durs et de ce cœur battant. Elle releva les yeux vers lui et hocha la tête mécaniquement, encore sous le choc. Elle le vit alors s’enfoncer dans son siège, avant de reprendre : « Wendy, il faut partir. Je veux… C’est vital, tu comprends ? ». Il lui lança un regard presque désespéré et elle aurait aimé l’aider, mais… Fuyant ses yeux sombres, elle se leva et se dirigea vers la fenêtre d’un pas vif. Oui, elle ne comprenait que trop bien. Elle aussi, elle devait partir. Sinon, elle allait craquer et se flinguer. Elle en avait besoin, ce n’était plus une simple envie. Elle inspira profondément, l’air froid de cette nuit de velours embrasant sa gorge et ses poumons au même moyen qu’un feu de glace. Cela la ramena dans cette petite pièce désinfectée aux reflets de métal et aux murs trop étroits, trop blancs. Et dans cette minuscule salle, il y avait Peter. Elle inspira une longue bouffée d’air et fit basculer sa tête en arrière, laissant quelques larmes s’échapper. « Oui, je comprends. ». Sa voix tremblait légèrement. Elle déglutit, une nouvelle fois, et essuya ses joues humides avec le revers de sa blouse, avant de se retourner vers lui, plantant son regard dans le sien. « Moi aussi, j’étouffe. ». Elle s’approcha doucement de lui, mesurant ses pas, ne le quittant pas des yeux. « Je n’en reviens pas que tu sois ici… », murmura-t-elle. Elle s’arrêtât à moins d’un mètre de lui et lui avoua : « J’ai peur que ce soit encore… le bordel, dans ma vie, comme avant. Mais, j’ai besoin de partir. ». Elle se rassit sur la petite chaise en plastique et observa la main abîmée de Peter. Les points de suture étaient terminés, il fallait maintenant qu’elle coupe le fil et qu’elle lui fasse un bandage… après quoi, il serait enfin libre. Car, elle comprenait que cela devait être terrible de rester assis, sur cette chaise, là, sans bouger, à revivre un traumatisme passé. Elle comprenait, à présent, d’où venait sa phobie des aiguilles. Il n’avait sans doute pas réfléchi, lorsqu’il avait frappé dans ce miroir. « Est-ce que ça t’a soulagé ? Je veux dire, de cogner ton reflet… de le frapper, de le briser. Ça t’a fait du bien ? ». La question s’était extirpée d’entre ses lèvres entrouvertes, avant qu’elle ne puisse l’empêcher de s’échapper. Elle secoua la tête, pour se reprendre et ancra son regard au sien, avant de reprendre avec plus d’assurance : « J’ai quelque chose à te proposer, Peter. Je fais ton bandage, puis on sort. On part, tous les deux, et on ne se retourne pas. ». Jamais. Ainsi, elle ne souffrirait plus.

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MessageSujet: Re: 22h29 ✭ Wendy 22h29 ✭ Wendy EmptyDim 25 Nov - 1:18

Peter était un grand cynique, oui, un pessimiste de première. Il émit un petit rire et hocha la tête lorsque la jeune femme déclara qu’il était chose courante de rendre l’âme en ces lieux. Et malgré cela, il ne pouvait pas s’empêcher de penser que la désillusion allait fort mal à Wendy. Comment pouvait-elle avoir changé radicalement en si peu de temps ? Etait-ce l’hôpital, le fait de côtoyer la mort chaque jour qui l’avait rendue ainsi ? Quoi ! Est-ce que cet hadès de blancheur avait pu lui maculer l’âme d’autant de noir ? Et pourquoi, pourquoi, par-dessus tout, est-ce que lui en avait quelque chose à faire de l’âme de Wendy Darling ? Comment se faisait-il qu’il sente au fond une gêne et un peu de dépit de se confronter à cette charmante créature désenchantée ? Il se jeta à l’eau et lui proposa de partir. La fuite a quelque chose de jouissif. Ce n’est pas un truc de héros mais, pour qui peut supporter de se regarder en face en étant convaincu qu’il n’a rien d’héroïque, la fuite est un merveilleux et délectable aphrodisiaque. Peter en avait fait l’expérience à maintes reprises lorsqu’il était encore une ombre. Echapper à ses devoirs, aux circonstances, aux évidences. Hurler : « Je m’en vais » à la figure de la Destinée, la regarder ouvrir ses grands yeux globuleux en signe d’indignation. Peter se demanda si Wendy était capable d’insubordination, d’impertinence, il se demanda s’il lui arrivait de hurler quelque chose au visage de qui que ce soit. Perdu dans ses pensées, le jeune homme tressaillit lorsque le tabouret de la jeune femme crissa contre le carrelage. Elle s’éloigna à grands pas. Elle allait sans doute fermer la fenêtre, condamner tant d’espoirs à rester dehors. Pourtant, elle regarda à l’extérieur, son pâle regard bleuté au cœur des ténèbres. Elle se tint debout, la tête rejetée en arrière, quelque chose de scintillant accroché au bord de ses cils baissés. Peter secoua imperceptiblement la tête. C’était toujours l’effet qu’il faisait aux femmes. Des larmes. En fait, l’autre les martyrisait bien, les accablait de ses « je t’aime » asphyxiants auxquels elles répondaient, pleines d’espoir, en souriant. Et quand l’autre partait pour de bon et que Peter débarquait après la bataille, elles se laissaient aller et… Il recueillait les pétales liquides des fleurs que Pan avait fanées.

« Moi aussi, j’étouffe », avoua-t-elle d’une voix sans timbre avant de retourner auprès du jeune homme. Elle le regardait avec incrédulité, comme si elle doutait de ses propres yeux. Il n’estimait pas avoir la tête d’un fantôme, mais il pouvait comprendre que ce soit surprenant qu’une ombre ait pris forme humaine. Elle s’assit. Elle avait l’air de bouger au ralenti. Il voulait la saisir par les épaules et la secouer. Vite, vite ! Il pourrait crier. Il serra les dents. Enfin elle déclara qu’elle voulait partir, elle aussi. Peter ne dit rien, resta de marbre. Tant qu’elle ne se levait pas pour s’en aller, il ne la croirait pas sur parole. Et il fallait qu’il soit sage, qu’elle lui fasse confiance, qu’il ne l’effraie pas. Mais la question qu’elle lui posa ensuite lui fit lever sur elle un regard méfiant. Quoi ? Elle cherchait à faire sa psychanalyse, maintenant ? Quelle petite chipie hautaine ! Elle pensait qu’en un battement de cils elle pourrait l’avoir amadoué, l’avoir apprivoisé, l’avoir compris ? Mais tu ne comprends rien, petite Wendy, rien. Sinon tu n’en serais pas là, n’est-ce pas ? Peter réprima son agacement. Il regarda par terre, par-dessus le bras en plastique de son fauteuil.
« Ce n’est pas mon reflet que j’ai frappé. C’est elle. Cette odieuse petite chose sans personnalité. »
Il regardait son ombre, sur le sol, qui était toute écrabouillée par la lumière blanche qui le surplombait. Ayant conscience que, même pour un ancien personnage de conte, une réaction aussi extrême pouvait sembler bizarre, et une telle aversion pour son ombre passer pour un signe de maladie psychique, il releva la tête vers Wendy, sourire aux lèvres, et au fond des yeux cette flamme d’autodérision qui y siégeait en obscure maîtresse.
« Je l’ai accusée de me faire paraître plus gros que je ne le suis. Cela m’a fait beaucoup de bien, je me suis senti plus léger d’un coup. »
Il savait que ça ne prendrait pas, que Wendy lisait très bien entre les mots et voyait derrière l’ironie. Mais il s’en foutait. Le principal, c’était de sortir d’ici. C’était qu’elle ne lui pose pas de question. C’était, enfin, de lui faire ravaler son petit air supérieur, et lui interdire implicitement de chercher à le comprendre. Il n’avait pas besoin qu’on le comprenne. Il avait besoin qu’on le croit. La jeune femme regardait sa main qu’elle venait de recoudre. Avec appréhension, Peter retint son souffle en se demandant qu’elle affreuse torture elle allait encore vouloir lui infliger. Qu’est-ce que ça allait être ? De l’alcool ? Une aiguille plus épaisse ? Un… un « bandage » ? Il regarda Wendy avec une telle impression de soulagement que l’espace d’un instant il crut qu’il allait la prendre dans ses bras.
« Merveilleuse proposition, s’empressa-t-il de répondre par crainte qu’elle ne change soudainement d’avis, fais donc, je t’en prie ! Et après, nous partons. »
Il la regarda faire le bandage en restant bien tranquille, mais sa nervosité était palpable. Il se mordillait la lèvre inférieure en signe d’impatience. Enfin, elle en eût fini et il récupéra sa main avec au fond du cœur un élan de profonde satisfaction et de reconnaissance, finalement, envers sa guérisseuse.
« C’est tout à fait ravissant, je suis sûr que tu as dû obtenir le trophée des plus jolis bandages, dit-il d’un ton souriant pour l’inciter à ne surtout pas vouloir peaufiner. A présent, allons-y ! »
Il se leva d’un bond, comme un diable monté sur ressort jaillit de sa boîte. Du coin de l’œil, il crut voir son ombre ricaner en constatant qu’elle était beaucoup plus grande que celle de Wendy, mais il n’essaya pas de la gronder de son manque de galanterie, de peur de passer encore pour un fou. En trois enjambées il était à la fenêtre. La lumière de la salle projetait un halo blanc indécis sur le sol humide du dehors. Sa circonférence était absolument ridicule par rapport à l’immensité de la nuit. Il ouvrit la fenêtre en grand et sauta par-dessus le rebord en souplesse, sans bruit. Il se tourna vers Wendy, dont la fine silhouette se découpait à contre-jour sur le fond immaculé de la salle d’hôpital. Ses cheveux blonds formaient une auréole délicate autour de son visage déjà plein de pénombre. Il la trouva profondément jolie, avec sa bouche en flou artistique et ses yeux dont on ne distinguait que l’éclat des larmes trépassées. Il lui tendit la main, pour l’aider à sortir plus facilement.
« Viens, dit-il doucement pour ne pas troubler le repos de l’obscurité mais avec une chaude fermeté qui était bien à lui. Personne ne se préoccupe de te voir jouer un rôle, ici. Dans la nuit, peu importe le nombre de faux pas que tu fais, personne ne les guette ni ne les compte. Viens, je te rattrape. »
Il recula d’un pas pour lui laisser la place de descendre, et déjà il entrait à moitié dans la brume soyeuse de la nuit. Les trente premiers mètres qu’ils firent, il ne s’en souvint jamais. Ils marchaient d’un bon pas et sortirent de l’enceinte de l’hôpital comme des voleurs. Une fois dehors, il tourna la tête vers la jeune femme. Il ralentit le pas mais n’arrêta pas de marcher. Wendy avait dit qu’elle ne voulait pas s’arrêter. Il regarda le très fin nuage de vapeur qui s’échappait de ses lèvres entrouvertes, s’empêcha d’y trouver quoique ce soit de sensuel, songeant plutôt qu’elle risquait d’avoir froid. Il n’avait pas de veste, il avait la nuit pour lui tenir chaud.
« De deux choses l’une : soit on cambriole un magasin de vêtements pour te trouver un pull, soit on arrache sa veste à un passant, mais alors ce sera à toi de te battre parce que j’ai mis tout ce que j’avais dans un crochet du droit pour mon ombre. Choisis une fille, les filles ne savent pas se battre. »
Il lui lança un regard de provocation taquine à travers l’encre de la nuit. Juste pour voir si elle était capable d’insubordination, d’impertinence, ou encore, s’il lui arrivait de hurler quelque chose au visage de quelqu’un. Il se mit à rire avec enthousiasme, puis regarda de nouveau devant eux. C’était quelque part, là-bas, là où le monde n’avait pas de limite et le temps pas d’emprise. Jamais. Là-bas, ils ne souffriraient plus.


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MessageSujet: Re: 22h29 ✭ Wendy 22h29 ✭ Wendy EmptyLun 24 Déc - 1:27

Lorsqu’elle lui demanda la raison de son geste coléreux envers le miroir, Wendy crut percevoir un changement d’humeur subtil qu’elle ne comprit pas vraiment, comme s’il se repliait sur lui-même, comme s’il s’habillait de nouveau de cette carapace qu’il devait porter habituellement. Il s’était laissé aller aux confidences, quelques minutes durant, mais il endossait finalement de nouveau son masque. Un masque d’homme fier, protégé par le sarcasme et l’indifférence. Un masque que beaucoup de gens portait, en somme. Dans ce monde ci, comme dans celui dans lequel elle vivait jadis. Elle-même l’avait déjà glissé sur son visage un nombre incalculable de fois et elle pouvait affirmer qu’en le portant, elle s’était sentie beaucoup plus à l’abri des dangers potentiels de la vie. Pourtant, ce n’était pas grand-chose, juste une personnalité en toc, qui pouvait se fendre au moindre choc violent. Cela ne donnait qu’une illusion d’un sentiment de sécurité, ce n’était qu’une pâle ombre d’impression de sureté. Par ailleurs, Peter fixait la sienne, d’ombre. « Ce n’est pas mon reflet que j’ai frappé. C’est elle. Cette odieuse petite chose sans personnalité. ». Wendy préféra ne pas relever. Elle aurait pu lui faire la remarque qu’il avait lui-même été une de ces choses sombres et insaisissables, qui se glissait dans les recoins obscurs et qui se faufilait avec agilité sur les murs, mais elle n’avait pas envie d’en rajouter. Il devait en avoir pleinement conscience. Et si c’était le cas, elle souhaitait avec naïveté que non, c’est qu’il possédait une bien piètre opinion de sa personne. Il releva finalement les yeux et ajouta, comme pour lui faire oublier ses mots précédents : « Je l’ai accusée de me faire paraître plus gros que je ne le suis. Cela m’a fait beaucoup de bien, je me suis senti plus léger d’un coup. ». Elle lui adressa un sourire un peu éteint, sans quitter du regard les deux pierres sombres qui semblaient lui lancer un défi silencieux. Bien entendu. C’était tellement moins ardu de tourner en dérision toutes choses sérieuses. Cela enlevait le caractère grave de la chose. L’humour comme bouclier, oui. Cela n’aurait pas dû l’étonner. Depuis qu’il avait franchi les portes de cette salle exiguë, il ne cessait de monter de toutes pièces de belles histoires, de se draper dans un sarcasme qui lui collait au corps, à présent, comme une seconde peau. Et dire que certaines personnes la qualifiaient, elle, de cynique. Ces gens-là n’avaient jamais dû rencontrer Peter.

Incapable de supporter plus longtemps l’onyx noir de ses prunelles sans faillir, elle baissa la tête, fermant brièvement ses paupières, avant de reporter son attention sur le membre blessé du jeune homme. Les points de suture se dessinaient nettement sur la paume de sa main, le fil barrant comme une cicatrice prématurée la peau fine. Il ne perdrait pas l’usage de sa main, il était venu à temps. Oui, « à temps » pour elle aussi. Elle voulait partir avec lui, s’enfuir de son quotidien, avant qu’il ne réussisse à la tuer pour de bon. Les mots sortirent alors d’entre ses lèvres, sans qu’elle ne songe à y réfléchir un peu plus, formant cette proposition qui la faisait déjà frissonner d’anticipation. Chose à laquelle il répondit aussitôt : « Merveilleuse proposition, fais donc, je t’en prie ! Et après, nous partons. ». Sa dernière phrase résonna dans la pièce en un écho empli de promesses. Et elle sentait ce fourmillement électrique dans sa tête, comme si toutes ses pensées avaient décidé de s’agiter en même temps, comme si elles pressentaient elles aussi que Wendy n’allait pas tarder à vivre une nouvelle aventure. Ce qui ne lui était pas arrivé depuis bien longtemps. Trop longtemps, peut-être.

Elle secoua discrètement la tête et s’empara d’une bande de gaze, pour entreprendre le bandage de Peter. Elle releva avec douceur sa main et l’enroula dans le tissu blanc, avec précaution, pour éviter de raviver une douleur récente. Elle finit rapidement de penser la blessure refermée, mais elle n’eut pas le temps de dire quoi que ce soit ; Peter se levait déjà, avec l’agitation et l’empressement d’un homme en retard à son rendez-vous avec le Diable. « C’est tout à fait ravissant, je suis sûr que tu as dû obtenir le trophée des plus jolis bandages. A présent, allons-y ! ». Quel vil flatteur, cherchant à s’échapper de la torture de la couture, qui avait pourtant été nécessaire pour recoudre sa jolie main. Un sourire lui échappa, l’espace de quelques secondes, qui s’éteignit rapidement, lorsqu’elle le vit arriver à la fenêtre. Tout se passait si rapidement… était-elle vraiment préparée à un nouveau voyage ? Vraiment prête à se confronter, de nouveau, à l’inconnu ? La réponse s’imposa d’elle-même. Elle n’avait pas le choix, il le fallait, c’était sa seule échappatoire. Alors, presque inconsciemment, ses pieds la menèrent lentement vers la fenêtre, marchant dans les pas de Peter, suivant celui en qui elle plaçait une brusque et soudaine confiance. Elle le vit ouvrir largement les deux pans de bois à la peinture craquelée de la fenêtre puis, sans un regard en arrière, il enjamba le petit rebord et bondit. La nuit l’engloutit aussitôt, l’accueillant dans ses ténèbres avec une facilité déconcertante. Elle s’approcha encore, déboutonnant sa blouse blanche d’infirmière, au fil de ses pas et elle finit par la faire glisser sur ses épaules. Le léger bruissement qu’elle fit à sa rencontre avec le carrelage froid de la salle lui fit penser à la peau d’un serpent tombant après la mue. Elle se débarrassait de ce qui l’encombrait, elle voulait que sa vie prenne un nouveau tournant, elle désirait recommencer. Elle se défaisait de ses obligations, de son masque de froideur clinique et des étiquettes pesantes qui avaient réussi à écraser celle qu’elle était réellement. Elle voulait redevenir Wendy. Non pas celle qui instaurait des distances respectables entre elle et les autres et qui réfléchissait toujours à ce qu’elle pouvait dire ou ne pas dire, mais celle qui était impulsive, celle qui faisait ce qui lui passait par la tête, celle qui était vivante. Et heureuse.

Elle tourna la tête et laissa son regard vagabonder, un instant, derrière elle. Les murs blancs semblaient se rapprocher inexorablement, prêts à l’étouffer. Elle fronça les sourcils et reporta son attention face à elle. Dehors, la nuit s’étalait, infinie et d’une beauté sombre qu’elle ne pouvait nier. La lune, nébuleuse et pâle, éclatait dans ce ciel d’encre comme une tâche immaculée sur une précieuse étoffe noire. Et cette obscurité ne lui avait jamais paru aussi désirable. « Viens. Personne ne se préoccupe de te voir jouer un rôle, ici. Dans la nuit, peu importe le nombre de faux pas que tu fais, personne ne les guette ni ne les compte. Viens, je te rattrape. ». Elle abaissa son regard troublé vers Peter et le dévisagea, quelques instants. Il paraissait avoir retiré son armure de cynisme. Il lui tendait la main, un air presque serein sur les traits et elle savait qu’elle pouvait le croire. Il était là pour la rattraper et peu importe la manière dont elle se conduirait, il n’en tiendrait pas rigueur. Le naturel lui allait divinement bien, il devrait l’être plus souvent. Alors, elle décida de le croire.

Elle s’assit sur le rebord de la fenêtre et fit basculer ses jambes de l’autre côté, dans le vide. Puis, elle saisit la main tendue de Peter et se laissa glisser au bas de l’ouverture. Elle vacilla quelques instants et posa sa main sur l’épaule du jeune homme pour ne pas tomber, lorsqu’elle toucha la terre ferme. Elle releva les yeux vers lui et lui adressa un sourire de remerciement, puis, presque aussitôt, ils se mirent à marcher tous deux vers la sortie. Ils traversèrent rapidement le parc et finirent par sortir de l’enceinte de ce lieu gangrené par la maladie et la mort. Alors, seulement, Wendy s’autorisa à ralentir le pas, le regard fixement braqué devant elle. Bon sang, que venait-elle de faire ? Est-ce qu’elle venait de s’enfuir comme une voleuse, au bras d’un quasi-inconnu ? Oui, il lui semblait bien que c’était ce qu’elle venait de faire. A ce constat, son cœur se mit à battre un peu plus vite, à cogner avec plus de férocité contre sa poitrine, si bien qu’elle pensa que Peter allait l’entendre. Alors, c’était ce goût-là qu’avait la liberté ? C’était cela qu’on ressentait, lorsqu’on décidait d’outrepasser les règles de bienséance et d’établir notre propre code de vie ?

« De deux choses l’une : soit on cambriole un magasin de vêtements pour te trouver un pull, soit on arrache sa veste à un passant, mais alors ce sera à toi de te battre parce que j’ai mis tout ce que j’avais dans un crochet du droit pour mon ombre. Choisis une fille, les filles ne savent pas se battre. ». Un rire lui échappa immédiatement et elle tourna la tête vers Peter. Il lui lança un regard amusé et partit dans un grand rire, lui aussi. Elle aimait bien son rire. Elle sourit, alors, et finit par répondre, d’un ton faussement sérieux : « Oh, dans ce cas aussi, je vais devoir attaquer par derrière, sinon je n’ai aucune chance ! Comme tu l’as si bien fait remarquer, je suis une fille et je ne fais pas exception à la règle ; je ne sais pas me battre. ». Elle leva ses mains à hauteur de son visage et les ferma, agitant à présent ses poings devant elle, les tournant et les considérant d’un regard sceptique. « Mes poings sont trop petits pour faire mal à qui que ce soit, j’en ai bien peur. ». Elle eut un petit rire, encore une fois, et elle se fit la réflexion que cela faisait du bien. Oui, elle n’avait pas rigolé ainsi depuis fort longtemps. Elle avait même pensé, durant un temps, qu’elle avait oublié. Elle ramena ses mains le longs de ses flancs et finit par hausser les épaules, toujours cette ébauche de sourire insaisissable aux commissures de ses lèvres : « Pour ce qui est du cambriolage… Je crois que je peux nous éviter de passer par la case prison, si tu le veux bien. Bien que je n’ai pas spécialement froid… ». Oui, la liberté lui tenait chaud et l’enveloppait comme un manteau douillet. « … j’habite à cinq minutes d’ici, alors… Si tu veux me tenir compagnie chez moi ou juste m’accompagner chercher de quoi me tenir au chaud… ». Elle laissa sa phrase en suspens, le dévisageant du coin de l’œil, attendant sa réponse. Puis, elle finit par secouer la tête et elle se mordit distraitement la lèvre, alors qu’un murmure lui échappait : « Je ne sais pas ce que je suis en train de faire, mais c’est drôlement bon. On ne m’avait jamais dit que la fuite était aussi agréable… ». Elle soupira et, de nouveau, un petit rire inconscient se faufila entre ses lèvres entrouvertes. Dieu que c’était bon de se sentir en vie.


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MessageSujet: Re: 22h29 ✭ Wendy 22h29 ✭ Wendy EmptyMar 8 Jan - 1:28

C’était une sonnette d’alarme dans sa tête : « Qu’est-ce que tu fais ? Hého, qu’est-ce que tu fais, Peter ? ». Il avait besoin d’électrochocs, maintenant. Tout de suite, parce qu’il serrait dans sa main les doigts fins et délicat de Wendy, parce qu’elle posa sa main sur son épaule, et parce qu’il se vit l’entrainer dans les profondeurs de la nuit. Etait-elle folle ? Pourquoi le suivait-elle volontairement ? Est-ce qu’elle avait réellement cru à son manège ? Il n’est pas cette personne, pas ce gentleman légèrement dandy sur les bords avec un sourire cynique qui se veut cacher une âme riche. Il n’avait rien à offrir à personne si ce n’est un décors de théâtre et des marionnettes métaphoriques. La nuit creusait des fossettes sur le visage en cœur de Wendy. Elle avait un rire d’une beauté effrayante et d’une fragilité délectable. Elle plaisantait à propos du fait qu’elle ne savait pas se battre. Qu’elle était sans défense. Insensée ! Tais-toi ! Avait-elle seulement compris qui il était ? C’était elle qui l’avait traumatisé, qui avait participé à sa torture en captivité. Comment ne se doutait-elle pas qu’il la détestait ? Elle donnait une chance à quelqu’un qui ne s’en donnerait pas une à lui-même. Lui, au moins, il a conscience qu’il casse tout, de rage, d’effroi, de regret. Elle ne s’aperçoit de rien, continue d’avancer à côté de lui. Il accorde son pas au sien. C’est une question de politesse. Mais en quoi être poli l’empêcherait de lui vouloir du mal ?
« Je suis partisan des attaques par derrière, fit-il d’un ton cynique en ayant une telle maîtrise de son visage que c’était comme si son esprit en ébullition était parfaitement détaché de son corps. Je trouve qu’il vaut mieux être un traitre vivant qu’un honorable mort poignardé dans le dos ! Après tout, le mort ne peut plus rien faire de son vivant, tandis que le traitre a encore une chance de sauver le monde un de ces quatre… »
Bien sûr il plaisantait, c’était de la provocation facile qui faisait se dessiner un petit sourire de fausse mesquinerie au coin de ses lèvres. Il parlait par habitude, avec son badinage macabre ordinaire, et ne pensait pas du tout à ce qu’il disait. Tout était en mode automatique pour lui permettre de penser intérieurement et sans que Wendy ne puisse constater un changement dans son ton ou dans ses propos. Il se demanda pour quelle raison il souhaitait qu’elle prenne la fuite. Il n’allait pas la blesser, et certainement pas comme cela, pas physiquement. Il n’allait pas rendre coup pour coup, après tout. Il rejeta au fond de sa tête la question qui allait bientôt s’imposer à lui mais dont il retardait au maximum le moment : « A quoi bon ? ». Pourquoi poursuivre sans cesse ses connaissances du passé ? Pour les faire payer ? C’était sans fin. Quoique peut-être que si : peut-être que, quand il verrait Wendy définitivement irréparable et Pan fondamentalement détruit, peut-être qu’il ne sentirait plus ce poids sur sa poitrine qui l’empêchait d’inspirer à fond, qui posait un râle inaudible sur chaque bouffée d’air. Peut-être qu’une fois qu’il serait le seul survivant de son existence… peut-être qu’il en deviendrait enfin le héros.

« Si tu veux me tenir compagnie chez moi ou juste m’accompagner chercher de quoi me tenir chaud… ». Il tourna la tête vers elle, arquant un sourcil. Une poussée d’adrénaline lui avait asséné l’électrochoc nécessaire. L’accompagner chez elle ? Non, jamais, trop dangereux.
« D’accord. »
Il s’entendait répondre définitivement ce qu’il ne voulait pas dire. Sa bonne humeur retomba et il suivit la jeune femme jusqu’au bien connu pensionnat du Méli-Mélo House sans plus desserrer les dents. Il se contenta de lui adresser un petit sourire et un hochement de tête lorsqu’elle essaya de reprendre le fil de la conversation en lui avouant qu’elle trouvait cette fuite agréable. Il n’osait plus parler, ni vraiment la regarder, il devait réfléchir et ne pas faire de bêtise. Il se savait sauvage, au fond. Il ne fallait pas trop le pousser pour qu’il révèle son vrai visage. Au fond, il sentait qu’il avait envie de la regarder avoir mal. Pour l’heure, il se concentra sur la destination. Elle habitait donc avec une bande surpeuplée de gamins fêtards aux chambres alignées. Pourquoi ? Pourquoi une femme instruite et ravissante logerait-elle ici ? Elle ne devait avoir ni famille ni amis, quoique cela fût très surprenant. Peut-être que l’hôpital lui prenait trop de temps. Mais peut-on vivre ainsi ? Même Peter s’accordait des moments de détente en faisant des visites à Lorelei ou en allant embêter Nymeria. Même lui, qui se voulait pourtant sans attache, savait qu’il avait au moins des semblants d’amis, ou au moins des créatures de chair et de sang pour peupler ses rêves éveillés.
« Je t’attends ici, lança-t-il fermement en croisant les bras. Prends ton temps », ajouta-t-il d’un ton plus aimable, s’étant aperçu que, quand il le voulait, il pouvait aussi être franchement glacial.
Il fit un bond en avant et décroisa les bras pour ouvrir la porte du hall d’entrée du pensionnat à Wendy, lui adressant au passage un sourire d’excuses. Enfin elle disparut. Il fut soulagé de voir sa silhouette filiforme disparaitre dans le couloir et tourner à gauche en direction des ascenseurs. Pendant une seconde, il ne vit plus d’elle que sa petite ombre chétive projetée au sol par les néons blafards, mais elle aussi s’effaça bientôt et le couloir fut laissé vide. Peter fit demi tour et s’en alla. Il marchait d’un pas vif dont Wendy n’aurait pas pu suivre la cadence si elle avait été encore à côté de lui. Il fallait qu’il s’enfuit, qu’il ne se retourne pas. Elle était saine et sauve, et cela la rendait jolie. Mieux valait qu’elle poursuive sa pitoyable existence sans que Peter ne s’en occupe. C’était déjà une punition en soi. La pluie commença à tomber. On aurait dit que le ciel noir se liquéfiait et lui tombait dessus tout entier. C’était une pluie diluvienne sous laquelle il resta planté une minute, inerte. Il fit volte face et repartit en direction du Méli-Mélo House, duquel il ne s’était finalement pas tellement éloigné. Arrivé dans le hall, il consulta la liste des habitants qui vivaient presque tous deux par deux en colocation. Son sang ne fit qu’un tour lorsqu’il vit le nom de « Peter Johnson », qui habitait ici, semblait-il, chambre 6 du premier dortoir. C’était le genre d’information que Peter n’oubliait pas, et dont il se servait après mûres réflexions. C’était peut-être la raison pour laquelle Wendy vivait ici. Pour être proche de Pan. Le regard de Peter parcourut les longues colonnes de noms jusqu’à trouver celui de « Wendy Darling », chambre 41 du sixième dortoir. Seule. Pas de colocataire en vue. Pourquoi s’en était-il douté ? Il secoua la tête et décida de monter à pied. Il faisait tout pour retarder l’instant où il se retrouverait face à Wendy dans sa chambre, seule, sans colocataire en vue. Et en même temps il avait fait demi-tour.

Un peu essoufflé sur le palier, il repéra la bonne porte et inspira profondément. Toujours cette gêne qui l’empêchait de gonfler ses poumons correctement. Il donna trois coups espacés sur le panneau de bois et tourna la poignée sans attendre qu’on vienne lui ouvrir. Il entra, referma la porte derrière lui, et s’y appuya. Elle était là, juste face à lui. L’humidité et les quelques gouttes brillantes qui parsemaient ses cheveux blonds lui indiquèrent qu’elle était sortie au moins quelques instants sous la pluie, pour s’apercevoir qu’il avait déserté. C’est à ce moment-là qu’il se rendit compte que lui-même était trempé jusqu’aux os.
« Je, je… », commença-t-il, et les mots qui ne venaient pas lui restèrent en travers de la gorge.
Une drôle de sensation l’envahit. Il se sentait gêné, ou désolé, il se trouvait malotru de l’avoir non seulement abandonnée une dizaine de minutes mais de s’être en plus introduit chez elle de cette manière. Qu’est-ce qui lui prend ?
« Pardon, Wendy… J’ai rebroussé chemin parce que… tu es… Et il s’est mis à pleuvoir, et je… Et je suis en sucre ! »
Il écouta les mots sortir de sa bouche et la tête qu’il fit montra bien qu’il n’avait certainement pas commandé à ses lèvres d’articuler des mots aussi stupides. Il prit conscience qu’il avait l’air d’un chien errant et que par-dessus le marché il lui faisait des yeux de merlan frit. Il baissa les yeux et regarda obstinément le parquet, comme s’il attendait qu’elle le gronde. En fait, il cherchait plutôt à ne pas la bouffer des yeux. Il avait toujours trouvé beaucoup de sensualité dans le fait qu’une femme ait les cheveux humides. Les gouttes de pluies le narguaient de leur petit scintillement entre quelques mèches dorées.
« Je vais m’en aller. »
Il ne bougea pas. Il le fallait pourtant. Ce n’était pas ici qu’il devait être. Pour la première fois depuis sa transformation en humain, il regretta de n’être plus une ombre pour pouvoir fondre et passer à travers cette porte sans bruit. Comme un mauvais rêve.
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MessageSujet: Re: 22h29 ✭ Wendy 22h29 ✭ Wendy EmptyMer 9 Jan - 20:15

« Je suis partisan des attaques par derrière. Je trouve qu’il vaut mieux être un traitre vivant qu’un honorable mort poignardé dans le dos ! Après tout, le mort ne peut plus rien faire de son vivant, tandis que le traitre a encore une chance de sauver le monde un de ces quatre… ». Wendy avait la désagréable sensation d’être testée, avec ces quelques mots, et son sourire s’effrita légèrement. Si Peter pensait réellement cela, elle était triste pour lui. Elle avait toujours confié beaucoup plus d’importance à la vie des autres qu’à la sienne. C’était peut-être pour cette raison qu’elle avait décidé, un beau matin, de vouer sa vie toute entière au travail, de faire passer au second plan le reste. Sa propre vie n’avait guère d’importance. Elle n’était rien de plus qu’une pâle silhouette évoluant dans un tableau trop vaste, avec un mécanisme de répétition et une démarche de pantin, un peu inconsciente, comme si elle n’était que spectatrice de son existence. Elle ne ferait rien d’important, elle ne révolutionnerait pas l’histoire, ne changerait pas le monde et ne laisserait pas de marque. Qu’un vague coup à l’eau. Elle n’était que de passage. Un court et ridicule passage, qui n’affecterait personne et ne laisserait que de vagues souvenirs tristes. Alors, durant ce bref instant, elle tentait d’aider le plus grand nombre de personne, de les faire survivre et elle se disait que, peut-être, l’un d’eux finirait par trouver un remède ou quelque chose comme ça. C’était là sa maigre contribution à l’évolution, mais c’était ce qui la faisait tenir. C’était sans doute pour ça qu’elle ne parvenait pas à saisir le fonctionnement de pensée de Peter. Si c’était là bel et bien sa réelle pensé, bien évidemment, ce dont elle doutait. Elle avait plus l’impression qu’il attendait ce qui allait sortir d’entre ses lèvres, ce qu’elle allait bien pouvoir répondre. Comme un jeu. Et il gardait ce sourire porteur de sarcasme, juste là, aux coins des lèvres, et elle aurait aimé l’effacer, au moins un peu. Juste pour revoir le Peter plus naturel, plus sincère. Celui sans masque.

Néanmoins, elle n’amorça aucun mouvement et ne répondit rien, préférant observer le silence. Jusqu’à ce qu’elle se rappelle l’origine de ses pensées. Le froid. La veste. Ah, oui. Elle retrouva un peu de son sourire et lui demanda s’il voulait bien l’accompagner jusqu’au pensionnat, pour chercher de quoi se tenir au chaud. Elle s’attendait à ce qu’il plaisante, qu’il la taquine, ou peut-être même qu’il la teste à nouveau. Cependant, il se contenta d’une réponse placide et brève, un simple « D’accord. ». Ce mot tomba comme une sentence, comme s’il scellait quelque chose de définitif, ce qu’elle ne comprit pas vraiment, mais elle préféra ne pas poser de question, goûtant simplement au froid bienfaisant de la bise nocturne. Ils arrivèrent plus rapidement qu’elle ne l’aurait pensé devant le pensionnat, ou alors elle ne vit pas le temps passer en sa compagnie, qu’importe, ils y étaient. Wendy se tourna vers lui, l’interrogeant du regard. « Je t’attends ici. Prends ton temps ». Son ton fut sec, puis il parut se reprendre et sa voix s’adoucit, ce qui la laissa perplexe. Elle avait l’impression qu’il faisait face à un dilemme intérieur, qu’il se faisait violence pour faire un choix difficile, qui marquerait à coup sûr un tournant important pour lui, mais elle ne voyait pas vraiment ce contre quoi il se battait. Cette histoire n’avait rien de compliqué, pas vrai ? Ils parlaient simplement de fuite et de liberté, non ? Quelle idiote elle pouvait être ! Bien sûr que les choses se compliquaient, lorsque l’obtention de la liberté était tentée par la fuite. C’était toujours à ce moment de l’histoire que des choix étaient faits et que les vies paisibles prenaient fin.


Elle finit par hocher la tête, un peu ailleurs, perdue dans la toile d’araignée de ses pensées, et elle s’avança vers la porte. Toutefois, avant qu’elle n’ait pu lever la main, il se plaça devant elle, perdant son attitude fermée, pour lui ouvrir la porte, un petit sourire aux lèvres. Elle le lui rendit, tout en murmurant : « Merci », avant de s’engouffrer dans le dédale de couloirs et de marches du pensionnat. Toutefois, quelque chose la tracassait. Elle ne lui avait pas donné de réponse, elle ne lui avait pas dit ce qu’elle pensait de sa dernière réflexion. Cela la travaillait. Elle ne voulait pas le laisser penser croire qu’il pouvait être un traître, il ne pouvait pas l’être. Cette certitude la décontenançait un peu. Ils ne se connaissaient que depuis quelques heures et pourtant, elle plaçait en lui une confiance qui l’effrayait quelque peu. Sans doute celle qu’elle n’avait jamais pu placé en qui que ce soit d’autre. Oui, peut-être celle-là, en une dernière tentative désespérée. Tout est-il qu’elle ne le pensait pas être dans la catégorie des traîtres. Il le pensait peut-être, mais elle avait la foi que lui ne semblait pas posséder, la conviction que si l’occasion se présentait, jamais il ne pourrait tuer de sang-froid, attaquant de dos.

Arrivée au deuxième palier, elle se figea. Elle devait le lui dire. Elle sentait un sentiment d’urgence gonfler dans sa poitrine et souhaitait le démentir, là, maintenant, avant que cette idée étrange ne s’encre plus en profondeur. Aussi fit-elle volte-face et repartit en sens inverse, dévalant rapidement les marches qu’elle venait de grimper. Prête de l’entrée, un sourire involontaire prit possession de ses lèvres et elle secoua la tête, exaspérée par son propre entêtement. « Tu sais, Peter, je ne pense pas que tu sois un traître, tu es… ». Sa voix se brisa sur les derniers mots, alors qu’elle tournait à l’angle du couloir. Les deux pans de porte étaient largement ouverts, offrant dans le mur une ouverture béante, qui servait à son regard une étendue sombre et glaciale, à présent troublée par une pluie violente, dont les gouttes battaient avec force le béton de l’allée, dispersant la brume en lambeaux vaporeux, s’écrasant et ricochant sur une haute silhouette sombre qui s’éloignait à pas vifs du complexe. Elle fit vagabonder son regard autour d’elle, les sourcils froncés, le cœur étreint par un soupçon ; non, ça ne pouvait pas être… Elle se précipita sur le porche, descendit les trois marches, et avança de quelques pas maladroits, un peu désarçonnée, puis finit par s’arrêter, là, sous la pluie, au beau milieu de ce paysage tristement banal. Il ne se retourna pas et les contours flous de son ombre finirent par s’estomper entièrement, gommés par l’obscurité, sa silhouette toute entière avalée par cette nuit sombre, et pourtant elle comprit que c’était bel et bien Peter qui venait de rendre les armes. A son tour, lui aussi, il abandonnait.

Elle cilla et inspira profondément, la gorge nouée. Pourquoi restait-elle ici, immobile ? Que faisait-elle donc, pauvre idiote, à ne pas bouger ? Pourquoi restait-elle dans l’attente d’un retour qui n’arriverait pas ? L’averse provenait de gros nuages noirs, qui ressemblaient à du coton imprégné d’encre, et la pluie lui faisait songer à des larmes sombres. Et elle sentait cette pluie battre sa peau, comme si elle essayait de la transpercer, elle sentait le froid hivernal glisser sur son épiderme en une caresse glaciale et elle sentait également ses bras tremblants se serrer contre elle, à la recherche d’un peu de chaleur, alors pourquoi se sentait-elle vide, à l’intérieur ? Un peu à l’instar d’une coquille de chair creuse, comme si on venait brutalement de lui arracher encore une fois quelque chose. Il était parti, et avec lui, il avait emporté ses espoirs de liberté et sa confiance, oui, ce dernier petit morceau de confiance qui lui restait et qu’elle lui avait donné. A présent, il ne lui restait plus rien. Alors, elle revint sur ses pas, gravit les escaliers qu’elle venait de redescendre, glissa sa main sous le paillasson pour en tirer sa clé et ouvrit sa porte. Elle fit toutes ces choses sans vraiment s’en apercevoir, avec le mécanisme d’un automate bien réglé. Qu’avait-elle bien pu dire ? Qu’avait-elle bien pu faire, cette fois, pour qu’il en vienne à prendre la fuite ? A quoi bon se poser la question, elle n’en saurait jamais rien. Toutefois, cela devait bien venir d’elle, non ? Cela ne fonctionnait jamais. Elle ne devait pas être faite pour les relations humaines.

Ainsi, elle était de retour chez elle. Case départ. Encore une fois présente dans ce lieu où la solitude écrasait toutes choses positives, où elle suintait des murs et l’étouffait. Oui, l’atmosphère lui semblait viciée, elle avait beau inspirer pleinement, ce n’était que de succinctes bouffées d’air brûlant qui pénétraient ses poumons, les remplissant d’un feu liquide, la laissant essoufflée et fiévreuse. Ses genoux tremblèrent sous elle, soutenant avec peine son corps frêle, qui contenait, en cet instant, bien trop de ressentis divergents pour s’accorder avec plénitude, et elle tenta de trouver un peu de soutien en posant ses mains sur le rebord de la fenêtre. Et si tout cela n’avait été qu’un rêve ? Un songe singulier dans lequel une nuit de velours, écrin sombre de la lune ronde et pâle, aurait abrité la fuite de deux êtres en quête de liberté. Quête d’une beauté sibylline, qui aurait dû prendre fin à l’instant même où Wendy aurait reconnu vouloir exister pour elle et non pour les autres, où elle aurait pu murmurer à l’oreille de Peter des secrets inavouables, où elle aurait retrouvé son sourire d’antan, quête qui s’était achevé d’une façon prématurée, peu guère appréciable.

Ses pensées furent dispersées par trois coups distincts contre le panneau en bois de sa porte et elle se retourna vivement, alors que la poignée tournait. Qui était-ce ? Lui ? Avait-il pris la décision de revenir ? Elle s’avança de quelques pas, le cœur cognant sous la surprise, et attendit que le battant révèle l’identité de l’audacieux qui entrait chez elle, sans attendre de réponse. Peter. C’était Peter. Son cœur manqua un battement et elle cilla, les lèvres entrouvertes sur un soupir d’étonnement. Il se tenait de manière raide, ses cheveux s’étaient assombris sous la pluie et ses vêtements étaient trempés, mais oui, il était bel et bien revenu. « Je, je… ». Pourquoi était-il là ? Elle ne comprenait pas. Il se tenait devant elle, un air étrange sur les traits, comme s’il se sentait mal à l’aise, pourtant elle ne pouvait pas le blâmer d’avoir fui, d’être parti sans rien lui dire. Il était une ombre, se glisser dans les recoins sombres et se fondre à l’obscurité elle-même pour disparaître avait et devait encore être l’une de ses spécialités, pas vrai ? Et puis, il n’était pas le premier à avoir abandonné. Ils avaient tous eu une bonne raison de le faire. Pourquoi pas lui ? « Pardon, Wendy… J’ai rebroussé chemin parce que… tu es… Et il s’est mis à pleuvoir, et je… Et je suis en sucre ! ». Il y a quelques minutes, Wendy aurait pu rire de cette excuse, mais elle n’avait plus le cœur à émettre un son joyeux. Elle le regardait, avec l’impression qu’il se flagellait mentalement, la tête baissée, évitant soigneusement son regard, et elle aurait aimé lui dire de ne pas s’en faire, mais… Les mots qui sortirent ensuite de sa bouche et qui auraient voulu se montrer un brin amusé lui parurent un peu tristes. « Encore une histoire ? Entre nous, je m’attendais à mieux… J’aurais préféré quelque chose de plus rocambolesque… Peut-être une histoire de voleur que tu aurais essayé d’attraper, oui, ça aurait été pas mal ça. ». Elle déglutit difficilement et baissa les yeux, à son tour. Elle se sentait marquée par une profonde lassitude et elle se sentait fatiguée. D’un genre de fatigue qui ne se règle pas uniquement avec une nuit de sommeil. Elle se sentait épuisée, comme si toutes ces choses qu’on avait cassées en elle s’agitaient en même temps et qu’elle ne parvenait pas à les contrôler, à les remettre en ordre. Elle aurait aimé que Peter l’aide, lui et ses histoires, lui et ses sourires moqueurs, lui et ses deux onyx qui semblaient vouloir l’éviter du regard… Toutefois, elle prenait conscience qu’elle s’était mise à courir après une chimère. Peter était un être humain, il avait ses propres problèmes, ses propres faiblesses et il devait avoir bien d’autre chose à faire que de rester ici. Elle ne comprenait toujours pas, par ailleurs, pourquoi il était ici. « Tu sais, tu n’as pas à t’excuser. Je peux comprendre que tu sois parti, ils finissent tous par le faire. ». Elle ne recherchait pas sa compassion ou sa pitié, elle ne faisait qu’énoncer distinctement un fait réel. Néanmoins ses phrases contenaient des fêlures et sa voix lui paraissait brisée ; la vérité était toujours douloureuse. Elle secoua la tête pour se reprendre et croisa ses bras contre sa poitrine, comme pour se protéger elle-même des coups extérieurs, avant de reprendre d’un ton qu’elle espérait plus maîtrisé : « Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi tu es revenu. ». Non, il y avait définitivement cette blessure qui ressurgissait dans ses mots, qui les faisait trembler. Elle aurait aimé se montrer forte, ne pas lui dévoiler à quel point ce nouvel abandon lui coûtait. Elle aurait aimé savoir sauver les apparences, pouvoir tout contrôler. Néanmoins, elle avait tout oublié de sa vie d’avant, elle avait tout perdu. Ne restait plus que ce malaise dérangeant qui la pourrissait de l’intérieur, celui qui gangrenait son cœur à la manière d’une maladie dégénérative, celui qui finirait pas la tuer, tôt ou tard.

« Je vais m’en aller. ». Wendy releva les yeux vers Peter et se mit à le chercher du regard. Elle ne voulait pas qu’il parte. Et lui, le souhaitait-il ? Il ne bougeait pas, restait immobile. Une goutte d’eau glissa de l’une de ses mèches brunes et serpenta le long de sa joue, pour venir s’échouer sur ses lèvres. Elle détourna finalement les yeux et lui demanda : « Et tu comptes aller où ? ». Ici ou ailleurs, quelle différence ? « Est-ce que tu essayes de me fuir, encore une fois ? ». C’était partout pareil. Excepté qu’ici, ils étaient deux. Et que la solitude avait fini par disparaître. « Tu peux rester, si tu veux. ». Les mots s’échappèrent d’entre ses lèvres avant qu’elle n’y pense vraiment et elle tourna à nouveau les yeux vers lui. Et tout bien considéré, elle ne regrettait pas cette proposition. Elle avait besoin de lui.



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MessageSujet: Re: 22h29 ✭ Wendy 22h29 ✭ Wendy EmptyDim 24 Mar - 12:53

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MessageSujet: Re: 22h29 ✭ Wendy 22h29 ✭ Wendy Empty

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